Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

30 novembre 2018


Le pire de la pluie est passé quand je gagne la gare de Rouen où le sept heures cinquante-six pour la capitale est à peine en retard. J’y lis avec grand intérêt Retour à Reims de Didier Eribon. De l’autre côté du couloir, un duo de collègues quinquagénaires parle travail puis vie quotidienne. C’est surtout lui qui s’exprime. Elle acquiesce plus ou moins.
-Je crois qu’on en a déjà parlé, lui dit-il, mais moi ces fêtes de fin d’année, ça me gave un peu. Ce n’est pas que je sois systématiquement contre, mais bon.
Il pleut fort quand je franchis les quelques mètres qui séparent la sortie du métro Ledru-Rollin de l’entrée du Café du Faubourg. C’est un grand désordre au carrefour pour cause de travaux dans la rue du Faubourg Saint-Antoine. La moitié de la chaussée a disparu derrière un grand plastique blanc.
-C’est pour le désamiantage, explique la serveuse survoltée. Ensuite ce sera en sens unique pour les voitures dans le sens Nation Bastille, il y aura un couloir de bus dans l’autre sens et un double sens pour les vélos.
On se récrie au comptoir en prévoyant le bazar.
Ma récolte est maigre chez Book-Off et pas meilleure chez Emmaüs. De retour au carrefour, j’y prends le bus Quatre-Vingt-Six qui mène au Quartier Latin. Entre déviations et embouteillages, il met un certain temps. Après m’être fait dracher dans la rue de la Harpe, j’entre à midi cinq au restaurant La Cochonnaille dont une partie du personnel a dépassé l’âge de la retraite.
Je prends place à la petite table près de la vitre et commande un quart de vin de Touraine (toujours servi avec une coupelle de rillettes). Comme entrée c’est saucisson chaud pommes à l’huile, comme plat le cassoulet fait maison et comme dessert une mousse au chocolat. Cela me satisfait. Comme le sont les habitués qui bientôt occupent tout le rez-de-chaussée. Pour les derniers arrivés, c’est au sous-sol. Mes voisines sexagénaires boivent de l’eau et ont la conversation triste.
-Il veut absolument se loger dans Paris, dit l’une.
-Ah bah, il va trouver, répond l’autre.
-Oui, mais sans bosser…
Je paie vingt euros quatre-vingt-dix (avec le vin). C’est une adresse à refiler à Darmanin, ce Ministre macronien qui ne trouve pas à manger dans un restaurant parisien à moins de deux cents euros pour deux (sans le vin).
 

27 novembre 2018


Comme chaque année, le parvis de la Cathédrale de Rouen se transforme en zaf (zone à fuir), également connue sous le nom de Marché de Noël. Celui-ci ouvrant ce mercredi, les commerçants s’affairent à décorer leur cabanon puis à l’emplir d’objets souvent inutiles majoritairement fabriqués en Chine.
Ces commerçants qui semblent ne travailler qu'un mois par an, mais vont de foire en foire le reste de l’année, doivent être de ceux qui se plaignent d’être étranglés par les taxes. Je regarde leurs voitures : une Audi, une Mercedes et même une Alfa Romeo. Sur le tableau de bord de chacune : un gilet jaune, signe de connivence avec celles et ceux qui constituent une bonne partie de leur clientèle et/ou d’allégeance aux gestionnaires de ronds-points dont dépendent leur libre circulation et celle de la marchandise.
                                                             *
Une sexagénaire à smartphone : « J’ai essayé de prendre un celle-ci ».
                                                             *
Une étudiante demandant conseil à ses semblables à propos d’une assurance : « Je voudrais résigner le contrat ».
                                                             *
Ne jetez pas votre dévolu, il peut encore servir. Pour la même raison ne pas jeter un œil.
 

