Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

4 mars 2016


Je n’attends pas un grand plaisir esthétique de l’exposition Gérard Fromanger lorsque je descends les marches de l’escalier qui mène au quatrième étage du Centre Pompidou, ce mercredi en début d’après-midi, car j’ai souvenir de ses toiles des années soixante-dix quand il était maoïste et un peu connu.
L’exposition de ce représentant de la Figuration Narrative occupe un angle de l’étage « Art Contemporain » dont les salles sont provisoirement fermées au public pendant qu’on s’y affaire à un nouvel accrochage. L’un des premiers tableaux colorés que l’on y voit est En Chine, à Hu-Xian. Il montre un groupe de paysans chinois vus de face et a été peint suite à un voyage d’intellectuels compromis avec la dictature maoïste organisé par le cinéaste Joris Ivens. Viennent ensuite les notoires tableaux à silhouettes colorées et des portraits de Prévert, Foucauld, Deleuze, Guattari, qui me font penser à ceux que faisait Raymond Moretti pour les couvertures du Magazine Littéraire, donc peu à mon goût.
Je passe rapidement devant les tableaux évoquant l’assassinat du maoïste Pierre Overney, les dérives inspirées des Situationnistes ou la Guerre du Golfe, ne m’attardant que devant celui qui s’oppose aux autres par un refus de la couleur. 
Noir, nature morte date du milieu des années quatre-vingt-dix. Sur fond noir, Fromanger a écrit en capitales blanches, par ordre alphabétique, le nom des artistes qui sans doute comptent pour lui, de Hans von Aachen à Francisco von Zurbaran, celui-ci étant suivi d’une dizaine d’autres, des oubliés repêchés, parmi lesquels Bellmer, Brauner, Chaissac, Kahlo et Oppenheim. On peut, assis sur une banquette passer un certain temps à lire toute la liste puis chercher qui n’y est pas, par exemple Balthus.
Je ne sais si c’est par hasard que cette exposition est surveillée par des gardiens d’origine chinoise.
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Ceux qui courent dans les escaliers quand ils entendent le métro qui arrive et, parvenus sur le quai, découvrent que c’est celui d’en face.
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Les Dada East, salon de coiffure parisien, rue Trousseau. Voilà qui nous change des Diminu’Tif et autres Imagin’Hair.
 

