Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

22 mars 2016


Ma bonne pêche de samedi m’incite à faire un nouveau déplacement à Val-de-Reuil où la vente de livres d’occasion d’Amnesty International se poursuit ce dimanche de Rameaux. Pour ce faire, je dois prendre le train de sept heures douze et me lève donc avec les mouettes.
Je voyage en compagnie de jeunes fêtards en fin de parcours, cravates et nœuds pap de traviole. Ils s’endorment avant Oissel. A l’arrivée à Védéherre, j’ai la chance de trouver Le Tatoo ouvert, un bar que j’ai connu lounge et que je retrouve chinois, tenu par un jeune couple dont l’enfant joue sur tablette.
Il est surtout fréquenté par des hommes d’origine turque ou kurde, comme le kebabier d’à côté, mais aussi par quelques Gaulois, et même des Gauloises, venues là pour gratter, des joueuses, bientôt perdantes. Sans doute y voit-on peu souvent quelqu’un lire. C’est ce que je fais pendant presque deux heures, ayant emporté Lettres de Drancy (Taillandier).
Un peu avant dix heures, je me pointe à la barrière du lycée Marc Bloch où je ne trouve qu’une femme. Elle est d’Amnesty mais n’a pas la clé. Elle me demande ce que je pense de la vente. J’en profite pour lui dire à quel point est insupportable l’homme qui régente la partie livres anciens et livres d’art. Les prix dans cette section n’étant pas comme pour les autres donnés par un code couleur, il faut obligatoirement passer par lui pour en obtenir un, lequel est souvent exagéré et parfois à la tête du client. Certains savent le flatter. J’ai choisi de le boycotter. « C’est un véritable Etat dans l’Etat », dis-je à cette femme d’Amnesty. A sa réaction prudente, je sens qu’aucune révolution démocratique n’aura lieu pour renverser le petit dictateur d’occasion.
A l’ouverture, nous sommes trop peu nombreux pour que je me livre à une facétie. Je révèle mon véritable nom au Préfet sur le cahier prévu à cet effet.
Ma récolte est beaucoup moins importante cette fois-ci, mais rien que pour Une histoire des haines d’écrivains de Chateaubriand à Proust d’Anne Boquel et Etienne Kern (Champs Essais), je ne regrette pas ce deuxième passage.
-Ce qui est bien c’est qu’en plus, on voit les goûts des gens, me dit celle à qui je paie.
-J’espère que vous n’irez pas raconter ça au Préfet, lui réponds-je.
Le train d’onze heures quarante-cinq me ramène à Rouen. Rue du Gros, j’achète une baguette tradition Chez Paul alors que, dans un grand carillonnage, la messe des Rameaux se termine. Sur le parvis, des porteurs de branches vertes discutent avec l’Archevêque en tenue d’apparat.
Un autre de ces porteurs de verdure, vieux bourgeois de la rue Saint-Romain, au moment de rentrer chez lui, se ravise et offre l’un de ses rameaux au clochard dont c’est la place habituelle. Ce dernier contemple le cadeau d’un air circonspect.
-Ça me fait une belle branche, semble-t-il se dire.
                                                                *
L’après-midi, je repasse par le vide grenier Augustins Molière qui dure également deux jours, sans rien trouver mais y croisant Seb Petit, l’agitateur musical polymorphe à cause de qui ce lundi soir je vais au Kalif voir et ouïr Micah P. Hinson.
                                                                *
En passant devant Guidoline où pour le vide grenier l’on vend des bouts de vélo d’occasion, je vois pour la première fois l’ancien café transformé en boutique de bicyclettes, triste spectacle.
 