26 novembre 2018


Rouen, le dimanche après-midi ne se distingue pas d’Yvetot ou de Louviers. Ce ne sont que rues quasiment désertes dans lesquelles se morfondent des familles ou des touristes en errance d’après déjeuner.
C’est encore plus déprimant en novembre. Et si en plus il pleut. Je n’ai même pas l’énergie nécessaire pour aller prendre un café dans l’un des rares cafés ouverts.
S’il n’avait pas plu, j’aurais encore une fois opté pour le Café de Rouen où l’on doit supporter une radio à publicités et à chansons des années quatre-vingt et la télé sur une chaîne d’info continue, et où le café est à un prix presque parisien.
Je reste donc à la maison et écoute sur France Inter la psychanalyste Caroline Eliacheff raconter son histoire d’amour et son mariage avec Robert Hossein. Il avait trente-trois ans et elle quatorze. Cela n’a aucunement nui à la poursuite de ses études, bac et enfant à seize ans puis médecine. Autres temps, autres mœurs, c’était au début des années soixante.
Suit, à l’occasion de la parution d’un disque posthume de Bashung, une émission de deux heures avec pour invités ses différents paroliers et quelques autres artistes ayant travaillé avec lui. Jean-Claude Gallotta évoque l’enregistrement par Bashung de L’homme à tête de chou qu’écrivit Gainsbourg en mil neuf cent soixante-seize. Un homme jaloux qui tue celle qu’il aime à coups d’extincteur, on ne pourrait plus écrire ça aujourd’hui, ça ne passerait pas, dit-il.
J’ai quand même eu de la chance de vivre la fin de mon enfance, mon adolescence et le début de ma vie d'adulte pendant la parenthèse enchantée, me dis-je.
                                                             *
Fin de matinée, près de la Cathédrale dont le parvis est déjà encombré par les cabanes blanches du futur Marché de Noël, un jeune couple et son descendant de trois ans qui ne veut plus avancer.
Elle : « Elliott, allez viens on va aller manger. »
Aucune réaction.
Lui : « Elliott,  on va manger un hamburger. »
Le moutard se met en marche :
« Hamburger ! Hamburger ! »
                                                              *
Plus moyen de s’inscrire pour un nettoyage de karma, la boutique mystico pantoufle de la rue du Père-Adam a fermé peu de temps après son ouverture.
 

