Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

9 avril 2018


Au tour de Jacques Higelin de mourir, après avoir survécu à bien des abus, malade depuis un certain temps d’on ne sait quoi. La nouvelle m’attriste et rend également triste celle avec qui je l’ai vu en concert, comme me le dit le message qu’elle m’envoie de Nancy ce vendredi après-midi.
Au milieu des années soixante-dix les disques d’Higelin (avec ceux de Ferré) étaient sans cesse sur ma platine dans les trous perdus de l’Eure où je faisais l’instituteur, en maternelle au hameau de Garel, en classe unique à Champigny-la-Futelaye puis au hameau des Taisnières.
De cette époque date la première fois où je l’ai vu en concert. J’étais allé à Paris avec ma Quatre Ailes à trois vitesses. Dans un immense hangar près du périphérique se succédaient nombre de chanteuses et de chanteurs. Il s’agissait de sauver Libération dont les caisses étaient vides. Higelin fut le dernier à chanter et cela dura jusqu’à la fin de la nuit. En sortant je croisais mon frère Jacques que je ne savais pas là.
Ce n’est qu’après mon installation à Rouen que je le revis sur scène, notamment fin deux mille cinq ou début deux mille six, pour son spectacle Higelin enchante Trenet. C’était avant que je commence l’écriture de ce Journal.
En janvier deux mille sept, j’étais au Rive Gauche avec celle qui me tenait la main. Les places nous avaient été offertes par ses parents (ils avaient eu deux invitations). Il en reste une trace écrite. Extrait :
Toujours en forme l’artiste, higelinesque en diable, commençant « au minimum » pour bientôt prendre son envol, « tomber du ciel » et se rattraper au branches ; justifiant sa « réputation d’équilibriste », un petit verre de vin rouge pas loin, ses lunettes posées n’importe où, un chien entrant en scène côté jardin et vite rattrapé ; ne sachant pas (Higelin, pas le chien) les paroles des chansons de son dernier disque (vraiment très bien ce nouvel opus) ; se plantant au piano, s’arrêtant, recommençant ; racontant n’importe quoi, parlant par exemple des femmes de France Culture qui posent des questions sur les Esquimaux et en arrivant au projet d’aller « niquer les otaries » ; bref faisant le Jacques comme lui seul sait le faire.
En février deux mille huit, il passe au Hangar Vingt-Trois et j’y suis seul :
La salle est comble maintenant, des assis comme moi et des debout collé(e)s à la scène. Les lumières baissent. Les musiciens entrent et attaquent la première chanson. Le Jacques commence à chanter Je veux cette fille, à l’arrière, invisible : Je veux cette fille/ Cette fille/ Qui était avec moi. Je suis comme lui, mais ce soir, hélas, elle est à Paris (sans doute pas dans son lit).
Le voici dans son grand manteau gris, les cheveux en bataille un peu plus blancs que l’an dernier peut-être, le visage émacié et le regard assuré, apparemment en pleine forme. C’est qu’il n’est plus tout jeune, « né sous les bombes en quarante », comme il dit. Il se glisse devant le piano, se lève, se rassoit, derrière lui ses cinq musiciens mettent la dose, à la guitare un virtuose chevelu et habité, aux claviers un jeune homme discret, au violoncelle un quinquagénaire débonnaire, aux percussions un docteur bricoleur et à la batterie un autre jeune homme qui semble avoir seize ans et qui en a peut-être vingt, applaudissements pour tout le monde et bravos pour les autres.
Je le revois en mars deux mille neuf mais pas sur scène, à l’enterrement de Bashung :
Là-bas sur un autre banc, Higelin est assis avec un de ses amis, près d’une femme à bouquet, se décoiffant régulièrement, comme il sait bien le faire.
Nous étions peu au Père Lachaise, pour la raison que la cérémonie avait lieu avant l’heure indiquée. Je me souviens qu’un des présents lui avait dit, à propos de je ne sais quoi, « C’était le bon temps », à qui il avait répondu :
-Le bon temps, c’est toujours maintenant.
En mars deux mille onze, Higelin est de nouveau programmé au Rive Gauche. Celle avec qui je dois aller à son concert vient de Paris à cet effet, ce qui lui réserve une surprise :
Dans le train, ayant envie d’aller aux toilettes et n’en trouvant pas d’ouvertes, elle s’adresse à un type qui lit Le Canard Enchaîné  vautré sur la banquette d’une voiture de première classe dont il est le seul passager:
-Vous ne savez pas s’il y a des toilettes ouvertes quelque part dans ce train ?
-Ah ça, mademoiselle, il faut poser la question au contrôleur, lui répond-il ironiquement.
Elle se retourne un peu agacée et découvre qu’il s’agit d’Higelin. Elle lui dit qu’elle vient le voir en concert.
-Vous avez des places ? lui demande-t-il.
Oui, elle en a, ou j’en ai, plus précisément. Higelin lui souhaite de trouver des toilettes avant l’heure du concert.
Lors de cette soirée, il y avait en première partie une chanteuse fatigante dont j’omets le nom et il fut trop bavard, ce qui me découragea d’aller le revoir.
                                                        *
Deux souvenirs des concerts d’Higelin auxquels j’ai assisté avant de commencer à les raconter. Son excuse à une arrivée en retard : « Je suis allé me branler sur la tombe d’Apollinaire ». Cette formule revigorante : « La vie est dure, oui elle est dure. Manquerait plus qu’elle soit molle. »
                                                       *
Samedi matin, j’achète Libération. En couverture, une belle photo noir et blanc jouxtée des paroles d’une de ses chansons : Sur la terre/ Face au ciel/ Tête en l’air/ Amoureux. A l’intérieur, seulement quatre pages sur l’artiste, et des plus banales. Ceux qui les ont rédigées ne doivent pas connaître l’histoire du journal dans lequel ils travaillent.
                                                       *
Soixante-dix-sept ans. Higelin, c’était aussi ma balise de dans dix ans. Ses obsèques auront lieu jeudi à quinze heures trente au Père Lachaise et le public y est invité. J’irai sur sa tombe (comme on dit) plus tard.
 

