Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

31 mars 2016


« Vous avez aussi un spectacle ce soir », me dit l’aimable guichetière de l’Opéra de Rouen ce mardi après-midi quand je viens y retirer mes places pour la fin de semaine.  « Max Emanuel Cenčić, la musique napolitaine. »
Je l’avais oublié. J’y suis donc le soir venu au premier balcon et ne mets guère de temps à me dire que cela aurait été dommage de manquer ça. Max Emanuel Cenčić, contre ténor néo barbu, chante magnifiquement Niccolo Antonio Porpora et Leonardo Vinci. Il est accompagné de l’Ensemble il porno d’oro dirigé par le claveciniste Maxim Emelyanychev (né en quatre-vingt-huit, filiforme et cheveux longs partagés par une raie, exactement ce à quoi je ressemblais à son âge). Entre les prouesses vocales de Cenčić, Emelyanychev offre avec ses musicien(ne)s la Symphonie numéro sept en do majeur de Domenico Scarlatti et l’Adagio et Fugue de Johan Adolf Hasse.
Après l’entracte, c’est l’Ouverture royale de Niccolo Antonio Porpora, puis Max Emanuel Cenčić subjugue à nouveau le public avec des airs de Domenico Scarlatti et Leonardo Leo. Le clavecin ayant fait un quart de tour et été muni d’un couvercle ouvert, Maxim Emelyanychev montre ce qu’il sait faire en jouant et dirigeant le Concerto pour clavecin en ré majeur de Domenico Auletta et pour finir le contre ténor Max Emanuel Cenčić qui autrefois fut soprano (« Cette métamorphose est rare et je ne connais pas d’autre chanteur l’ayant vécue », explique-t-il à Vinciane Laumonier dans le livret programme) et qui a déjà perdu trois fois sa voix, en fait le plus bel usage devant un public enthousiaste, les éternels malades étant même capables de retenir leur toux.
Un spectateur de premier rang offre un bouquet à l’artiste qui nous offre deux bonus dont je ne peux retenir les titres mais grâce au blog Publics de l’Opéra de Rouen, je peux écrire qu’il s’agissait des airs Se vi ferme tiré d’Irene et Vo desperato a morte de Tito Vespasiano, compositions de Johan Adolf Hasse.
 