23 novembre 2018


La nuit est encore noire quand je remonte la rue de la Croix-de-Fer. Deux des voitures garées-là ont une vitre latérale brisée. Ce mercredi sera un mauvais jour pour leurs propriétaires. En gare de Rouen, le sept heures cinquante-six est annoncé avec dix minutes de retard suite à des difficultés de mise en place au Havre.
Quand il arrive, je m’assois à ma place réservée. Un homme veut faire de même, qui demande poliment à celui qui l’occupe déjà s’il peut en changer. Ce dernier se lève brutalement et crie que puisque c’est comme ça il restera debout dans le couloir. Le boulevard Industriel que longe la voie ferrée à la sortie de la ville est encombré de camions à l’arrêt, bloqués là pour les Gilets Jaunes qui occupent le rond-point des Vaches, lesquelles vaches ils ont saccagées dès la première nuit de leur insurrection. Deux ont été complètement incendiées, deux endommagées et mises à l’abri par les services de la ville de Saint-Etienne-du-Rouvray et la dernière portée disparue. En revanche, après Mantes-la-Jolie, sur l’autoroute, la circulation est fluide (comme dit Vison Buté) et au brouillard succède le soleil.
A l’arrivée à Saint-Lazare, j’ai le temps d’aller à pied avec mon sac de livres à vendre jusqu’au Book-Off de Quatre Septembre et d’être à sa porte peu avant l’ouverture. L’employée qui examine mes ouvrages doit avoir pris des amphétamines pour être aussi vibrionnante. Elle en refuse deux et me donne six euros quarante pour le reste. Je n’en dépense que deux dans la boutique dont l’un pour L’autre Verlaine de Guy Goffette (Gallimard).
Le métro Huit me permet de rejoindre la rue Ledru-Rollin. Chez Emmaüs, où je mets mes deux invendus dans le panier aux livres, une femme à cheveux blancs pose un jeu de société sur le comptoir et déclare au caissier qu’elle le paiera quatre euros cinquante.
-Ce n’est pas à vous de faire le prix, lui dit-t-il.
Elle repousse violemment la boîte.
-Puisque c’est comme ça, j’achète rien, crie-t-elle en partant.
Au marché d’Aligre les vendeurs de livres sont de retour mais leur stock n’est pas nouveau. Voulant quitter le deuxième, je demande pardon à un quinquagénaire barbu et ventru qui m’empêche d’avancer.
-Eh bah vas-y passe, me crie-t-il.
Je lui fais remarquer que je n’ai pas la place, à moins de bousculer la dame qui est derrière lui dans l’allée.
-C’est ma sœur, crie-t-il.
-C’est votre sœur donc j’ai le droit de la bousculer, c’est ça ?
Furieux et maugréant, il consent à se pousser un peu.
A midi, je déjeune au Péhemmu chinois où malgré l’affluence personne n’est irrité. Des collègues de premier étage d’une boutique du coin parlent de celles qui travaillent au rez-de-chaussée et qu’elles jalousent. Un sexagénaire mange face à sa femme qui doit rester à jeun pour son rendez-vous à l’Hôpital. Sans même les avoir goûtés, et tout en reniflant, il verse la salière sur ses frites puis éjacule un flot de moutarde dans l’assiette. Sa moitié, sans dire mot, passe le temps à gratter des jeux à perdre.
A treize heures, je suis sous Beaumarchais dans un rai de soleil à attendre celle avec qui j’ai rendez-vous. Nous allons prendre une boisson chaude place de la Bastille à la terrasse du Café des Phares, laquelle a l’avantage d’être ensoleillée.
Elle est un peu énervée par sa matinée de travail et peut-être le suis-je aussi, d’où une discussion un peu tendue au début mais au bout d’un moment, heureusement, cela s’apaise et nous passons un bon moment chauffés par le rond jaune.
Quand elle doit retourner au labeur, je vais explorer les rayons du Book-Off du faubourg Saint-Antoine sans y trouver merveille hormis le Ferdydurke de Witold Gombrowicz dans l’édition grand format de chez Christian Bourgois, un livre que je cherchais depuis longtemps car un bicycliste de ma connaissance, un esthète allergique aux livres de poche, est désireux de le lire.
                                                   *
Lucile du Rez-de-Chaussée, noblesse de magasin.
 

