Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

30 novembre 2017


Celles et ceux qui tiennent à s’asseoir à la place indiquée par leur réservation en sont pour leurs frais ce mercredi matin. Le confortable train corail de sept heures cinquante-neuf pour Paris est remplacé par un deux étages à sièges colorés. Dans ce genre de train les contrôleurs ne font pas de premier passage avant de vérifier les billets. Aucun contrevenant ne se trouve dans la voiture où je lis le Code des gens honnêtes de Balzac.
Comme souvent je suis le premier à pénétrer chez Book-Off, rue du Faubourg Saint-Antoine. Je n’y achète guère. Au marché d’Aligre, où certains font de louches affaires autour d’un banc, je ne trouve pas le moindre livre à mon goût et pas davantage chez Emmaüs.
Bien que le ciel soit de plus en plus gris, c’est à pied que je poursuis. Les premières gouttes tombent peu avant que j’arrive impasse Beaubourg. Le restaurant chinois New New est heureusement réouvert. J’y déjeune près d’une femme et d’un homme quinquagénaires, des amis qui se voient peu. Elle lui raconte comment son grand-oncle de quatre-vingt-quatorze ans s’est fait voler par un faux employé du gaz et deux policiers tout aussi faux, bien qu’il connaisse le truc.
Il ne pleut plus quand je ressors. Ayant dans un moment d’optimisme récemment renouvelé mon adhésion au Centre Pompidou pour deux ans, j’inaugure ma nouvelle carte avec l’exposition André Derain (1904-1914, la décennie radicale).
Cette présentation d’une décennie d’œuvres de celui que je qualifierai de second pinceau est vaste et peu fréquentée. Aussi puis-je bien voir ces tableaux allant du fauvisme au réalisme magique en passant par le cubisme cézannien. Certaines salles sont géographiquement centrées, conséquence des séjours de l’artiste à Chatou, Collioure, l’Estaque, Londres, Cassis, Martigues et même Montreuil-sur-Mer. D’autres sont consacrées à des thèmes déjà exploités par d’autres : la danse, les baigneuses. De quoi être intéressé mais sans plus, et aimer ça sans excès (hormis la salle du réalisme magique qui ne me dit rien).
En épilogue est montré La Chasse, un tableau postérieur à la décennie qualifiée de radicale. Datant des années trente-huit à quarante-quatre, il peut faire songer au Douanier Rousseau, en moins bien.
Finalement, ce que j’aime surtout chez Derain, ce sont ses dessins.
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Sur la piazza le mobile de Calder vient d’être remplacé par le pouce de César, devant lequel se photographient les touristes. Ce doigt peut faire songer à une bite. Les associations de bien pensants demanderont-elles son retrait ?
 