30 mars 2016


Dans son livre Intérieur (L’Arbalète Gallimard) Thomas Clerc fait une description fouillée, pièce par pièce, de son appartement et du contenu de celui-ci, un appartement parisien de cinquante mètres carrés, rue du Faubourg Saint-Martin, où il est entré le onze septembre deux mille un et qu’il quittera après le point final.
Un tel sujet peut faire craindre l’ennui mais connaissant Thomas Clerc par la chronique dans laquelle il disséquait une revue choisie plus ou moins au hasard dans un kiosque, chronique qu’il lisait d’une voix métallique et pressée dans la défunte émission de Laurent Goumare sur France Culture, c’est confiant que j’ai entamé la lecture de mon exemplaire trouvé d’occasion chez Emmaüs à Cherbourg.
Ce mardi, j’entends de nouveau la voix de l’auteur en mettant mes notes en ordre (ou plutôt en désordre) et j’atteste que son livre fut mon plaisir de lecture le plus intense de ce début d’année deux mille seize:
1 appartement, c’est 1 série de murs avec des portes et 1 plancher qui donnent sur des pièces aux fenêtres reflétant des meubles qui contiennent des choses.
La hauteur sous plafond mesure nos forces psychiques ; elle détermine nos espérances.
L’Intérieur de Thomas Clerc est aussi une sorte d’autobiographie en creux. Il y raconte sa vie d’obsessionnel, y énumère ses principes et ses manies, y évoque son peu de sens pratique :
Rétablir le courant en actionnant la manette du disjoncteur de 0 à 1 est le seul geste techniquement réussi que, surmontant ma crainte de rester sans chauffage pendant les rigueurs de janvier, je puisse accomplir.
Mon regard plane sur chaque objet comme 1 vautour sur 1 décharge, et dans 1 lourd silence je me demande combien de temps il leur reste à être.
Mon idéal est minimaliste, mais je ne suis pas fidèle à mon idéal. Tant de rebuts signent la misère d’1 société d’abondance et d’1 vie d’ascèse : semblable aux pauvres qui bourrent leur foyer de saloperies criant la terreur inverse du dénuement, je me suis laissé posséder par cette horreur ricanante.
Bien que je ne vive pas en groupe, mon rapport aux victuailles, semblable aux chasseurs-cueilleurs primitifs, se caractérise  par l’opulence répétitive du même.
Les urinoirs publics me déplaisent, surtout en France où ils sont sales, étriqués et faits pour 1 promiscuité qui n’est pas dans mes mœurs.
Le mah-jong est pourtant l’1 des plus beaux jeux que je connaisse et mon plaisir serait de l’apprendre à mes amis. Or voilà que se dresse le premier obstacle : je n’ai pas d’amis ! Ou, pour être plus près de la vérité (car la phrase précédente est drôle mais fausse), je n’ai pas d’amis pour jouer au mah-jong.
Thomas Clerc ne décrit cependant pas totalement ce qui se trouve dans son appartement, son argent par exemple, s’en expliquant ainsi :
En effet, l’argent, riche dossier, déboucherait sur 1 hypertexte contraire à la description surfasciste de ces pages.
Cependant on saura tout sur son goût passé pour la lessive Ariel et sur son stylo Parker, modèle Jotter :
Ma marque de lessive préférée fut longtemps Ariel, qu‘utilisait ma mère, et sur bien des points je reste fidèle à ma mère. L’excellente publicité pour Ariel, on s’en souvient peut-être, consistait à nier que 2 barils de poudre à lessive traditionnelle fussent supérieurs à 1 seul d’Ariel –et l’on voyait ainsi 1 ménagère refuser ce qui pouvait paraître 1 bonne affaire (2 au lieu d’1 !) au motif irrécusable que la qualité l’emporte sur la quantité. Mais l’autre raison pour laquelle je restai longtemps fidèle à cette marque est que j’ai eu, il y a bien longtemps déjà, 1 maîtresse portant ce beau prénom shakespearien, et dont je garde intact le souvenir, car l’érotisme se prolonge en moi plus par les noms que par les images.
J’ai horreur de chercher mon instrument et je redoute de le perdre ; aussi j’en possède 3 exemplaires (rouge, noir, argent) : pourtant, je passe mon temps à les perdre et à les chercher. Comme le Jotter ne se fabrique plus, j’aborde toute papeterie avec l’espoir de mettre la main sur les dernières plumes encore en circulation.
Et l’histoire de son porte-clefs :
J’ai acheté ce porte-clefs fantaisie à New York le 26 juillet 2009 lors d’1 visite à la maison de Poe, cottage en bois vermoulu dans 1 coin du Bronx, sur 1 petit square coincé entre 2 grandes avenues inhospitalières, et que je n’ai trouvé qu’à force de persévérance alors que mes demandes auprès des passants restaient incomprises, personne ne connaissait manifestement Edgar Poe’s house parmi la population de Noirs pauvres et de prolétaires blancs du quartier. Lestant mon modeste trousseau comme la chaîne du forçat, sa rutilance à 1 dollar 50 enjolive le culte que je voue à l’auteur de Philosophie de l’ameublement.
Lisant cela, je me revois vivant la même expérience quelques années plus tard, à ceci près que je ne pus entrer dans la maison de Poe, désormais uniquement visitable par les groupes et sur rendez-vous.
                                                            *
Dans quelle catégorie d’écrivains ranger Thomas Clerc ? Il répond lui-même à la question :
L’art conceptuel est pour moi le plus beau de tous les arts et si je devais opérer à mon endroit le classement qu’en tant que critique je n’hésite pas à faire sur certains de mes confrères, je me qualifierais moi-même d’écrivain post-conceptuel.
                                                            *
Trois des coquetteries d’écriture de Thomas Clerc :
Ecrire systématiquement les nombres avec des chiffres, y compris « un » ou « une » (j’ai la coquetterie inverse).
Traiter certains adjectifs comme des noms communs : les impulsifs de ma nature, le fragile de certaines installations.
Supprimer tous les saints de la toponymie urbaine : place Sulpice, boulevard Germain. Pousser le vice jusqu’à évoquer l’œuvre d’un poète connu en l’appelant John Perse.
                                                            *
Face à « un » et « une » écrits 1, on cherche l’erreur, la faille, la négligence. Je la trouve dans la dernière phrase de la page cent cinq : C’est évidemment ce 2e point qui dépend d’une forme de vie précise.
                                                            *
Thomas Clerc est un admirateur de Malthus. Il se réjouit de porter le même prénom que lui. Il n’écrit le mot « fécondité » que barré : Je tire 1 trait sur le mot le plus laid de la langue française.
Le bonheur de n’avoir pas d’enfants : ne pas avoir de chambre d’enfants.
                                                           *
En prélude à son Intérieur : Je dédie ce livre à mon arrière-grand-père Auguste Clerc, décorateur et peintre d’objets religieux, orneur, assassiné par sa femme le 29 juin 1912, à l’âge de 48 ans.
                                                           *
Pour finir :
Théorème du voisinage : les voisins nous créent plus de soucis que nous leur en causons.
Je confirme.
 