21 mars 2016


Ce samedi, le train de douze heures douze me conduit à Val-de-Reuil où le groupe local d’Amnesty International organise au lycée Marc Bloch sa vente annuelle de livres d’occasion. Mon vieux fond de malhonnêteté me dit que pour une vingtaine de minutes j’aurais pu me passer d’acheter un billet (même à demi-tarif). Heureusement qu’il n’en est rien, car sitôt passé Oissel, je suis contrôlé.
La gare de Védéherre est toujours en travaux (destiné à la faire plus petite). C’est par un escalier poutrellique que l’on rejoint la terre ferme. Délaissant le bus rouge, je traverse la ville à pied. Elle a évolué depuis que je suis passé par là : nouveau théâtre L’Arsenal, médiathèque Le Corbusier refaite, voie piétonnière sinuante remplaçant l’horreur appelée « la dalle ». Les commerces ont changé aussi (pas en mieux). Identiques sont restées la Maison de la Presse et l’agence immobilière où j’eus, dans les années quatre-vingt, la curieuse idée d’acheter un appartement au numéro trente-sept de la rue du Pas-des-Heures.
La vente ne commençant qu’à quatorze heures, je passe un certain temps au café kebabier turc (ou kurde) dont le personnel et la clientèle sont exclusivement composés d’hommes.
Le lycée est en dehors de la ville. Pour le rejoindre (en avance), je passe devant un nouvel immeuble sur lequel est écrit en gros : Rouen 23 km. A la barrière, je trouve un concurrent, croisé ici ou là, avec qui je lis sur une affichette cette injonction : « Pour des raisons de sécurité, merci de bien vouloir indiquer vos noms et prénoms, merci, bonne journée. »
« Ordre de la Préfecture », nous disent les membres d’Amnesty présents de l’autre côté de la frontière. Des cahiers posés sur des tables sont prévus pour ce que chacun s’accorde à qualifier d’idiotie. Une femme arrive, journaliste, accompagnée de sa vieille mère. Elles peuvent entrer sans laisser leurs noms. Une jeune bénévole doit, elle, obtempérer.
Comme d’habitude, la vente est précédée d’un banquet qu’Amnesty offre aux élus socialistes. La table est moins longue maintenant, suite à la perte du Département et de la Région. Seuls sortent le vieux Député Loncle et le Maire de luxe de Val-de-Reuil Jamet. Ce dernier, usant de ses privilèges, emporte une pile de livres. Il me semble reconnaître, en plusieurs exemplaires, Le Socialisme pour les Nuls (sans doute pour offrir à ses amis du gouvernement).
Quand la barrière nous est ouverte, je laisse un nom d’emprunt sur le cahier : Bernard Cazeneuve. Une deuxième attente nous est imposée à l’entrée de la salle. La journaliste vient nous voir, un verre de vin du banquet à la main. Elle veut savoir s’il y a des bouquinistes parmi nous. Aucun ne se dénonce. Elle tente alors de savoir pourquoi nous venons. Personne n’a envie de lui répondre. Une femme lui conseille de se ranger si elle veut éviter de se faire culbuter quand on aura le droit de rentrer.
La file est longue derrière mais aucun de mes principaux concurrents habituels n’en fait partie. J’en profite, remplissant mes deux sacs. Quand je ne peux en porter davantage, il est l’heure de retraverser la ville à pied en évitant de croiser le Carnaval et de rentrer par le train de quatorze heures vingt-huit.
                                                               *
Mes deux meilleures prises : le numéro d’Europe consacré à Georges Perros et le Journal 1939-1945 de Pierre Drieu la Rochelle.
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Le soir de ce samedi, je suis à l’Opéra de Rouen où je constate que j’aurais dû lire la présentation du spectacle de danse au programme : des extraits de chorégraphies contemporaines donnés par le Groupe Grenade de Josette Baïz (une vingtaine d’apprenti(e)s âgé(e)s de sept à vingt-deux ans).
Le printemps n’est pas encore là mais c’était déjà le gala de fin d’année de l’Ecole de Danse, me dis-je à la sortie, énervé contre moi-même.
 

20 mars 2016


Pas de Rameaux sans un vide grenier rouennais dans le quartier Augustins Molière, non loin de chez moi, et j’y suis donc dès sept heures, ce samedi, alors que l’on s’installe encore. Me souvenant des années précédentes, je n’en attends pas grand-chose mais aller au premier de l’année est un plaisir en soi.
Peu de livres sont à vendre. Une femme tente de me convaincre d’acheter ceux qu’elle vient de lire (Foenkinos, Le Vigan et autres daubes du moment).
-J’ai aussi des trucs plus spécifiques, si je tombe sur des instits, on ne sait jamais, me dit-elle.
On ne sait jamais. Je croise un homme quinquagénaire que sa femme appelle Minou (il aurait dû épouser la Minette de Cherbourg) et aussi le chef des élus F-Haine de la municipalité de Rouen.
En le suivant, je constate que la plupart des exposants professionnels de vieilles choses lui serrent la main amicalement, ce qui conforte la piètre opinion que j’ai d’eux, mais je suis vraiment surpris quand la jeune brocanteuse qui habite près du café L’Interlude l’embrasse chaleureusement (je lui aurais donné la démocratie sans confession).
Je fais encore un tour sous le ciel gris. « Il ne fait jamais beau aux Rameaux », entends-je. Pour ne pas rentrer bredouille, j’achète quelques Malaparte, espérant avoir davantage de réussite l’après-midi à Val-de-Reuil lors de la vente des livres d’occasion d’Amnesty International.
 