29 novembre 2017


Lecture est faite de l’Eloge du sein des femmes (ouvrage curieux) de Claude François Xavier Mercier de Compiègne, texte du dix-huitième siècle republié en deux mille douze dans un format presque carré de couleur rose par Chiron Editeur sous le titre Eloge du Sein. L’auteur y cite régulièrement des poèmes de Clément Marot et d’Isaac de Benserade. Je passais souvent devant la maison natale de ce dernier l’année où je vécus à Lyons-la-Forêt.
Mercier de Compiègne a tout un chapitre concernant le sein et l’allaitement. Il y évoque notamment la relation entre la tétée et le plaisir sexuel :
Il est reconnu que la succion du lait éveille des sentiments de volupté au bénéfice de l’appareil générateur. Cabanis disait que des nourrices lui avaient fait l’aveu qu’elles devaient à l’enfant qu’elles allaitaient de véritables jouissances.
Cela m’était bien sûr connu. En revanche, jamais je n’avais eu connaissance d’une histoire telle que voici :
N’est-ce pas à cette corrélation, à cette excitation génésique provoquée par l’allaitement qu’il faut attribuer le fait de luxure inouï, diabolique, que rapporte M. le docteur Andrieux ? Un enfant, qu’on avait pourvu d’une nourrice jeune et vigoureuse, dépérissait chaque jour. Les parents affligés cherchaient en vain la cause de cet état : on finit par la découvrir. Mais où trouver des mots pour exprimer leur surprise  et leur colère, quand ils trouvèrent cette malheureuse, extenuée, délirante, avec son nourrisson qui cherchait encore dans une succion affreuse, et inévitablement stérile, un aliment que les seins n’auraient pu donner !!! Pour parvenir facilement à son but, elle attendait que le cri de la faim se fit entendre ; l’enfant, dans cet instant, ouvre la bouche comme pour chercher le sein, il saisit alors avidement le bout d’un doigt, ou tout corps quelconque souple et arrondi qu’on place entre ses lèvres, et exerce immédiatement sur lui des efforts répétés de succion.
Les exemples d’une pareille dépravation doivent heureusement être fort rares.
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Autre lecture : La moustache d’Adolf Hitler d’Alain Jaubert (L’Infini/Gallimard), recueil d’articles et de conférences dudit. Dans l’un de ces textes, il évoque le neurologue Duchenne de Boulogne (qui a donné son nom a une myopathie). C’était un adepte de l’électricité et de la photographie. Si l’on en juge par ce qui suit, il a bien fait de vivre au dix-neuvième siècle :
Le système de Duchenne culmine dans la troisième parte de son travail où, disposant d’une jeune fille aveugle et docile, il la met en scène, la déshabille, l’habille, la déguise, l’électrise et lui fait jouer tour à tour des scènes de deuil, d’exhibitionnisme, d’extase mystique, d’extase lubrique ou, par exemple, les différentes expressions de Lady Macbeth aux moments clés de la tragédie.
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Donc il ne faudra plus, pour désigner celui qui a écrit un livre à la place d’un autre, employer le mot nègre mais celui de prête-plume. Nègre, cela avait l’avantage de sous-entendre l’esclavage. Prête-plume est anodin, ridicule, vingt et unième siècle.
 

28 novembre 2017


Retour du maestro Oswald Sallaberger à l’Opéra de Rouen pour le dernier concert symphonique de l’année deux mille dix-sept. Celui-ci l’a voulu construit autour de Jean Sibelius afin de fêter le centenaire de l’indépendance de la Finlande. Vive la Finlande donc, qui permet ce samedi soir d’entendre un choix de trois Scènes historiques, à mon grand plaisir.
Vient ensuite le Concerto pour piano en la majeur de Robert Schumann. Le pianiste est Adam Laloum, né en mil neuf cent quatre-vingt-sept, déjà fort renommé, mais inconnu de moi. Cette œuvre de Schumann lui est familière. Il joue sa partie sans partition, plus que penché sur le clavier, dialoguant subtilement avec l’Orchestre. L’un et l’autre sont fort applaudis. En bonus, le talentueux Adam Laloum offre un court solo.
Pendant l’entracte, le vieux couple à ma gauche en troisième rang de corbeille commente benoîtement ce qu’il vient d’entendre et de voir.
-Il a les cheveux longs, Challenger, dit-il.
-Hein ? Qui ça ? demande-t-elle.
-Ah non, je me trompe, Sallabergère.
A la reprise, c’est Réminiscence du Nord de Jon Leifs, une belle découverte dans laquelle vrombissent contrebasses et violoncelles. Enfin retour à Sibelius avec la suite symphonique Pelléas et Mélisande dans laquelle alternent moments de mélancolie et de frénésie. Juliette Raffin-Gay, jeune soprano, y fait une courte apparition, le temps de chanter Trois sœurs aveugles en suédois, ce qui me fait songer aux ami(e)s de Stockholm autrefois abonné(e)s de cette maison. Un beau et long silence suit l’interprétation de la suite de Sibelius avant que l’Orchestre et son ancien chef attitré soient applaudis abondamment.
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Oswald  était en grande forme ce soir, dommage qu’il n’ait pas retrouvé un poste de direction d’orchestre après son remplacement par des maestros successifs jouant souvent l’Arlésienne.
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Dimanche à quatorze heures, retour à l’Opéra où pour l’opération Orchestres en fête ! celui de maison a mis à son programme des extraits de la musique de Star Wars.
Je suis l’un des rares terriens à ne jamais avoir vu un épisode de cette saga, ni même une bande annonce, ni même un extrait vidéo, mais je connais la musique de John Williams, entendue sûrement sur France Culture. Cet après-midi, trois thèmes seront interprétés non seulement par les titulaires de l’Orchestre mais aussi par des amateurs et des élèves de bon niveau. Le chef est Pieter-Jelle de Boer.
Cela se déroule en deux temps. Du premier balcon on assiste à la répétition, le chef faisant comme si on n'était pas là, puis nous descendons pour le mini concert de musique tonitruante.
Et voilà un dimanche après-midi aisément passé. Dans cette ville, c’est le plus souvent une moitié de journée mortifère.
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En décembre, la seule chose à se mettre dans l’oreille à l’Opéra de Rouen sera une version raccourcie du Barbier de Séville, musique adaptée par Thibault Perrine et livret remanié par Gilles Rico. Ce modèle réduit et charcuté sera participatif, ludique et moderne. On ne me reverra donc là-bas qu’en janvier.
 