29 mars 2016


Ce dimanche de Pâques, plutôt que de me rendre dans des vide greniers de parquignes de supermarchés (Oissel et Bihorel) d’où je crains de revenir bredouille, je profite pour la première fois de la gratuité mise en place au Musée des Beaux-Arts depuis qu’il est passé sous la responsabilité de la Matmutropole Rouen Normandie.
Il faut quand même prendre un ticket et avouer son code postal pour les statistiques. De nombreuses salles du rez-de-chaussée sont fermées en vue de la nouvelle opération fabiusienne Normandie Impressionniste, mais on peut encore voir celles données à Agnès Jaoui pour la quatrième édition du Temps des Collections. Dans le coin d’une, un petit écran diffuse Le Goût des autres, le film partiellement tourné à Rouen de ladite. Un couple de quinquagénaires est scotché devant.
Une salle consacrée aux pastels de grande taille me retient où l’on voit fillette, jeune fille et jeune femme qui pourraient aussi bien être la même à des âges différents : Portrait de fillette de Sonia Routchine-Vitry, Portrait de Mademoiselle Lia Lévy d’Emile Lévy, La femme au singe de Charles Lucien Léandre.
Celle consacrée aux hommes nus ne tient pas ses promesses, les sexes étant couverts de tissu ou invisibles, sauf un mais il est dans la pénombre, d’où l’absence d’avertissement en direction d’un public mineur ou particulièrement sensible. S’y trouve la photo d’un dos nu partiellement couvert d’une longue chevelure blonde, une image androgyne non titrée signée Collier Schorr.
Ailleurs sont côte à côte pour leur air de famille le Chevalier à la main sur la poitrine du Greco et Paul Alexandre devant un vitrage de Modigliani.
Une salle « Corps fragmentés » montre des dessins divers sur ce thème. S’en détache le rouge Twins de Françoise Pétrovitch.
D’autres salles jaouisées ne me retiennent pas. Le sculpteur Puget m’indiffère et la Jeanne peinte rassemble des œuvres qui me sont trop connues.
Je ne manque pas en revanche d’aller saluer mes préféré(e)s de la collection permanente : Démocrite, Rigolette, la fausse religieuse, les énervés et quelques autres, celles et ceux que je peux approcher toutefois car une moitié d’aile est fermée sans rapport avec la prochaine exposition. Même si je m’en doute, j’en demande la raison à une gardienne :
-C’est à cause du manque de personnel, me répond-t-elle, m’expliquant que cela se produit régulièrement.
Certains venus de loin pour voir une toile particulière doivent être fort déçus, mais comment se plaindre maintenant que l’entrée est gratuite.
                                                                    *
Idée saugrenue : sortir un empaillé du Muséum d’Histoire Naturelle pour l’installer dans la salle des Orientalistes. Ce ridicule chamelon est muni d’une étiquette le précisant fragile afin qu’un moutard n’y grimpe pas.
                                                                    *
En ce dimanche pascal est annoncée la mort de Jim Harrison survenue la veille, d’une crise cardiaque alors qu’il écrivait un poème. Un bon jour pour mourir est l’un des titres avec lesquels je l’ai découvert.
J’ai raconté sa venue à Rouen, invité par la librairie L’Armitière lors de la parution d’En Marge (ses mémoires).
Grand amateur de la gastronomie et des vins français, il dîna ce soir-là à La Couronne « plus vieille auberge de France », comme en témoigne au mur une photo dédicacée. Mon exemplaire d’En Marge l’est aussi.
 