7 avril 2018


Ce jeudi soir, j’arrive évidemment le premier à l’Hôtel de l’Europe, rue aux Ours, où David Lafore est de nouveau invité à donner concert par Georges-André, le maître des lieux ; celle dont j’ai eu l’un des enfants en petite section de maternelle à Val-de-Reuil, lequel a maintenant deux enfants dont l’un a l’âge qu’il avait à cette époque, servant d’intermédiaire entre lui et le chanteur. Tandis que l’hôtelier vaque à des affaires d’hôtelier, je discute avec elle jusqu’à l’arrivée des autres. Pendant ce temps, l’artiste chauffe sa voix en soufflant ou aspirant dans une sorte de tube puis il monte dans sa chambre faire des vocalises.
Les chaises entourent les tables afin que les spectateurs et spectatrices fassent connaissance. Voulant éviter ça, je me case sur une chaise en arrière. Nous sommes une quinzaine, dont des femmes qui parlent de cours de dessin et de pratique du tai-chi. Cela devait commencer à vingt heures trente mais à moins le quart David Lafore circule encore par-ci par-là, jusque dans la cuisine des petits déjeuners.
-On attend le chanteur ? s’inquiète l’un auprès de l’organisatrice.
-Non il est là, avec la veste rouge.
Rassuré, il se penche vers sa voisine :
-Je croyais qu’il s’agissait d’un employé de l’hôtel.
Après avoir été présenté comme « un punk romantique », David Lafore enlève sa veste et son pull, puis il accorde sa guitare électrique en s’interrogeant sur le sens de l’expression « par acquit de conscience ». Certain(e)s y vont de leur suggestion jusqu’à ce que le jeune homme petit et barbu grimpé sur le tabouret situé derrière moi consulte son smartphone et en donne la définition officielle. Quand j’ai vu ce garçon pour la première fois, il était imberbe et accompagnait celle à qui j’avais proposé de boire un verre avant qu’elle quitte la région. Evidemment, j’avais aussi payé son verre à lui. Me croisant ensuite en ville, il m’avait ignoré ostensiblement.
Le tour de chant de David Lafore est le même que le précédent avec deux ou trois chansons nouvelles, Je ne vais pas répéter ce que j’ai écrit lors de son premier passage. Cela me plaît toujours mais l’effet de surprise lié à la découverte n’y est plus. Les deux femmes à ma droite se gaussent fort. L’homme dont le physique rappelle celui du chanteur à moustache dont l’évocation est un gag récurent du récital est chambré (comme on dit) par l’artiste, puis c’est le tour de celui qui a gardé sa parka bleue malgré la chaleur, enfin le mien pour ne pas frapper dans les mains avec tout le monde quand la musique marche au pas.
Ce n’est pas dans mes mœurs (comme dirait Thomas Clerc). Je me souviens lorsque Lhasa était venue au Hangar Vingt-Trois à quel point j’avais apprécié qu’aucune de ses chansons ne permettent cette pratique totalitaire.
A la fin, David Lafore indique que ses cédés sont disponibles :
-Je les vends dix euros, ou quinze euros, ou vingt euros, alors réfléchissez, soyez malins, et toutes les chansons, vous pouvez les écouter gratuitement sur Internet, alors réfléchissez, ne vous faites pas avoir.
Chacun met un billet dans le chapeau que passe l’organisatrice afin de financer la prestation de ce soir. Je lui dis au revoir ainsi qu’à Georges-André et me carapate.
Il est vingt-deux heures trente. Sur le parvis de la Cathédrale sont assis de bavard(e)s branlotin(e)s italien(ne)s en vadrouille dont le bruit est supérieur à celui des étourneaux qui nichaient dans les arbres abattus.
                                                                  *
Ce jeudi soir, Emmanuel Macron est à un autre genre de concert, celui des demoiselles des maisons d’éducation de la Légion d’Honneur à Saint-Denis. Il ne doit pas s’amuser. Le matin, il était au Céhachu de Rouen. Allumant la télé, je le vois avec sa femme sur la partie droite de l’écran faire risette à des enfants en bas âge atteints d’autisme tandis que sur la partie gauche de l’écran des manifestant(e)s se pressent contre une rangée de Céhéresses. J’en connais plusieurs. Certain(e)s ont la parole, tandis que l’image présidentielle reste muette.
                                                                *
Du peu reluisant recyclage des Ecologistes de premier niveau :
L’ancien sous-Ministre Jean-Vincent Placé traite de pute une jeune fille qu’il voulait payer pour danser et qui a refusé, puis la bouscule ; il menace le videur qui s’interpose de le renvoyer en Afrique puis qualifie les Policiers de tocards et de connards, tout cela en état d’ivresse.
L’ancienne Ministre Cécile Duflot devient Directrice d’Oxfam France.
 