27 novembre 2017


Du beau monde à l’Opéra de Rouen ce vendredi après-midi ; Françoise Nyssen, Ministre de la Culture, accueillie par Hervé Morin, Duc de Normandie, Centriste de Droite, par Catherine Morin-Desailly, Sénatrice et Présidente de l’Opéra, Centriste de Droite, et par Loïc Lachenal, ambitieux Directeur dudit, est venue saluer l’obtention par cette maison du label «Théâtre lyrique d'intérêt national». Ce nouveau label avait déjà été obtenu par l’Opéra de Lille et par celui de Dijon. Il le sera par tous ceux qui se donneront un peu de mal pour satisfaire à l’arrêté du cinq mai dernier.
Le jour précédent, au Musée des Beaux-Arts, c’était le vernissage de la nouvelle édition du Temps des Collections, dont je me suis dispensé pour ne pas subir encore une fois la série de discours fumeux emplis d’autosatisfaction (je suppose que Jean-Michel de la Matmut en était). Cet évènement nécessitait autrefois la participation d’une célébrité venue de Paris, mais on n’a plus les moyens. Lors de cette festivité artistique, Frédéric Sanchez, Chef de la Matmutropole, Socialiste, a déclaré Rouen candidate au titre de Capitale Européenne de la Culture en deux mille vingt-huit à la surprise d’Yvon Robert, Maire, Socialiste. « Je l’ai appris hier soir, comme tout le monde », a-t-il déclaré le lendemain au site de d’information 76actu.
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Intérêt national, capitale européenne, où s’arrêtera cette grenouille ?
Ma modeste suggestion : faire de Rouen la première ville du monde en y organisant le concours de Miss Univers.
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Ce désir d’être jugé d'intérêt national doit être un complexe provincial. Espère-t-on voir à l’Opéra de Rouen des spectateurs venus de toute la France et s’y déplacer les critiques musicaux des revues spécialisées et de la presse à pages culturelles ?
La seule salle de spectacle qui amène dans cette ville un public venu de Paris, de Caen ou d’ailleurs est le Cent Six, Salle de Musiques Zactuelles, qui ne se targue pas d’être d'intérêt national.
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Evènement notable de la dernière saison de l’Opéra de Rouen, un soir que je n’y étais pas, l’intrusion de porteurs de masques de chat qui firent voler du premier balcon des tracts accusant Laurent Laffargue, le metteur en scène de La Bohème, du viol d’une de leurs amies et de l’agression d’autres, cela entraînant l’arrêt du spectacle et l’évacuation du public.
Où en est-on cinq mois plus tard ? Laurent Laffargue n’est pas poursuivi, la présumée victime de viol ayant déclaré qu’ivre il l’avait draguée mais que ce n’était pas allé plus loin. Quant aux intrus, ils sont toujours poursuivis pour « entrave à une manifestation artistique » mais n’ont pas été identifiés.
 