28 mars 2016


Un consternant spectacle au cinéma Omnia la semaine dernière, c’est ce que je découvre dans la vidéo faite par l’un des présents. On y voit Marc-Antoine Jamet, Maire de Val-de-Reuil, Socialiste, par ailleurs Secrétaire Général de Louis Vuitton Moët Hennessy et, à ce titre, personnage malgré lui du film Merci Patron de François Ruffin (rédacteur en chef du journal Fakir), présent dans la salle lors de la projection rouennaise du film, être conspué par les spectateurs alors qu’il tente d’exprimer son point de vue.
Que ceux qui disent qu’un autre monde est possible se comportent ainsi me rappelle s’il en était besoin que cet autre monde ne serait pas davantage le mien que celui qui est en place.
La vidéo de ce face-à-face est due à l’un de ces despotiques. Il l’a intitulée Irruption de Marc-Antoine Jamet à la projection de Merci Patron à Rouen, une malhonnêteté intellectuelle car Jamet avait été invité par Ruffin et c’est à la demande de celui-ci qu’il se lève et prend la parole.
Aurais-je eu l’intention de voir ce film qu’après ça j’aurais changé d’avis (mais pas plus que je ne supporte le populiste Michael Moore et ses films, je ne suis intéressé par François Ruffin et son film).
                                                                                  *
Cent trente-cinq euros d’amende pour les bicyclistes qui circulent sur les voies des bus Teor. En revanche, on peut toujours y marcher gratuitement, ce dont je ne me prive pas.
                                                                                  *
Un garçon au Socrate : «  Quand on a un problème, on le regarde dans les yeux. »
 

26 mars 2016


Ce samedi matin, après avoir fait mien pour deux euros au marché du Clos Saint-Marc l’édition grand format due à Christian Bourgois des Vies parallèles de Boris Vian de Noël Arnaud, je passe à la Pharmacie du Drugstore afin de faire renouveler mon ordonnance (comme on dit), s’agissant des gouttes que je dois mettre dans mes yeux chaque soir.
Me précède un client dont je sais le nom, une notabilité rouennaise autant connue pour son activité professionnelle que pour ses responsabilités publiques. J’attends donc derrière la ligne verte marquée « limite de confidentialité ».
Macache, cette ligne est si proche du comptoir que j’apprends tout des problèmes de transit de ce notable, et du sang dans les selles qui l’inquiète. Je sais aussi ce que lui conseille la pharmacienne. Heureusement, s’il y en a un sur qui on peut compter pour la discrétion, c’est moi.
                                                                *
Jeudi soir sonne à l’interphone, porteuse de tartelettes aux pommes, celle qui m’avait envoyé un message pour me dire que le Plouk Town de Ian Monk (Editions Cambourakis) l’intéressait et à qui j’ai logiquement voulu offrir le deuxième exemplaire trouvé ensuite chez Book-Off.
Voilà un livre entre de bonnes mains, me dis-je, quand elle repart une heure et demie plus tard.
 