6 avril 2018


Sorti de chez New New, je montre le contenu de mon sac à dos au vigile du Centre Pompidou et franchis le portique de détection des métaux après avoir laissé clés et porte-monnaie dans une bannette. Il a dû se passer quelque chose de fâcheux car une affichette précise que cette manœuvre est interdite aux porteurs de « simulateur cardiaque ». Autrefois, on écrivait sic entre parenthèses après avoir cité ce genre de pataquès.
Délesté de mon sac au vestiaire, je grimpe par la chenille jusqu’au niveau Six afin d’y voir l’exposition du centenaire de la prise du pouvoir par les Bolcheviks : Chagall, Lissitzky, Malevitch L’Avant-garde russe à Vitebsk.
En mil neuf cent dix-huit, Marc Chagall est nommé commissaire des beaux-arts de Vitebsk, sa ville natale aujourd’hui située en Biélorussie. Il crée une école populaire d’art, gratuite et ouverte à tous. Parmi les enseignants El Lissitzky et Kazimir Malevitch. Ce dernier fait des étudiants des adeptes du suprématisme, entrant en conflit avec Chagall qui défend la pluralité des tendances artistiques. L’école ne formera qu’une promotion d’élèves avant d’être fermée. Mon peu de goût pour les avant-gardes et les idéologies fait que je passe assez vite d’une œuvre à l’autre, « en avant, en avant » comme est titré l’un des dessins de je ne sais plus qui. Le projet de tribune pour Lénine, dû à Lissitzky, ici reconstitué, achève de me donner envie d’aller voir ailleurs.
Redescendu au niveau Quatre, j’y découvre la rétrospective Jim Dine Paris Reconnaissance constituée des vingt-huit œuvres que l’artiste vient d’offrir au Centre Pompidou en remerciement du bon temps passé autrefois à Paris : peintures, sculptures, etc. Lesquelles ont de quoi m’intéresser davantage que celles de l’avant-garde de Vitebsk, notamment les Pinocchio sculptés et les installations à outils. Dans la dernière salle sont présentés un immense cœur en paille et une grande main verte qui sont les deux seuls vestiges d’une performance, apprends-je malgré moi du meneur d’une visite guidée qui se vante de connaître « Jim ». Pour que nul n’ignore sa parole savante, il dispose d’un micro. Une subalterne tire derrière elle l’enceinte à roulettes.
Si ce ne sont pas encore les vacances de printemps en France, d’autres pays y ont droit, d’où une certaine attente au vestiaire quand il s’agit de récupérer mon sac. Trois enfants et leurs parents y déposent cinq trottinettes. Un père prie ses garçons de se tenir tranquille, des prénommés Basile et Anatole.
Un bus Vingt et Un m’emmène jusqu’à Opéra. Dans le second Book-Off l’employée blonde met de nouveaux livres à un euro au rayon Connaissance. Elle demande conseil à l’un de ses collègues garçons. Ce livre, faut-il le ranger en Témoignage, en Religion ou en Littérature ? Il hésite pareillement. Je demande à voir. C’est publié aux Editions du Cerf. Ce sont les Œuvres complètes d’un certain Jacques Fesh qui a été condamné à mort pour le meurtre d’un agent de police lors d’un braquage. Gracié, il a connu « une fulgurante conversion au Christ ». Il s’agit là essentiellement de son journal et de sa correspondance.
-Si vous avez une idée de l’endroit où le ranger, donnez-la nous, me dit l’employée.