25 novembre 2017


Ce jeudi vers quatorze heures arrivent les deux ouvriers de l’entreprise de serrurerie choisie par ma propriétaire, après une demande de plusieurs devis, pour renforcer ma porte côté jardin, suite à la tentative d’intrusion dont je fus victime il y a plusieurs semaines. Voyant qu’ils portent des casques antibruit autour du cou, je me doute que ça va en faire mais je n’imagine pas à quel point.
Bientôt, c’est une ambiance sonore de cabinet de dentiste à la puissance dix. Il s’agit d’installer un renfort métallique et une serrure trois points. Comme cela se passe dans le jardin, mes voisin(e)s en profitent autant que moi et doivent me maudire.
A dix-sept heures, c’est enfin terminé. L’ouvrier qui était venu faire le devis me remet deux clés. Le moyen d’en faire d’autres sera gardé à l’agence immobilière gérant ma location.
« Vous avez eu affaire à un amateur », m’avait-il dit lors de son premier passage. « Mais avec quelqu’un qui aurait su comment s’y prendre, votre porte n’aurait pas résisté longtemps », avait-il ajouté. La voilà bien renforcée grâce à ma bienveillante propriétaire et moi-même tranquillisé.
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Ce même jour débute l’opération commerciale nommée Marché de Noël. Cette année celui-ci fait des métastases rue de Carmes. Aller d’une moitié de Rouen à l’autre sans subir cette nuisance visuelle, sonore et olfactive devient donc un peu plus compliqué.
L’une des solutions est d’utiliser le transept de la Cathédrale comme raccourci pour passer de la rue Saint-Romain à la place de la Calende (ou l’inverse). Ce que je vais faire une ou deux fois par jour.
Quand l’ébouriffant Stéphane Bern, Royaliste, chargé par Emmanuel Macron, Président, de sauver le patrimoine en péril, réussira à rendre payante l’entrée de ces édifices religieux, j’espère qu’il songera à un système d’abonnement pour les usagers de mon espèce.
                                                           *
Black Friday ou pas, la plupart de celles et ceux qui parcourent les rues rouennaises de l’hypercentre le vendredi comme les autres jours ouvrés n’ont qu’un objectif : acheter des choses avec les sous obtenus en travaillant plus qu’il ne faut.
Oh la la la la vie en rose… et ses noires manipulations.
 

24 novembre 2017


J’arrive un peu tôt à la gare de Rouen ce mercredi matin. Plutôt que descendre tout de go sur le quai deux où il fait frais, je m’assois sur un siège rouge face à une jeune fille dont la posture offre à mon regard une culotte blanche sous des collants noirs et à une femme qui se maquille de façon maladive.
Quinze minutes plus tard, je trouve place dans le sept heures cinquante-neuf. « Il sera direct et sans arrêt jusqu’à Paris », annonce la cheffe de bord. Le pléonasme n’est pas garanti. Il arrive que ce train s’arrête au milieu de nulle part. Ce ne sera pas le cas cette fois, bien qu’un séreux ralentissement l’ait laissé supposer pendant quelques minutes.
Le beau temps est assuré pour cet avant-dernier mercredi de novembre, donc point d’exposition à mon programme parisien. Il commence par la vente d’un sac de livres chez Book-Off Quatre Septembre. Mon gain est de onze euros cinquante dont je dépense trois pour l’achat de trois livres.
De là, je vais en métro jusqu’à Ledru-Rollin afin d’explorer le marché d’Aligre. Un vigile surveille désormais les arcades de l’immeuble en demi-lune sous lesquels s’installaient de plus en plus de biffins. Au mécontentement des copropriétaires, ai-je lu dans Le Parisien. A l’un des vendeurs officiels de la place, j’achète pour deux euros la Correspondance, publiée chez Gallimard, d’Efratia Gitaï, la mère d’Amos Gitaï.
Je me dirige ensuite vers Emmaüs afin d'y déposer un livre que m’a refusé Book-Off. passant pour ce faire par le passage de la Main d’Or. Les affiches de l’antisémite sont encore en place sur la façade du théâtre dont il vient d’être définitivement expulsé.
Après un confit de canard pommes sautées salade côtes-du-rhône au Péhemmu chinois, je me rends dans le port de l’Arsenal afin de jouir du soleil radieux en poursuivant la lecture du Tour du monde d’un sceptique d’Aldous Huxley commencée dans le train. Près de moi sont assis deux jeunes collègues de travail mangeant chacun sa boîte de lentilles. Elle lui explique, cahier en main, comment elle planifie sa vie, se donnant des objectifs dans tous les domaines puis faisant des bilans et de nouvelles projections. Cette fille est hallucinante et j’aimerais en savoir plus sur son compte, mais ils retournent au travail.
Le port et le jardin sont tranquilles. L’Arsenal est un endroit discret, presque secret. Il faut trouver comment y aller. Malheureusement, quand la Mairie de Paris va supprimer le rond-point de la Bastille, elle va faire construire un escalier monumental permettant d’y accéder directement depuis la place, par lequel arrivera la foule.
Vers le milieu de l’après-midi, je remonte sur cette place de la Bastille. Elle est en ébullition. De nombreux camions de Céheresses y sont garés et la circulation automobile régulée. J’entends que c’est à cause d’une manifestation. Quand je ressors du Book-Off Saint-Antoine avec une provision d’ouvrages de chez Picquier, un convoi de la Gendarmerie Mobile, gyrophares en bataille, remonte la rue, mais toujours pas la queue d’un manifestant. C’est une journée police partout manif nulle part.
Un bus Vingt bondé me ramène à Saint-Lazare. L’habituelle bétaillère de retour à Rouen est en place voie vingt-deux mais je ne peux aller m’y asseoir avant l’affichage officiel. Des sous-traitants  de la Senecefe barrent le quai. Ils sont là pour vérifier les billets avant l’accès au train. Devant eux des portiques anti-fraude sont en cours d’installation, qui sont censés les remplacer.
                                                     *
Au Péhemmu chinois Le Rallye, l’une de mes deux voisines à sa collègue de travail à propos d’un troisième :
-Il est pas bien en ce moment. Je crois que sa femme s’est barrée. Tu le gardes pour toi, hein ?
                                                     *
Publicité du métro « Price Minister, vendez en un seul clic ». J’aimerais bien mais j’en suis toujours au même point avec eux. Bloqué. Ayant réussi, après un quart d’heure d’attente, à joindre une jeune femme du service clients, elle a été incapable de me répondre précisément. J’ai donc eu droit à un  « « Je vais faire remonter, d’ici la fin du mois on revient vers vous ».
                                                    *
Presque un million et demi d'euros ont été dépensés par Hervé Morin, Duc de Normandie, Centriste de Droite, pour installer les portiques anti-fraude des voies vingt-deux à vingt-quatre de la gare Saint-Lazare, apprends-je du site d’information Tendance Ouest.
Cela afin d'empêcher quelques indélicats ou fauchés de monter dans des trains où ils auraient rapporté de l'argent en se faisant choper par les contrôleurs.
Et quand on sait que les portiques installés à Montparnasse restent toujours ouverts…
 