19 mars 2016


Ayant poussé, ce jeudi en début d’après-midi, la porte de l’hôtel particulier où s’épanouit l’antenne française de la portugaise Fondation Calouste Gulbenkian (à but non lucratif) au trente-neuf du boulevard de la Tour-Maubourg, près des Invalides, j’ouvre mon sac à la demande de l’homme assis derrière le bureau puis le range dans un casier à clé.
L’entrée est gratuite pour visiter l’exposition Julião Sarmento (La chose, même – The real thing) qui se tient à l’étage.
Julião Sarmento, plasticien portugais vivant à Estoril dont j’ignorais jusqu’à l’existence, a pour thèmes la représentation, le désir et ses mécanismes. Commençant par la deuxième salle, j’y découvre First Easy Piece, une relecture par l’impression Trois Dés de la Petite danseuse de quatorze ans de Degas, nue et manifestement majeure, posée sur « socle de fortune », en l’occurrence trois palettes empilées. Dans la salle suivante, une sculpture en résine et fibre de verre, Forget Me (with bucket), montre une femme sans tête, debout, vêtue d’une robe noire, un seau de miel posé à terre entre les jambes. On la retrouve assise sur une table, porteuse de chaussettes blanches, Kiss me (with form), près d’elle une boîte emplie de punaises. On la voit en dessin aussi sur le mur. Plus loin, Parasite, vidéo murale, montre ce qui apparaît comme un striptise sur la Danse des chevaliers du Roméo et Juliette de Prokofiev, mais est en réalité un habillage projeté à rebours, le parasite étant ce voyeur qui s’attarde avant de passer salle suivante où une sorte d’autel sert de support à de nombreuses photos encadrées de femmes plus ou moins nues, The Real Thing.
Un pas lourd se fait entendre dans l’escalier, celui d’un vigile en noir, sans doute revenu de sa pause alimentaire, venu s’assurer que je ne fais pas de bêtise car je suis seul dans l’exposition. Il me reste à voir les quatre vidéos Lacan's Assumption qui montrent une jolie femme lisant sensuellement une recette de cuisine, puis croisant et décroisant les jambes sans rien montrer, puis lisant tout aussi sensuellement une histoire pour enfants en forme de comptine, enfin respirant bruyamment sur une plage. Lui fait face une porte entrouverte par laquelle disparaît une jeune femme dont on ne voit que la jambe et le pied nus, au sol un plateau où est posé un verre de lait, White Exit.
Je sors moi aussi, après avoir récupéré mon sac et salué, content d’avoir découvert Julião Sarmento, artiste du désir retenu, fuyant, inassouvi.
 