-Je suis comme vous, hésitant. Je vais le prendre, cela va résoudre le problème.
A Saint-Lazare, je trouve place dans le train de dix-sept heures vingt-cinq sans devoir attendre celui de quarante-huit. La jeune femme blonde près de qui je suis assis me demande ce que je lis. Elle cherche « un livre à lire ». Je lui montre la couverture d’Et devant moi, le monde de Joyce Maynard.
-Ce n’est pas un livre récent. Vous connaissez Salinger ?
-Non.
-C’est un écrivain américain. Cette jeune fille a eu une histoire avec lui. C’est ce qu’elle raconte dans son livre.
Elle ne m’en demande pas plus et descend à Vernon.
                                                            *
Un jour comme ça, le contrôleur ne passe pas. Aurais-je voulu être malhonnête que je n’aurais pas composté mes billets et me les serais fait rembourser ultérieurement en racontant que, vu les circonstances, j’avais renoncé à mon escapade.
 

5 avril 2018


Deux mails de la Senecefe m’annoncent que mes trains d’aller et de retour circuleront ce mercredi de grève des cheminots mais que « les conditions de voyage seront difficiles, en raison d’un service très perturbé ». Rien de pire qu’en temps normal.
Il s’agit de dissuader un certain nombre de voyageurs afin que tout n’aille pas trop mal. Je ne me laisse pas intimider et prends le chemin de la gare comme chaque semaine.
J’y trouve, ressemblant à ces champignons qui poussent en rond, un cercle de policiers ferroviaires côtoyant un cercle de gilets rouges. Des deux trains pour Paris, le premier sera direct mais le mien est transformé en omnibus. Je demande à l’une des femmes à gilet rouge si je peux monter dans le premier, bien que mon billet Prem’s soit pour le deuxième.
-Vous pouvez prendre n’importe quel train un jour comme ça, m’apprend-elle.
Ce sept heures vingt-cinq arrive du Havre avec vingt-cinq minutes de retard, il est complet au départ de Rouen mais nul ne voyage debout. Il va sans souci et je suis au Café du Faubourg à neuf heures et demie. J’ai donc le temps de lire tout Le Parisien avant de bookoffier. J’apprends que de plus en plus de médecins, surtout des femmes, sont frappés par leurs patients. Sur la carte, la Seine-Maritime fait partie des départements de tête.
Chez Book-Off, je n’achète que quatre livres à un euro, dont La Filiale de l’enfer (Ecrits de l’émigration) de Joseph Roth (Le Seuil) et Images abolies de Pierre Mac Orlan (Michel de Maule), un recueil de certains de ses articles de presse.
Je vais ensuite au marché d’Aligre où l’un des vendeurs de livres brade à un euro. Dans sa masse de tout-venant, un ouvrage présente de l’intérêt pour moi : Chamfort, biographie écrite par Claude Arnaud (Robert Laffont).
Désirant visiter les expositions en cours au Centre Pompidou avant qu’arrivent les vacances de printemps, je vais pédestrement jusqu’à l’impasse Beaubourg et entre au restaurant chinois New New à midi pile.
                                                *
Conversation entre collègues :
-Bon, à part ça, t’as passé un bon week-end ?
-Oui, ma mère est venue avec son nouveau chéri. On a joué aux cartes, on a écouté de la musique et on a cherché des œufs de Pâques.
 