3 mars 2016


L’averse vient de se terminer ce mercredi matin lorsque je rejoins pédestrement la gare de Rouen. Peu après dix heures, sous le ciel bleu parisien, je pousse la porte du Book-Off de la Bastille d’où je ressors avec peu.
Les bouquinistes ayant pour la plupart désertés le marché d’Aligre pour cause de vacances ou de mauvais temps annoncé, je me rabats sur l’Emmaüs de la rue de Charonne puis par la rue Manuel-Valls, je rejoins la Bastille et poursuis jusqu’à Beaubourg.
Je déjeune dans l’impasse du même nom, chez New New, chinois à volonté, observant comment s’en sortent Papy et Mamie avec le petit Romain. Celui-ci ne voulant pas d’un nem le rejette avec la main dans le buffet. Mamie se fâche et le reprend pour le mettre dans son assiette à elle. Papy fait un bisou sur la main du coupable. A ma droite mange un trio d’employé(e)s de la Ville de Paris qui parle boulot. L’une fait tomber mon écharpe en allant se resservir, un autre la ramasse et est choqué que je ne lui dise pas merci. A ma gauche un jeune barbu mange d’une main tout en tenant avec l’autre un roman policier tout près de ses yeux. Je n’ai aucun souci avec lui.
Sorti de là, j’entre au Centre Pompidou, fais un tour rapide de l’étage « Art Moderne » où je suis autant intéressé par le nombre élevé de jolies filles que par les œuvres exposées puis je descends au quatrième pour voir l’exposition Gérard Fromanger.
Je passe ensuite chez Boulinier, place Joachim-du-Bellay, avec une intention précise : trouver un Guide du Routard Normandie plus récent que celui que je possède et qui date du siècle dernier. Les dieux sont avec moi car dans le bac « tout venant » à vingt centimes, le seul livre franchement apparent est ce guide dans sa version deux mille trois. Me voilà paré pour Cherbourg.
Un bus Vingt et Un me rapproche du quartier Opéra Garnier. J’en descends à Palais Royal pour finir le trajet à pied bien que le ciel soit devenu très gris mais je ne peux entrer dans le jardin. Une affichette annonce que s’y déroule un choutigne photo pour le magazine Vogue US. Je contourne donc le bâtiment, prends un café à la Clef des Champs puis entre au deuxième Book-Off
Un quinquagénaire y demande à consulter des livres de la collection Fleuve Noir Anticipation non encore mis en rayon. Une employée refuse, mais il insiste lourdement : « Je vous en prie, je suis un collectionneur, j’ai mon carnet là avec moi où sont notés les numéros que j’ai déjà, je ne peux pas revenir plus tard. » Elle maintient son refus. « Je vous en supplie, je veux bien me mettre à genoux devant vous, je peux vous donner mes papiers, ma carte bancaire, tout ce que vous voulez. » Cela dure un moment jusqu’à ce qu’elle cède. Il énonce le numéro de chaque livre à voix haute. Sa femme, carnet en main, lui dit s’il l’a ou non. J’imagine que ce ne doit pas être drôle tous les jours pour elle.
A peine sont-ils partis qu’un coup de tonnerre se fait entendre. Il est suivi par une chute de neige du plus bel effet.
-C’est pas juste, s’exclame l’employée blonde, je devais pas travailler ce mercredi, j’aurais pu jouer dans la neige… enfin sous la neige.
Je reste donc un peu plus longtemps que nécessaire dans la boutique, mettant un livre supplémentaire dans mon panier : Soliloques de l’exil de Samuel Brussell (Grasset), dont l’un des chapitres est intitulé « Mais où est le parapluie ? ». Il est dans mon sac et je n’en ai pas besoin car la neige cesse.
Ayant rejoint Saint-Lazare, je m’installe dans le train de dix-huit heures cinquante  La voix du chef de bord s’y fait entendre :
-Trois toilettes sur cinq sont indisponibles à bord de ce train, nous vous souhaitons néanmoins un agréable voyage.
 