18 mars 2016


Ce jeudi, alors qu’il est question de manifestation contre la Loi Travail et d’ouverture de Livre Paris (anciennement Salon du Livre), deux évènements qui m’auraient intéressé autrefois (naguère pour le premier, jadis pour le deuxième), c’est sans intention de participer à l’un ou à l’autre que je prends le train de huit heures douze pour Paris.
J’y lis la suite d’Intérieur de Thomas Clerc, cependant que ma voisine, charismatique ou évangéliste, se nourrit de Notre pain quotidien dont l’auteur m’est inconnu. Après Mantes-la-Jolie, il est inutile de songer à aller aux toilettes. Son siège sert de place assise. D’autres sont assis dans les marches ou perchés sur des structures métalliques. Les moins débrouillards sont debout. Le contrôleur ne passera plus, physiquement empêché. Pourtant, toutes les places de première ne sont pas squattées. Levant les yeux sur le paysage, je constate que nous passons au ralenti par Chanteloup-les-Vignes puis Maurecourt et Conflans-Sainte-Honorine, ce qui promet une arrivée retardée. Un message du chef de bord donne la cause de ce détournement : « la détresse d’un train francilien ».
C’est donc avec un retard de vingt minutes que j’entre au Book-Off du Faubourg Saint-Antoine. De là, je passe au marché d’Aligre puis chez Emmaüs rue de Charonne, avant d’aller déjeuner même rue, Chez Céleste, d’une petite créole (boudin créole et accras de morue suivie d’un paella vénitienne (c’est-à-dire avec du porc). Le vieux couple à ma gauche ne parle pas, partageant à deux une seule petite créole et se gavant ensuite de pain. Les deux ouvriers à ma droite parlent mais dans une langue qui m’est étrangère.
La ligne Huit du métro me conduit avenue de la Tour-Maubourg où je visite l’exposition Julião Sarmento à la Fondation Calouste Gulbenkian. La douce chaleur que donne le soleil de mars m’invite ensuite à rejoindre pédestrement les parages du Book-Off de la rue Saint-Augustin. Invalides, Concorde, Madeleine, Olympia, Opéra Garnier, en ces lieux touristiques règne une ambiance permanente de vacances.
Après un café à la Clef des Champs dont je plains la serveuse obligée d’écouter avec le sourire un vieux lui raconter qu’hier y avait moins de soleil et qu’il a attrapé du mal, je furète dans le second Book-Off. Illustrant le théorème de la récidive de l’improbable, j’y trouve Plouk Town de Ian Monk (Cabourakis) en première édition grand format (le précédent est un semi poche).
On devrait avoir le droit de choisir qui s'assoit à côté de soi. Dans le train du retour, j’enverrais avec plaisir cette femme qui renifle et se râpe les ongles voyager plus loin. Par bonheur, elle descend à Vernon après s’être fait taxer de cinquante euros par le contrôleur pour défaut de justificatif. Le train ralentit plusieurs fois et prend quinze minutes de retard. Je n’en profite pas pour lire davantage d’Intérieur. Je suis arrivé dans la penderie de Thomas Clerc, il ne reste qu’une dizaine de pages. Je préfère m’en garder un peu pour demain.
                                                            *
Loi Travail, Livre Paris, eux parler simplifié.
 

17 mars 2016


Dernière nuit à l’Appart’City Hôtel de Cherbourg ouvert depuis le printemps dernier (cent une chambres appartements sur cinq étages) où je suis arrivé par la Senecefe qui m’y a proposé la nuit à vingt-neuf euros au lieu de quarante-neuf. Hormis la torture infligée au petit-déjeuner via BéhéfèmeTévé, je n’ai rien à en redire. J’en ai surtout apprécié l’insonorisation : peu de bruit provenant de la rue et aucun des autres chambres et du couloir. Le vrai luxe hôtelier c’est ça, ne pas entendre ses voisins.
Ce mardi matin, je remets à l’accueil ma carte magnétique et le câble Internet loué un euro dix par jour, paie mes petits-déjeuners, laisse ma valise en garde (un euro cinquante en principe, mais on ne me le demande pas) et jette le sac poubelle dans le bac extérieur (comme il est demandé), puis je fais un dernier tour dans Cherbourg, ville où je ne me serai pas ennuyé malgré son peu de ressources.
Pour déjeuner ce sera encore une fois la Brasserie du Commerce (service continu de onze heures à minuit) et pour le café lecture toujours Le Café de l’Etoile (où pour toute commande on vous répond : « Bien sûr ! »), deux établissements que je rêve de transporter jusqu’à Rouen.
A quinze heures quarante et une, je suis dans le mini train pour Caen, arrêts à Valognes, Carentan (cerné par les inondations), Lison et Bayeux. Arrivé à seize heures cinquante-trois à Caen, dont la gare a conservé ses cendriers de quais autorisant qui voyage à ignorer la loi anti-tabac, je m’assois à la même place dans le mini train identique qui part à dix-sept heures quatorze pour Rouen, arrêts au sexuel Mezidon Canon puis à Lisieux, Bernay et Elbeuf Saint-Aubin.
Ce deuxième train va à l’allure d’un petit train touristique circulant uniquement l’été. Cela permet de bénéficier du paysage plus varié que dans la première partie du voyage, la Manche est plate et monotone, le Calvados et l’Eure tout le contraire.
J’arrive à Rouen à l’heure prévue : dix-huit heures cinquante-cinq.
                                                                      *
Mercredi gris à Rouen où je retrouve Le Socrate pour un café et verre d’eau. J’y continue la lecture d’Intérieur de Thomas Clerc (L’Arbalète Gallimard), acheté trois euros à la boutique Un Air d’Emmaüs, place de la Révolution, à Cherbourg, le douze mars deux mille seize à douze heures seize.
Cet Emmaüs est gouverné par une femme à l’allure bourgeoise. Elle bénéficie de deux aides.
L’une : « C’est quoi ce sac ? »
L’autre : « C’est le sac de Madame. »
 