25 mars 2016


Place de la République, où je passe ce mercredi matin dans le bus Vingt qui m’emmène vers la Bastille, des drapeaux belges ont rejoint les drapeaux français au pied du monument devenu lieu de recueillement perpétuel. Je songe au séjour fait à Bruxelles avec celle qui me tenait la main. Nous nous réjouissions d’être dans un pays qui venait de battre le record de la plus longue durée sans gouvernement. Après ces nouveaux attentats islamistes, je me dis qu’il aurait mieux valu qu’il y en ait eu un, capable de surveiller ce qui se passait dans les banlieues. La dérive de Molenbeek a été favorisée par une longue négligence.
Le midi, je mange encore une fois Chez Céleste dans une ambiance inhabituelle, les deux serveurs s’engueulant copieusement, puis par la ligne Une du métro je gagne le Grand Palais afin d’y voir moyennant aucune attente et treize euros, l’exposition Carambolages. Ces carambolages sont inspirés de celui du jeu de billard, Une boule choque une boule qui choque une boule, tel est le principe de cette exposition, qui l’on aurait aussi bien pu nommer marabout de ficelle. « Listen to your eyes », est-il écrit au néon à l’entrée.
On passe donc d’une œuvre à une autre selon un chemin obligé, œuvres de toutes les origines géographiques, allant de l’Antiquité à la période contemporaine. Elles ne sont pas accompagnées d’un cartel. Pour savoir de qui et de quoi il s’agit, il faut se placer devant un petit écran au bout de chaque section et regarder les images défilant horizontalement. C’est fastidieux et je m’en passe souvent. Comme le dit une jeune fille qui en pousse une autre en fauteuil : « Des fois c’est beau de pas savoir qui a fait le truc. »
Néanmoins, j’ai besoin de savoir pour certaines, ainsi Gloria Friedman pour son Painting as a pastime, installation montrant côte à côte des reproductions de paysages peints par Eisenhower, Churchill et Hitler. Suit de la même : Absurdistan, croix gammée constituée de quatre jambes en uniforme et bottées.
Cette exposition permet à certain(e)s de découvrir l’art contemporain. « Oh putain », s’exclame une fille découvrant la double hélice Adéhenne de Wim Delvoye confectionnée avec des crucifix. Plus loin, plusieurs hommes sont successivement à l’arrêt devant L’étui pour mobylette du même. Ils sont davantage intéressés par le contenu que par le contenant, prétendant tous avoir eu la même quand ils étaient jeunes.
Il va de soi que d’association d’idée en association d’idée l’exposition passe par le sexuel. Une tige appelle une tige tout comme une fente appelle une fente.
L’une de mes bonnes découvertes est un tableau de Mignard pas du tout dans le registre gnangnan, c’est violent et tragique: Le Temps coupant les ailes de l’Amour. Si je devais jouer le jeu des carambolages je mettrais à côté La Vierge corrigeant l’enfant Jésus devant trois témoins de Max Ernst.
Cette exposition due à Jean-Hubert Martin valait le détour, me dis-je en rejoignant à pied le quartier de l’Opéra Garnier. Les lieux de pouvoir sont plus que jamais protégés. Marchant avec mon blouson et mon gros sac à dos vers l’un des policiers lourdement armé, je compte sur mes cheveux gris pour ne pas lui paraître suspect. D’autres hommes en uniforme patrouillent avec des chiens. L’écran géant de la Grande Roue du roi des forains Marcel Campion est aux couleurs de la Belgique.
                                                                           *
Parmi les œuvres carambolées, la sculpture d’un animal sur une petite boîte, une bestiole en forme de saucisse noire à oreilles pendantes qui me rappelle l’Aboyus qui me crie dessus dès que je mets le pied dans le jardin. Il ne s’agit pas d’un chien, m’apprend l’écran. L’œuvre provient de l’Egypte ancienne, c’est un Sarcophage de musaraigne de basse époque. Aboyus est aussi de basse époque.
 