22 novembre 2018


Je publie ici un journal de bord que j’ai tenu au Mexique pendant le tournage du film de Louis Malle, Viva Maria, du 16 janvier au 15 juin 1965. Le titre est dépourvu d’arrière-pensée symbolique. Pendant les scènes de combat, des figurants devaient faire les morts. Quand il fallait refaire les prises –ce qui fut souvent le cas pour Viva Maria –, ils devaient être allongés au même endroit. Retentissait alors (en espagnol) l’ordre suivant : « Los muertos en sus lugares ! » (Les morts, à vos places !) écrit Gregor von Rezzori en ouverture de son ouvrage, publié dans la catégorie « « Roman » au Serpent à Plumes, Les Morts à leur place (Journal d’un tournage).
Suit la liste des protagonistes dont j’extrais quelques pépites concernant les principaux :
Louis Malle : Un jeune homme aux allures juvéniles, la petite trentaine, de taille juste moyenne, des jambes arquées, surtout côté droit, des cheveux bruns ayant tendance à boucler et un joli visage marqué de temps à autre par un sourire en coin d’écolier –a smirk, comme on dit en anglais. Il le maîtrise à la perfection.
Brigitte Bardot (je l’idolâtre, me déclare partial à tout point de vue) et Jeanne Moreau (j’ai appris à l’aimer et à la respecter) : Dans un isolement tout aérien, bien que manifestant des signes de solidarité collégiale envers la piétaille de la production, ces dames planaient à haute altitude au-dessus de nous.
Volker Schlöndorff : Lui aussi de taille tout juste moyenne et très jeune (vingt-cinq ans), il affiche une masculinité en miniature.
Juan Luis Buñuel : Le fils barbu, plus grand que nature, d’un illustre père.
Joyce Buñuel Sans autre fonction spécifique sur Viva Maria que celle, typiquement féminine, de la gracieuse présence.
Paulette Dubost : A ranger dans la catégorie des caractères délurés, tendance ringarde.  (…) Qui a déjeuné avec Adolf Hitler. Dans Viva Maria, elle est l’épouse du magicien Diogène, que je devais interpréter.
Je ne m’attendais pas à grand-chose en achetant ce livre chez Book-Off, c’est son prix d’un euro qui m’a décidé, et j’ai été très agréablement surpris. Cinq extraits :
On me présente au grand réalisateur espagnol Luis Buñuel : une tête de paysan espagnol, dont la calvitie est signe de spiritualité, et tannée comme celle de Picasso. Cependant, il est un peu difficile de s’entretenir avec lui. Il est dur d’oreille, mais ne veut pas le reconnaître, ou alors il cherche à le cacher, et répond donc au petit bonheur la chance. Certes, cela donne à la conversation une note surréaliste tout à fait appropriée, mais la compréhension est laissée au hasard des coïncidences métaphysiques.
Au milieu du tumulte des machines, des techniciens, des comparses, des véhicules, des chevaux, des vaches, des truies et des volailles joue la petite Isabelle Decaë. Modèle de bonne éducation, elle vit l’existence merveilleuse de son enfance comme un devoir donné par la maîtresse, duquel elle lèverait parfois même les yeux par hasard, comme pour s’assurer qu’on remarque son application.
Le seul acte de violence qui s’est produit durant notre présence ici a été commis par un membre de notre équipe mexicaine. Ayant surpris sa femme, qui travaillait comme figurante, en train de badiner tendrement avec le policier du village, il avait manifesté sa mauvaise humeur, sur quoi le policier l’avait arrêté et mis en cabane. Ses camarades ont organisé une réunion pour trouver la caution nécessaire à sa libération, caution que le policier a encaissée avec satisfaction.
Poldo a brillamment réfuté toutes les rumeurs prétendant qu’il n’était pas aussi fort  qu’il en avait l’air. Pendant le tournage du bal, il devait faire virevolter Paulette dans les airs en dansant la valse. A peine l’a-t-il enlacée qu’il lui a brisé une côte. Sa conscience ne s’en trouve pas exagérément accablée.
Il s’appelait Pio Olmos Rodriguez, il avait vingt et un ans, était orphelin et nourrissait trois jeunes frères.
Il a péri au cours de l’une de nos séances de combat. (…)
Personne ne sait comment cela s’est produit. Il est improbable qu’on lui ait demandé de s’allonger là pour figurer un mort –Los muertos en sus lugares. Il est probablement tombé d’une charrette, passant sous les roues de la suivante.
L’écriture de ce Journal de tournage permit à Gregor von Rezzori de se fâcher avec Louis Malle et une bonne partie de l’équipe de Viva Maria dès avant la fin du tournage car des extraits étaient publiés en temps réel dans plusieurs journaux européens.
 