16 mars 2016


Ce lundi à la première heure du petit-déjeuner de l’Appart’City Hôtel, les travailleurs de l’Est ont été remplacés par des travailleurs d’Italie. Le Cotentin est annoncé avec neuf degrés au meilleur de la journée, ce qui en fait la région la plus froide de France malgré le soleil prévu. Cela n’est pas de nature à me faire renoncer à mon escapade à Portbail où j’ai de forts souvenirs. En chemin vers la gare routière, je pense à celles qui m’ont tenu la main dans cette pittoresque bourgade de bord de mer. L’une d’elles, dont la Côte-d’Ivoire est devenue le second pays, doit être bien triste ce matin de l’attentat islamiste qui vient de s’y dérouler.
A neuf heures quarante, je paie mes deux euros trente au conducteur du car. Outre moi-même, une religieuse et deux ouvriers s’y installent et doivent descendre aux Pieux où j’ai des souvenirs plus anciens, de quand j’ai marché, dans les années soixante-dix, contre la construction de la première centrale nucléaire de Flamanville qui est juste à côté.
Tandis que la bonne sœur se bouche mentalement les oreilles pendant que la radio diffuse Je t’aime moi non plus, l’un des ouvriers parle avec le chauffeur des politiciens qui sont tous des bandits puis brusquement il s’en prend aux instituteurs qui ne travaillent que dix-huit heures par semaine pour deux mille cinq cent euros par mois, faudrait les obliger à donner des leçons particulières en plus. Je me garde d’intervenir, ne voulant pas supprimer à cet envieux son plaisir de jalouser.
Après Les Pieux, je voyage seul et arrive à onze heures comme prévu. Le car s’arrête à l’entrée de Portbail, juste avant la chambre d’hôtes Les Courlis où j’ai nuité autrefois, alors que le guilleret carillon de l’église fortifiée se fait entendre. Je fais le tour du bourg, photographiant la devanture du salon Savoir Coif Hair (femmes hommes enfants chignons), passe par la rue Trousse Cotillon où exerce un masseur, n’ai pour déjeuner que la possibilité du Rendez-Vous des Pêcheurs et c’est tant mieux, je l’ai déjà pratiqué. La cuisine y est familiale, à base de produits frais et locaux.
Quelques hommes du pays sont accrochés au comptoir. La patronne m’installe dans la petite salle du bas qui a vue sur le pont aux treize arches. Un trio de retraités transis et un duo composé d’un quinquagénaire et d’une octogénaire qui se vouvoient complètent ce rez-de-chaussée. Pour les autres, ce sera à l’étage. J’opte pour le menu du jour à douze euros trente: tartines de chèvre au miel, curry de porc accompagné d’excellentes frites dorées, mousse au chocolat, que j’accompagne d’une bouteille de cidre de Portbail, maison Flambard, bio et fermier. Avec le café, cela fait vingt-deux euros soixante.
Malgré le vent frais et la bonne distance que cela représente, je décide de franchir le pont aux treize arches et d’aller tout au bout de la route, ce que je n’ai encore jamais fait. Je passe près de l’école de voile, d’une grande bâtisse aux volets blancs fermés nommée Sainte Marie de la Mer, d’un campigne laid, d’un centre équestre et arrive à la plage, face à la mer, où se trouve le Centre de Classes de Mer des Pupilles de l’Enseignement Public de la Seine-Saint-Denis. Quelques jeunes adultes s‘y trouvent mais aucun enfant n’est visible.
Au retour je m’arrête au Repère, le bar de l’école de voile, dont les lampes sont allumées dehors comme dedans. Las, les portes sont fermées et nul n’est visible à l’intérieur. Je poursuis jusqu’au bourg et pousse à nouveau la porte du Rendez-Vous des Pêcheurs. Le café y est fort bon, ne coûte qu’un euro vingt et est accompagné d’un mini Twix. Je poursuis là ma lecture d’Intérieur de Thomas Clerc, visitant sa cuisine jusqu’à ce que la serveuse annonce que la maison va fermer. Dix minutes plus tard arrive le car du retour dans lequel nous sommes encore quatre à voyager.
                                                                    *
Au Rendez-Vous des Pêcheurs, un homme d’ici à propos de la Centrale Heupéherre de Flamanville dont la construction accumule les retards et les ennuis:
-Peut-être qu’au fond ils savent qu’elle ne pourra jamais fonctionner mais tant qu’ils touchent leur salaire à la fin du mois ils continuent. J’ai connu ça moi quand je faisais des forages pour le gaz au Venezuela, on savait qu’on n’allait rien trouver, on creusait quand même puisqu’on était payé pour ça, en plus c’était moins dangereux.
 