24 mars 2016


Ce mardi soir, je suis assis au bout du deuxième rang près d’une femme à tics sous la verrière à l’étage de la librairie L’Armitière. Jean-Pierre Levaray y est invité à présenter Je vous écris de l’usine (Libertalia), livre qui regroupe les chroniques qu’il écrivit pour le mensuel CQFD pendant ses dix dernières années passées à turbiner dans l’usine d’engrais chimiques du Grand-Quevilly ancienne filiale de Total classée Seveso Deux seuil haut.
Récent retraité, il a fêté ça lors d’une soirée « Bye bye turbin » au Centre Culturel André Malraux (je n’ai pas eu à m’interroger pour savoir si j y allais ou non, car en ce lieu je suis non grata).
Désintoxiquez-vous, Vivez mieux et plus longtemps, tels sont les titres en forme d’injonction faisant arrière-plan dans les rayonnages. Tue ton patron, semble leur répondre l’un des livres de Jean-Pierre Levaray posé sur la haute table derrière laquelle il s’installe en compagnie de la libraire chargée des rencontres avec les auteur(e)s. Celui habituellement chargé de filmer ce genre d’évènement (qui ne jure que par le libéralisme mais bénéficie ici d’un emploi subventionné grâce à l’argent public) est absent et avantageusement remplacé par une jolie jeune fille.
Je suis là par sympathie pour Jean-Pierre Levaray que je connais depuis On @ faim label musical et fanzine dont il s’occupait il y a un certain temps (il publia l’un de mes textes). Je l’ai ensuite croisé à L’Insoumise, la librairie de la Fédération Anarchiste sise à la Croix de Pierre, et dans les manifestations. Il écrit sur ce qu’il connaît trop bien : le travail à l’usine. Il y est entré à l’âge de dix-huit ans et y est resté quarante-deux années (toute une vie de labeur épuisant dans la même usine, très dangereuse, comparable à celle qui a explosé à Toulouse, avec en bonus l’amiante et les poussières ionisantes.
Les poussières ionisantes, la libraire poseuse de questions est contente d’avoir appris quelque chose. Elle a cette honnêteté d’avouer qu’elle ne connaît rien au monde ouvrier et a préparé sérieusement l’entrevue sur des fiches. Elle présente Je vous écris de l’usine comme « Coup de cœur des libraires «  de L'Armitière.  Elle cite les bonnes critiques du livre faites par Le Matricule des Anges, Le Canard Enchaîné et Médiapart, en insistant un peu trop. Comme à chaque fois, elle me crispe avec ses intonations exagérées et ses mimiques.
Jean-Pierre Levaray dit qu’il n’aime pas parler en public. Il lit la dernière de ses chroniques de CQFD qui constitue le dernier chapitre de son livre. Il y est question de Nono, l’ouvrier qui remplissait à son profit un jerrican d’essence dans le coffre de la voiture de l’usine qu’il conduisait, comment il a été dénoncé photo à l’appui par un autre ouvrier, et comment la hiérarchie, qui aurait dû le virer, lui a donné une deuxième chance.
Jean-Pierre Levaray, militant syndicaliste et libertaire, n’est pas manichéen, ni ouvriériste, ce pourquoi je le lis avec intérêt depuis son premier livre Putain d’usine.
Les questions posées à la fin portent sur l’affaiblissement des luttes sociales et du syndicalisme plutôt que sur le livre qu’un seul des présents a lu, un ancien ouvrier de la même usine qui le recommande vivement. Cette galerie de portraits de travailleurs me plaira sûrement, mais je n’achète pas Je vous écris de l’usine à L’Armitière, préférant le faire ultérieurement à L’Insoumise.
                                                                 *
Que cette rencontre avec Jean-Pierre Levaray ait lieu à L’Armitière le jour anniversaire de l’Appel du Vingt-Deux Mars, préambule à Mai Soixante-Huit, est une coïncidence, il y a lurette que cette librairie a oublié ce qu’elle était quand elle se trouvait rue des Ecoles.
 