4 avril 2018


Le ciel est gris, la pluie menace, je n’en attends rien, mais comme il se déroule à deux cents mètres de chez moi, ce dimanche de Pâques qui est aussi le premier avril, je vais voir à quoi ressemble le vide grenier de la Calende organisé par le Comite Cathédr'Halle aux Toiles, lequel annonce entre deux cents et trois cents exposants.
Il n’y en a pas cent, installés sur une place en chantier, entre des barrières et des gravas. Certains déballeurs bénéficient de l’espace libéré par les arbres récemment abattus. La plupart viennent encore des banlieues, pour qui c’est l’espoir de quelque argent nécessaire à la survie.
-Il faut avoir de la chance pour trouver quelque chose, me dit l’un des bouquinistes du Clos Saint-Marc que j’y croise.
J’en témoigne.
                                                       *
Plus tôt ce dimanche, passé minuit, c’est le tintamarre des cloches de la Cathédrale annonçant « Christ est ressuscité ». Ce n’est pas le meilleur poisson d’avril de la journée mais c’est le premier.
                                                      *
La veille, au marché du Clos Saint-Marc, j’ai la chance de trouver le coffret The Glenn Gould Edition de chez Sony Music. Son étui cartonné a pris l’eau mais huit cédés pour cinq euros, je ne peux laisser passer ça.
                                                      *
Lundi de Pâques, encore un de ces jours où j’aurai fait la fermeture d’un bar. Cette fois, c’est Le Vascœuil, place Saint-Marc. A quinze heures trente.
 

3 avril 2018


C’est la première fois que j’entre Au Grand Nulle Part, rue du Général-Leclerc, ce vendredi vers quinze heures, et plus généralement c’est la première fois qu je remets le pied dans une librairie ne vendant que des bandes dessinées depuis les années soixante-dix où je fréquentais Lumière d’Août, rue de l'Ecole, laquelle est toujours là.
David Snug est plus grand que je ne croyais et moins roux qu’il l’écrit, un peu timide comme beaucoup de sarcastiques. Sur une table carrée rouge sont posés en piles deux de ses livres : Ne vous fatiguez pas à écouter ces 50 classiques de la pop : David Snug s'en est occupé pour vous (Marwanny Corporation Editions) et Je n’ai pas de projet professionnel (Editions Même Pas Mal).
-Vous n’en avez pas d’autres ? demandé-je au libraire.
-Non, je n’ai fait venir que ces deux-là.
C’est dommage, j’aurais aimé voir 64 ans en 2039 et La Maison n’accepte pas l’échec, tous deux publiés aux Enfants Rouges. N’ayant pas envie du livre de critiques musicales à la Snug, je choisis l’autre.
-Il est pas terrible, celui-là, me dit-il.
-Oui, mais l’autre est moins bien.
Je paie les quinze euros au libraire. Il m’offre un sachet en plastique contre la pluie. Avant d’y glisser mon livre, je le donne à David Snug pour une dédicace. Pendant qu’il commence son dessin, je lui explique que j’ai découvert ses bédés sur Facebook et que souvent il m’amuse beaucoup.
-J’essaie d’en faire une tous les jours sauf le dimanche, c’est pour ça que c’est pas très bien dessiné.
-S’il y a des fautes d’orthographe, c’est par inadvertance, ajoute-t-il
-On est amis sur Facebook ? me demande-t-il.
-Non, on n’est pas amis, je suis abonné c’est tout.
-C’est mieux, j’y ai je ne sais combien d’amis que je ne connais pas.
Tout en poursuivant son dessin, « Je vais mettre un peu d’herbe et des nuages », il indique un livre exposé dans la librairie à la jeune femme brune qui l’accompagne et qui doit être Aude avec qui il fait notamment de la musique sous le nom de Top Montagne (auparavant cela s’appelait Trotski Nautique). C’est une bédé dont il lui a parlé : Et si l’amour, c’était aimer ? de Fabcaro.
-Vous connaissez ? me demande-t-il, c’est bien.
-Non, je ne lis plus de bédés.
-Que David Snug et que sur Facebook.
-Oui, c’est dommage pour le libraire.
-Voilà, me dit-il en me montrant son dessin, vous n’avez plus qu’à partir sans payer.
Trop tard, j’ai déjà réglé. Je le remercie et lui souhaite un bon concert ce soir, où je n’irai pas.
-Vous n’aimez pas les concerts ?
-Pas trop dans les caves, plutôt à l’extérieur.
Celui de Top Montagne a lieu au Trois Pièces, le genre d’endroit où on ne peut pas aller quand on est seul et qu’on n’a pas envie de boire de la bière.
                                                         *
Mon dessin montre un personnage en ticheurte « I love Facebook » qui, le doigt en l’air, exprime cette forte pensée : «  la bédé s’est qu’en même mieux sur facebook que dans des livre qui prennent plein de place ». Il est signé David Snug 2000 « pour Michel, amitié profonde ».
                                                        *
Christophe Salengro, encore un homme qui meurt dans la soixantaine. Je l’ai évoqué dans un texte intitulé La star et l’épicier publié en deux mille dans la revue Diérèse et que l’on peut lire sur Textes en revues, pour l’avoir croisé à Avignon où j’étais en compagnie d’une fille avec qui cela n’a pas duré plus de quelques mois.
C’était en mil neuf cent quatre-vingt-neuf, bien avant Groland, mais Christophe Salengro était déjà fort connu, comme l’expliquait autrefois Benoît Delépine sur France Culture : « Il était une star de la publicité avant Groland. Il vantait des dalles autoadhésives. Il était entièrement nu avec une dalle autoadhésive devant son sexe. Ensuite, il lâchait la dalle et disait : « Et hop ». Ce simple mot avait fait le tour de la France. »
Une publicité comme on n’en voit plus au vingt et unième siècle.
 