15 mars 2016


Je me doute que ça ne va pas être ma meilleure journée au « bout du monde occidental » (comme écrit Le Guide du Routard) et j’en ai confirmation très vite. Ce dimanche matin à Cherbourg ne sont dehors que des zonards à chiens, des coureurs à pied et des esseulés à baguette sous le bras. Je me perds dans le réseau des petites rues, finis par arriver à l’Arsenal, reviens vers le pont tournant que je n’aurai jamais vu tourner tant le port est peu actif et me réfugie dans l’un des rares troquets ouverts : le Café du Port. Rien à voir avec ceux du même nom que l’on trouve un peu partout sur les côtes, emplis de vieux marins et au décor ancien. Ici c’est plastique et toc mais au moins, buvant un café à un euro vingt, je suis au chaud avec vue sur les bateaux. J’y poursuis la visite de l’Intérieur de Thomas Clerc, précisément de ses toilettes.
A midi, sur le conseil du Routard, je déjeune près de l’Hôtel de Ville à La Cale, « le rendez-vous des voileux ». L’été peut-être mais pas ce jour, bien que la décoration, avirons cordages, et les marinières des serveuses fassent tout pour. Devant moi est installée une famille. Grands-parents, parents et petite sœur fêtent les seize ans d’un branlotin qui a le droit de boire du vin. A ma droite est un couple de quinquagénaires qui étudie la liste des objets militaires mis aux enchères à la Salle des Ventes dans l’après-midi. Derrière moi est un Anglais seul. A ma gauche est un jeune couple qui parle jardinage bio tout en mangeant des burgueurs avec des frites. Ces deux-là sont pressés, voulant aller à la pharmacie de garde. C’est elle qui tousse mais c’est lui le malade. J’espère qu’il n’est pas contagieux. J’ai choisi le Menu du Marin : assiette de bulots, moules marinières frites (celles-ci décongelées vraiment pas bonnes, le reste quelconque) et pour finir une tarte fine qui sauve un peu le repas, lequel avec un quart de vin de Touraine, frôle les trente euros. Grand dommage que la Brasserie du Commerce ferme le dimanche.
Quoi faire ensuite en ce jour où, s’il fait soleil, il souffle un vent frisquet. Rien d’autre que rentrer à l’Hôtel, écrire et lire, enthousiasmé que je suis par le livre de Thomas Clerc, après avoir été globalement déçu par Plouk Town, de l’oulipien poète anglais résidant à Lille Ian Monk, dont il est impossible de donner un extrait (le texte ne vaut que par sa totalité) mais que son éditeur, Cambourakis, présente ainsi : « Une description crue et terriblement lucide du quotidien des habitants d’une banlieue populaire du Nord de la France. Un quotidien rugueux, parfois sordide, fait de labeur abrutissant ou de désœuvrement, d’existences noyées dans l’alcool ou submergées de violence, auxquelles seuls les néons du supermarché ou les lueurs du petit écran apportent un semblant de lumière... ». Tout cela est vrai mais il y a du bon et du moins bon, des redites, des facilités, dans cette évocation de la vie quotidienne des lieux urbains périphériques où personne ne choisît de vivre.
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Sont né(e)s à Cherbourg, outre Jacques Rouxel : Jean Marais, Roland Barthes, Annie Saumont, Rosette, Françoiz Breut et Lise de la Salle. En revanche, nul(le) qui compte pour moi n’y est mort(e). Dommage, une visite au cimetière aurait pu éclaircir mon dimanche.
 

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