23 novembre 2017


Musique contemporaine ce mardi soir à l’Opéra de Rouen, il reste donc de la place et cela me permet de n’avoir pas de voisin à ma gauche, ni à ma droite, au rang de corbeille où j’ai siège confortable. Mieux, les quatre fauteuils situés à ma droite sont libres. Hélas, celui qui occupe le cinquième est du genre à tousser sans retenue. Ce qu’il fait durant Mestre Claudinei pour violoncelle et guitare d’Arnold  Marinissen, la courte composition de deux mille quinze servant d’apéritif.
Thierry Pécou prend le micro pour donner des éclaircissements sur le déroulement de ce concert titré L’autre minimalisme. Point de chemise exotique pour lui ce soir, il est vêtu de noir comme tou(te)s les musicien(ne)s de l’Ensemble Variances. Seul son nœud papillon témoigne de la fantaisie vestimentaire qui lui est coutumière (peut-être signé Sylvain Wavrant, je suis trop loin pour le bien voir).
Il se met au piano pour son Nanook, trio pour clarinette, saxophone et piano inspiré du vrai faux documentaire de Robert Flaherty. Cette musique a pour effet d’endormir le tousseur. Ses ronflements sont discrètement interrompus par sa femme.
Retour au néerlandais Arnold Marinissen, celui-ci parle français. Une inconnue de l’Opéra en profite pour lui poser quelques questions sur Métisse, pour flûte, clarinette, saxophone, percussions, guitare électrique, piano, violoncelle et contrebasse dont c’est ce soir la création mondiale. Nous apprenons ainsi que son inspiration fut la musique chilienne mais qu’à terme il n’en reste rien. Qu’importe, il suffit de se laisser porter pour apprécier cette œuvre dans laquelle à part le trio piano, guitare électrique, percussions, tous les autres instruments sont interchangeables, ce qui garantit une interprétation nouvelle à chaque fois.
A l’entracte, un duo bien informé m’explique que la suppression des abonnements décidée par Loïc Lachenal, nouveau Directeur de la maison, est la conséquence d’une réflexion et de projets qui la justifient. Dommage que la lettre circulaire annonçant la mauvaise nouvelle ne les ait pas évoqués.
A la reprise, c’est l’ardent Sextuor pour flûte, saxophone, clarinette, cor, basson et piano de Thierry Pécou puis, en création française, du paisible Life (avec projection d’un film de Marijke van Warmerdam) pour saxophone (et clarinette), percussions, piano, guitare, violoncelle et contrebasse de l’autre néerlandais de la soirée, Louis Andriessen, une musique qui sonne parfois japonais. Le film fait partie de l’œuvre, a expliqué Pécou, il ne s’agit pas de l’illustration de l’une par l’autre ni de la réciproque. On y voit notamment des feuilles mortes poussées par le vent dans un quartier d’entrepôts désert et un couple âgé assis sur un banc au bord d’un lac dans lequel je les imagine aller se jeter lorsque l’hiver aura succédé à l’automne.
Tout m’a plu ce soir. D’autres sont pressés de partir. Ils manquent le bonus. Alors que Thierry Pécou annonce qu’il s’agira d’une composition de l’autre minimalisme, précisément de Philip Glass, le tousseur ronfleur, sa femme en remorque, choisit de sortir. Je me lève en jurant (comme on dit poliment) afin qu’ils puissent passer. La musique de Philip Glass, outre le plaisir qu’elle me donne, a pour vertu de m’apaiser.
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Un type qui tousse, qui ronfle, qui oblige d’autres spectateurs à se lever avant la fin d’un concert, devrait être définitivement interdit d’entrée à l’Opéra de Rouen.
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Y entendre la musique de Philip Glass me ramène à l’heureuse époque où il était lui-même sur la scène. On verra si l’ambitieux Loïc Lachenal sera capable de proposer des évènements de même ampleur.
 