2 avril 2018


C’est un lent train coloré qui m’emmène à Paris mercredi sous un pesant ciel gris. Il me permet néanmoins d’être à l’heure pour l’ouverture du Book-Off de Ledru-Rollin dont la devise est  affichée sur les murs : Veni Emi Vendidi (je suis venu, j’ai acheté, j’ai vendu). Venu oui, sans rien à vendre, et ayant très peu acheté quand je me retrouve sur le trottoir sous la pluie. Je ne dois pas arriver chargé chez celui qui m’a téléphoné un soir pour m’apprendre qu’il vendait une partie de sa bibliothèque et m’inviter à passer voir si certains livres m’intéressaient. J’ai connu cet homme quand il fréquentait l’Opéra de Rouen. A cette époque, j’avais trouvé dans un vide grenier un livre qu’il a édité à la Bibliothèque de l’Image et dont il a fait la préface : Idylle printanière d’un auteur anonyme et illustré de trente dessins licencieux attribués à Rojan.
Je rejoins Montmartre en métro avec changement à République puis à Gare de l’Est et sortie à Château Rouge. De quel côté aller ? Celui à qui je m’adresse ne le sait pas mais sort son téléphone :
-Attends, je vais demander à ma copine, elle travaille là-bas.
Grâce à elle, il me met sur le chemin de ce là-bas qui est tout près. Rue de Clignancourt, j’entre à La Chope du Château Rouge dont le menu du jour, inscrit à l’extérieur, me convient. L’endroit est agréable moitié café à petites tables rondes, moitié restaurant à tables carrées recouvertes de nappes à carreaux rouges et blancs. Les murs de briques brutes portent de grands miroirs. On y écoute Fip.
Filet de hareng, excellente épaule d’agneau accompagnée de haricots frites salade, crème brûlée et café me sont facturés quatorze euros quatre-vingt-dix, à quoi s’ajoute le quart de vin rouge à sept euros. J’indique à l’aimable patron que je passe côté café en attendant mon rendez-vous de quatorze heures et en commande un second avec un verre d’eau. A ma gauche, un homme à chapeau joue au scrabble avec une amie. A ma droite, un jeune homme et une jeune fille qui écrivent une adaptation d’Hamlet font une pause en mangeant une épaisse soupe chaude tout en discutant de Baudrillard. Nul bar à Rouen, on ne trouve cela.
Vers deux heures moins dix, je quitte l’endroit. En face de La Chope du Château Rouge est la pentue rue Muller. Je la grimpe. Au bout à droite, c’est la rue Albert dont je grimpe une partie. Je monte ensuite quatre étages.
-On arrive essoufflé chez vous, dis-je à celui qui m’ouvre la porte et à sa femme.
-C’est pour cela que nous déménageons.
Il me montre d’abord des étagères consacrées à la littérature.  « Quel est votre prix ? » lui demandé-je. « Oh, ce sera un ou deux euros ». Beaucoup d’auteurs intéressants se côtoient mais comme je ne lis plus de romans, je n’en tire qu’Endetté comme une mule ou la passion d’éditer, les mémoires d’Eric Losfeld (Belfond). « Venez par ici », me dit-il m’emmenant dans une autre pièce. Là, ce sont des livres érotiques. Il a été un spécialiste du genre, publiant notamment les revues Curiosa et Fascination dont j’ai acheté un certain nombre de numéros il y a quelques mois, que possédait la bouquinerie rurale Détéherre.