20 novembre 2018


C’est sans surprise qu’à la lecture de Lundi Matin j’apprends que les révolutionnaires plus ou moins invisibles ont pour les Gilets Jaunes les yeux de Chimène. N’ont-ils pas par le passé eu les mêmes pour Marcel Campion, le Roi des Forains, quand ses troupes brûlaient des pneus et bloquaient les ponts de Rouen (c’était avant ses déclarations homophobes contre Bruno Julliard, ancien premier adjoint à la Mairie de Paris « Comme il était un peu de la jaquette, il a rencontré Delanoë, ils ont fait leur folie ensemble et paf, il est premier adjoint. »).
Leur prose me rappelle celles des journaux maoïstes des années soixante-dix, J’accuse et La Cause du Peuple. On y tord pareillement la réalité pour la faire coller à une théorie révolutionnaire préétablie.
Parmi les articles de ce numéro cent soixante-six de Lundi Matin, l’un est signé d’un père de lecteurs devenu Gilet Jaune. « Ce que nous bloquons, c’est notre vie quotidienne. Les départementales, les nationales, les zones commerciales. Nous bloquons le train-train de notre propre vie. », écrit-il. Cela confirme mon sentiment que ces personnes s’emmerdent là où elles vivent et avec qui elles vivent. Par ailleurs, cet homme se vante de ne jamais regarder Arte et de ne pas aller au Musée.
Les révolutionnaires plus ou moins invisibles de Lundi Matin appellent à envahir Paris samedi prochain, tout comme, sur son blog Patriosphère Info, l’un des meneurs du mouvement Gilets Jaunes, le responsable départemental du Tarn-et-Garonne du Parti de Nicolas Dupont-Aignan, Franck Buhler, exclu du Rassemblement National pour sa proximité avec Renaud Camus. Ce rassemblement de samedi pourrait être une sorte de nouveau six février mil neuf cent trente-quatre, mais pas réservé à l’extrême droite.
Lundi après-midi, c’est au Bovary que je lis après avoir bu un café. Un jeune couple à poussette y entre et demande à changer le marmot. Cela se passe sur la table devant la mienne et c’est le père qui s’en charge. Il fait ça avec un air tellement content de lui que j’ai l’impression qu’il attendait des applaudissements à l’issue.
Quand une femme change un bébé, elle change un bébé. Quand c’est un homme, cela relève de la performance. C’est pareil avec le repas. Quand une femme fait à manger, elle fait à manger. Quand c’est un homme, cela ressemble souvent à une cérémonie religieuse, qu’il faut ensuite longuement commenter à table. Je parle d’expérience.
                                                                   *
« Autre propos de ces joyeux drilles qui m'insupporte : « Je n'ai jamais manifesté, c'est la première fois », comme si c'était glorieux d'avoir laissé les autres battre le pavé et se bagarrer pour des causes diverses. », m’écrit une lectrice.
                                                                   *
Ce mardi Météo France place la Seine-Maritime en vigilance jaune (pour un risque de neige et verglas).
 