2 mars 2016


N’ayant pas cette année été chercher le programme du Conservatoire de Rouen, j’aurais presque pu manquer la présentation des travaux de mi-année de la classe d’art dramatique que dirige Maurice Attias, si celui-ci ne m’en avait averti.
-On vous a réservé une place numérotée, me dit-il ce lundi lorsque j’arrive trop tôt comme d’habitude au Théâtre de la Chapelle Saint Louis.
Je le remercie mais préfère ma place habituelle, au milieu du quatrième rang. Avant de pouvoir y poser les fesses, je rentre au chaud et me poste près de l’entrée de la salle. Je suis bientôt obligé de m’employer comme portier, le nombre de personnes s’imaginant qu’une porte qu’elles ont ouverte doit se refermer automatiquement derrière elles étant important.
-Cela va durer combien de temps ? demande un septuagénaire.
-Deux heures pour la première pièce, puis un entracte et encore à peu près une heure pour la deuxième. C’est pour ça que ça commence à dix-neuf heures.
Il s’effraie de devoir rentrer si tard (vingt-deux heures trente).
Je suis évidemment le premier à pénétrer dans la salle et m’installe là où j’aime. À ma droite est bientôt une jolie fille et à ma gauche la mère d’un comédien ou d’une comédienne. Elle ne veut pas être plus près, craignant un croisement de regard. C’est vite plein, et même davantage pour cause de réservation cafouilleuse.
-On a dû renvoyer quelques personnes en leur promettant une place demain, annonce Maurice Attias. On verra.
Il présente rapidement les deux pièces : Innocence de Dea Loher et Martyr de Marius von Mayenburg, deux auteurs allemands contemporains (inconnus de moi) qui évoquent des sujets d’actualité puis indique que ce soir les élèves seront soumis à la notation d’un jury composé de gens du métier. « Le théâtre, c’est bien », conclut il. On va voir.
Pour Innocence, le plateau incliné est bord de mer, toit de la tour des suicidés, intérieur familial ou tout autre lieu. S’y succèdent le temps de courts tableaux des immigrés qui laissent une femme se noyer, un jeune couple chez qui la mère de la femme, diabétique amputée, vient s’installer tout en rêvant du jour où elle allumera une cigarette près d’une cuve d’essence (le mari ayant trouvé un travail comme croque-mort se prendra de passion pour cette activité au point d’en négliger sa femme), deux jeunes hommes qui sautent du toit en se donnant la main, une autre femme prête à tout pour exister jusqu’à se faire passer pour la mère de l’assassin de la fille d’un couple qu’elle vient harceler, une jeune aveugle qui danse quasi nue pour les hommes dans un bar du port (l’un des deux immigrés du début ayant trouvé Dieu dans un sac en plastique sous forme d’un gros tas de billets le dépensera inutilement dans l’espoir de lui redonner la vue), je n’en dis pas plus, si ce n’est qu’un livre titré La non fiabilité du monde est évoqué à plusieurs reprises. Cette plongée dans un univers déglingué ressemblant au nôtre est à mon goût et les deux heures sont vite passées.
Le dispositif est le même pour Martyr mais cette fois les apprentis comédiens attendent leur tour sur les côtés, faisant à la fois les spectateurs de leurs camarades et les élèves d’un gymnasium où l’un, Benjamin, par une trop forte lecture de la Bible devient intégriste. Il refuse de se déshabiller à la piscine à cause des filles en bikini, se met nu pour protester contre un cours sur le préservatif, se transforme en singe quand il est question de la théorie de l’évolution, en arrive à songer à exterminer qui ne pense pas comme lui. La Bible possédant autant de ressources que le Coran pour transformer un esprit fragile en terroriste, elle permet à Marius von Mayenburg d’évoquer le danger du moment sans attaquer directement la religion concernée. Je n’ai pas trop le goût du théâtre à message mais ici je trouve quand même mon compte car sont bien montrés la mère dépassée, les profs qui font face mais dont l’action est sabotée par un chef d’établissement prêt à tous les compromis, le prêtre en visite tout aussi lâche.
Cette année, il y a davantage de garçons que de filles chez les seize apprentis comédiens et on en trouve plusieurs qui sont issus de la diversité (comme il convient de dire). Je les trouve tous bons ou très bons. ils n’ont pas fait d’erreur en s’engageant dans cette voie. Après une chorégraphie finale due à leur professeure Aline Mottier, ils font le plein d’applaudissements et de bravos. J’espère qu’ils auront eu une bonne note.
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Chopé dans le texte de Martyr, cette sentence non dénuée de fondement : La puberté est une maladie mentale temporaire.
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Entre les tableaux d’Innocence : Float chanté par Sandy Dillon (autre découverte).
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Dans la liste des remerciements : les Pompes funèbres Eco Plus (pour un prêt d’urnes funéraires).
 