J’ai déjà certains des livres que je découvre. Parmi les autres, il en est qui m’attirent. J’en sélectionne quelques-uns, apprenant au passage que mon hôte était de ceux qui ont publié l’excellente revue Le Fou parle entre mil neuf cent soixante-dix-sept et quatre-vingt-quatre, dont je possède les trente numéros.
-Venez encore par ici, me dit il.
Nous sommes dans la chambre où une autre bibliothèque est consacrée à l’érotisme. J’en tire quelques autres livres.
-Je vais m’arrêter là, lui dis-je.
Nous posons les livres sur la table de la première pièce. « Ceux-ci, je vais vous les faire à cinq euros », me dit-il. « Ah, j’étais resté sur le prix de deux euros, lui dis-je, dans ce cas je ne vais pas les prendre tous ». Il fait un tri, en mettant certains à deux euros : Désirs, larmes et autres collations de Lionel Bayol Thémines (Chambres noires), Collection privée de Monsieur X d’Alexandre Dupouy (Astarté), Cochonnerie 2 (Colonnese Editore, Napoli), les numéros huit et neuf du Magasin Erotique (consacrés à Pierre Louÿs et à l’inceste), Correspondances croisées de Pierre Louÿs, Natalie Clifford-Barney et Renée Vivien (A l’Ecart) et Grisélidis, courtisane de Jean-Luc Hennig (Albin Michel).
Parmi ceux qui restent à cinq, je ne garde que les ouvrages qu’il a édités dans la collection Curiosa : Nous deux de Nelly et Jean (illustrations de Jean Dulac), Une jeune fille à la page d’Helena Varley (dont les illustrations sont attribuées à Paul-Emile Bécat par Jean-Pierre Bouyxou dans la préface) et Les Caprices du sexe de Louise Dormienne, pseudonyme de Renée Dunan (illustrations de Viset, pseudonyme du graveur belge Luc Lafnet).
En tout, cela fait trente et un euros, ramenés à trente. C’est exactement ce que j’avais dans mon portefeuille. Veni Emi.
Après avoir un peu parlé de l’Opéra de Rouen avec mes hôtes, je redescends les quatre étages. La rue Albert permet d’entrer dans le jardin du Sacré-Cœur. Il ne pleut plus. J’arrive à la Halle Saint Pierre, passe ensuite devant le Théâtre de l’Atelier, descends la rue des Martyrs et entre à La Fourmi, café de bien des souvenirs. On y a, hélas, installé un babyfoute, heureusement inutilisé. J’y poursuis ma lecture de Et devant moi, le monde de Joyce Maynard. Dehors, la pluie et le vent se déchaînent. La place Blanche a vraiment mauvaise mine et plus d’un parapluie est retourné.
Quand ça se calme, je reprends mon chemin, Pigalle, Sexodrome, Moulin Rouge,  place Clichy, Wepler, plus qu’à descendre la rue d’Amsterdam jusqu’à sa fin pour rejoindre la gare Saint Lazare. La bétaillère du retour est à l’heure mais au bout d’une centaine de mètres, elle subit « un arrêt inopiné ». Cela fait quinze minutes de retard à l’arrivée à Rouen. Le chef de bord s’excuse de n’avoir pas réussi à retenir en gare le train pour Dieppe. Les voyageurs y allant devront attendre le suivant pendant une heure.
                                                               *
Il est compliqué pour quelqu’un de vendre des livres à quelqu’un qu’il connaît. Il est compliqué pour quelqu’un d’acheter des livres à quelqu'un qu’il connaît.
 

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