22 novembre 2017


C’est le titre qui m’a conduit à acheter Chroniques parisiennes de Kurt Tucholsky, publié chez Rivages poche/Petite Bibliothèque, un inédit est-il précisé en quatrième de couverture, car jamais encore je n’avais croisé le nom de Tucholsky, un petit Berlinois rondouillard qui veut empêcher une catastrophe armé  de sa machine à écrire, selon Erich Kästner.
Journaliste et écrivain berlinois, il vécut à Paris de mil neuf cent vingt-quatre à vingt-huit en qualité de correspondant de la Weltbhüne, importante revue de la République de Weimar. En mai mil neuf cent trente-trois, il aura ses livres interdits et brûlés avant que les nazis ne le déchoient de sa nationalité le vingt-cinq août de la même année. Tucholsky mourra deux ans plus tard à Göteborg d’une surdose de somnifère à l’âge de quarante-cinq ans.
Malheureusement ses chroniques sont manichéennes. Le Français (comme il dit) n’a que des qualités et l’Allemand tous les défauts. Exemple :
Le métro parisien est plein à craquer. En seconde classe, les gens sont serrés comme des sardines –rien de neuf pour nous autres Berlinois. Or, jamais ou presque vous n’entendez une parole blessante. (…) On n’a pas non plus l’esprit abreuvé d’offensive comme en Allemagne.
Cette succession de clichés est lassante et nuit à l’intérêt du livre.
Heureusement, deux Chroniques parisiennes sont consacrées à certaines particularités de l’usage du français.
La première a pour sujet le vicieux « d’ailleurs » qui autorise toutes les perfidies et défait ici les réputations, en douceur sans bruit ; et les petits éclats de pierre qui chaque fois s’effritent un peu plus du superbe édifice tombent presque imperceptiblement. Ainsi dans « Son mari, qui d’ailleurs fréquente un monde un peu spécial… »
La seconde a pour sujet le décourageant Ah ça… ! qu’il faut savoir entendre et comprendre : « Ah ça » est autrement plus léger et gracile que le refus allemand. (…) Quand un Français vous dit « Ah ça », vous avez atteint le point où bien souvent il n’y a plus rien à faire.
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En épigraphe aux Chroniques parisiennes de Kurt Tucholsky ceci de Charles Péguy : Un mot n’est pas le même dans un écrivain et dans un autre. L’un se l’arrache du ventre. L’autre le tire de la poche de son pardessus.  
Rien ne me déplait davantage que la littérature tripale. Seuls m’intéressent les écrivains à pardessus. Surtout s’ils en ont plusieurs. Au besoin empruntés à d’autres.
 

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