1er mars 2016


« Il y aura un avant programme dans le foyer avec le chœur accentus » me signale le sympathique placeur en chef qui connaît mon habitude d’entrer dans la salle sitôt les portes ouvertes. « Et puis, ajoute-t-il, le deuxième acte commencera aussi dans le foyer ». Je ne me précipite donc pas à l’intérieur et peux ouïr la série d’airs anciens dirigée par Christophe Grapperon avant de gagner ma place surélevée en fond d’orchestre pour Don Giovanni ce dimanche après-midi.
Cette programmation a fait sortir les bourgeois et bourgeoises qui ne fréquentent le lieu que pour les valeurs sûres, lorsqu’il est bon socialement de s’y faire voir (quelques-unes en manteau de fourrure). On peut aussi y voir des politiciens invités : du socialiste et de l’écologiste. Sont également présents des néophytes attirés par le renom de cette œuvre de Wolfgang Amadeus Mozart, dont devant moi une jeune femme dans les trente-cinq ans qui écrit sur son téléphone : « Je suis à l’opéra. C’est la première fois. Je suis heureuse. Bisous. »
Je lis un peu du livret programme. Frédéric Roels, maître des lieux et metteur en scène, y explique sa vision de l’œuvre. En résumé : ce Don Giovanni n’est qu’un fanfaron fuyant, son valet Leporello est amusant mais pitoyable, il y a les femmes heureusement, Donna Anna, Donna Elvira et Zerlina, qui ont bien des qualités. Ce sera donc correctement politique. Heureusement, le texte de Lorenzo Da Ponte empêche que le libertin se repente à l’issue.
Le décor est un peu là, les ateliers ont eu du boulot. Trois immeubles en fausses pierres, de guingois comme les personnages, délimitent une place où pousse un arbre sans feuilles près duquel est installée une cabine téléphonique grise devenue vinetaige, comme l’est le scouteur Vespa sur lequel déboule Masseto, le niaiseux mari de l’espiègle Zerlina. Quand, pour la scène de danse, on voit descendre des cintres une boule à facettes, je me dis in petto « Oh non, pas ça. » En revanche, j’aime l’idée des « mille e tre » stockées sur la carte mémoire d’un appareil photo que donne Leporello à Zerlina pendant qu’il les chante.
Pendant l’entracte, deux spectateurs à coiffure typiquement Bois-Guillaume se plaignent d’être au deuxième balcon « la faute aux abonnés qui raflent toutes les bonnes places ». Quelques musicien(ne)s s’installent discrètement dans un angle du foyer,  rejoint(e)s par la maestro Leo Hussain qui le moment venu lance le début du deuxième acte que manquent celles et ceux resté(e)s en salle, et l’on voit sur la coursive du balcon Don Giovanni et Leporello se poursuivre et se disputer avec énergie, le valet l’emportant à la fin d’un bras d’honneur. Pour la suite, on va se rasseoir.
Le duo Don Giovanni Leporello fonctionne fort bien grâce au talent de David Bizic et Jean Teitgen, aussi bons chanteurs que comédiens. Laura Nicorescu est une parfaite Zerlina. Matthew Durkan, qui joue son mari Masetto, est le point faible de la distribution, sa voix porte peu et il est emprunté physiquement mais jouant le rôle d’un benêt, cela peut passer. Le reste de la distribution est à la hauteur : Anna Grevelius (Donna Elvira), Marcel d’Entremont (Don Ottavio) et Brigitte Christensen (Donna Anna), bien que cette dernière n’ait pas le physique du rôle. Le Commandeur, joué par Patrick Bolleire, est vraiment effrayant quand il revient de l’outre monde porteur d’épaisses guenilles et de petites lunettes noires.
Don Giovanni exécuté, les copieux applaudissements durent longtemps en direction des chanteurs et chanteuses, du chœur accentus, de l’Orchestre de l’Opéra et de son chef.
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Quelle vie riche et turbulente a eu l’abbé Lorenzo Da Ponte, dont je viens de lire les Mémoires publiés au Mercure de France dans la collection Le Temps retrouvé. Né de parents juifs, baptisé par l’évêque dont il portera le nom, il devra fuir Venise pour s’être mal conduit avec les dames, rencontrera Mozart à Vienne, composera pour lui le livret de ses trois chefs-d’œuvre, rejoindra Prague à la mort de l’Empereur où il croisera Casanova déjà connu de lui à Venise, s’installera à Londres d’où il sera chassé pour dettes, émigrera en Amérique à l’âge de cinquante-six ans avec sa femme Nancy Grahl (ils auront cinq enfants), s’essaiera au commerce du tabac, de l'épicerie et de la librairie avant de devenir professeur de langue et de littérature italiennes au Columbia College de New York
Las, il ne sait pas raconter. Dans ses Mémoires, écrits à l’âge de quatre-vingt-un ans, il se perd dans les généralités et les digressions.
Il mourra à New York à quatre-vingt-neuf ans le dix-sept août mil huit cent trente-huit.
 

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