23 mars 2016


Il y a au moins deux ans, l’agitateur musical polymorphe rouennais Seb Petit mit sur le réseau social Effe Bé une vidéo d’un certain Micah P. Hinson et l’ayant regardée, ce devait être un dimanche matin et j’étais désœuvré, je fus séduit par ce folkeux texan.
C’est pourquoi ce lundi soir je prends le bus Teor Trois pour aller le voir et ouïr au Kalif, route de Darnétal, où il est en concert, une coproduction Europe and Co/Avis de Passage, dix euros l’entrée (somme modique). Sur place le premier, j’assiste à l’arrivée de l’artiste, chaussettes dépareillées, blouson, bonnet, écharpe plusieurs fois tournée autour du cou, lunettes démodées, sac à dos, guitare et canne. Certains des organisateurs viennent le saluer, parmi lesquels l’ami Masson, puis il va faire des essais de micro.
A l’entrée dans la salle je me perche sur un haut tabouret d’où j’observe le futur public. Pour certain(e)s aller au concert c’est d’abord acheter une bière au bar et la boire au goulot. Pendant ce temps Micah Paul Hinson va et vient appuyé sur sa canne. La faute aux séquelles d’un accident de scouteur en Espagne où il a été renversé par une voiture, m’explique Seb Petit. L’artiste blessé joue quelques notes sur le vieux piano collé contre la console technique puis disparaît.
Une jolie fille blonde entre en scène. C’est, venue de Paris, Pauline Drand. S’accompagnant à la guitare, elle chante en français d’une voix chaude ses compostions qui parlent d’amour esquissé ou esquivé. Je l’écoute et la regarde attentivement depuis mon tabouret. Cela me plaît bien.
Je me lève quand c’est le tour de Micah P. Hinson. Il s’effeuille : blouson, pull, chemise tombent en tas sur le sol. Ne lui reste qu’un ticheurte blanc informe. Il boit une grande lampée de jus d’orange au goulot d’une bouteille de trois quarts de litre. Quelques problèmes de micro plus tard, il fait entendre sa voix acérée. Je regrette une nouvelle fois de ne pas comprendre l’anglais. Lui aussi s’accompagne à la guitare, celle de son adolescence peut-être, ornée de slogans « This machine kills fascists » « Kill the head, the body will die ». Par des bidouillages de boîtiers électroniques plus ou moins difficiles à mettre en place « It sucks » « Shit » « Motherfucker », il en fait pour certaines chansons une guitare arrangée. Impossible de savoir s’il est vraiment brouillon ou s’il en rajoute. Cela me plaît bien mais s’il jouait uniquement de la guitare simple, ça m’irait encore mieux et on ne le verrait pas sans cesse penché sur la technique. Sa liste à jouer est écrite sur un papier pas plus grand qu’un ticket de carte bancaire, ce qui l’oblige à d’autres contorsions. En arrière-son, on doit supporter l’entrechoc des bouteilles vides du bar et, pire, le grincement de la porte à double battant, honte à toi Kalif.
Quand ce drôle d’oiseau un peu Peter Pan à montre rose remet sa chemise et son pull, c’est sa façon de signifier qu’on en est aux rappels, puis seule chose que je comprends il explique à la fin qu’il a des disques à vendre et qu’il les signera après être sorti fumer. Ce pourquoi Micah P. Hinson remet blouson, bonnet et écharpe à plusieurs tours.
N’étant pas certain de l’écouter chez moi, je n’achète pas. J’aurais été davantage tenté par un disque de Pauline Drand mais elle n’en est pas encore là.
Alors que je commence à descendre la côte de Darnétal pour rejoindre mon logis à pied, je m’entends héler d’une voiture. C’est le sympathique Claude Levieux, cheville ouvrière du label Smap Records, présent lui aussi à ce concert. Il me ramène jusqu'au bout de la rue Saint-Romain.
                                                                 *
Bonne nouvelle au courrier de ce lundi : mon loyer baisse de cinq centimes.
 

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