19 novembre 2018


Ce samedi, c’est pas bibi qui va mettre le bololo (comme parlent nos dirigeants). Totalement hostile au mouvement des Gilets Jaunes, je suis ravi de vivre dans une ville où dans l’hyper centre on n’en voit pas la queue d’un et où je peux donc vaquer tranquillement à mes occupations habituelles.
Et heureusement que je n’ai plus de voiture car si je m’étais trouvé bloqué à l’un de leurs barrages, j’aurais refusé de me soumettre à leur exigence fascisante consistant à obliger les conducteurs à enfiler leur gilet jaune pour être autorisé à passer et j’aurais pu être de ceux qui sont malmenés.
Ces types qui bloquent les ronds-points et les péages d’autoroute, ce sont les mêmes qui à chaque mouvement social gueulent contre les grévistes qui font chier et disent qu’ils sont pris en otage. Les mêmes aussi, qui ne voulant pas payer de taxes et d’impôts, râlent quand l’Etat supprime un service public dans leurs patelins.
Qui sont-ils ? Une majorité de plus de cinquante ans, pratiquement que des Blancs, sept hommes pour trois femmes. Où se retrouvent-ils pour bloquer ? A l’entrée des centres commerciaux où d’habitude ils passent le samedi après-midi à remplir le chariot de cochonneries avant de rentrer s’écrouler devant la télé. Car ils sont autant canapéistes qu’automobilistes.
Ce qu’ils appellent leur colère n’est qu’un aveu d’impuissance. Leur salaire est insuffisant mais ils sont infoutus de faire grève afin que le patron les augmente. « C’est un ras-le-bol général », disent-ils quand on les interroge, incapables de s’expliquer davantage. Je les soupçonne de s’emmerder à la campagne ou dans la zone suburbaine où ils vivent.
Tous ces gus en uniforme jaune crient « Macron démission » et braillent La Marseillaise dès qu’ils voient une caméra.
La télé d’information continue, qui en temps de conflit social pourrait s’appeler Télé Anti Grève, est devenue Télé Gilets Jaunes. « On va continuer à soutenir le mouvement », déclare son homme-tronc. « Euh, à suivre le mouvement », le reprend sa binôme.
                                                                    *
« Il y a des fachos mais il y en a partout. Il y a aussi beaucoup de fâchés. », a déclaré le Mélenchon, ce qui a autorisé des politiciens de la gauche de la gauche, dont le Ruffin de Picardie (Insoumis) et le Wulfranc de Normandie (Communiste), à rejoindre ceux de la droite de la droite Le Pen Philippot Dupont-Aignan et de la droite du style Morin Ciotti Wauquiez.
Un facho + un fâché = des fâcheux.
                                                                    *
Bilan de cette première journée : beaucoup moins de participant(e)s que pour les obsèques de Jauni, mais quand même une morte et quatre cent neuf blessé(e)s dont quatorze grièvement (la Police n’y est pour rien mais a les siens).
A noter aussi, la femme musulmane que des Gilets Jaunes ont obligé à enlever son voile et insulté à Saint-Quentin, le couple d’homosexuels que d’autres Gilets Jaunes ont agressé « je le connais, c’est un pédé » et dont la voiture a été cassée à Bourg-en-Bresse, la femme noire que d’autres Gilets Jaunes ont insulté quand elle a voulu forcer un barrage en Charente « retourne dans ton pays », « dégage », « pouffiasse », « salope », « les histoires de Noirs, on veut plus en entendre parler ».
D’autres Gilets Jaunes, je ne sais où, ont déployé sur la benne d’un tracteur un calicot sur lequel on peut lire, destiné à Macron : « Baise ta vieille, ne baise pas les vieux ». Et à Mont-Saint-Aignan un Gilet Jaune ne libèrait la route pour les étudiantes qu’à condition qu’elles lui envoient une photo.
 

18 novembre 2018


Ce vendredi matin, je trouve au Rêve de l’Escalier un livre que je cherchais depuis longtemps et que je paie douze euros avec mon avoir : Le Dictionnaire de la Mort de Robert Sabatier (Albin Michel), mais cet exemplaire présente un manque, page cent quarante-trois. Un précédent propriétaire a découpé une lamelle de papier qui a fait disparaître une ligne de texte. « Censure ou bien dégradation », est-il écrit au crayon en page de garde.
Cette ligne manquante m’obsède avant même que je sois rentré. Il faut que je consulte un autre exemplaire pour connaître ce qu’on a voulu cacher.
J’interroge le catalogue des petites bibliothèques municipales de Rouen. Elles ne possèdent pas ce livre indispensable. Pas davantage ne l’a la bibliothèque de Sotteville. Voyons voir à la bibliothèque François Truffaut du Petit-Quevilly, me dis-je.
J’apprends ainsi que depuis la veille on y désherbe, ce qui n’a lieu qu’une fois tous les deux ans. Je m’y pointe donc l’après-midi avec un jour de retard, suffisamment tôt pour être en avance. Je peux entrer dans la bibliothèque avant que n’ouvre la salle réservée à la vente. La jeune fille blonde de l’accueil me confirme qu’ici non plus pas de Dictionnaire de la Mort. Faisant le tour du rayon Littérature, je n’y vois ni Léautaud, ni Perros, ni Calet, ni Hyvernaud.
A quatorze heures trente débute la vente. Je comprends vite que je me suis déplacé pour rien, constatant que point de livres d’Histoire ni de Sciences Humaines (« On n’a pas désherbé dans ces coins-là », me dit une bibliothécaire) et qu’en Littérature, il n’y a que des romans, hormis le Journal de voyage de Michel de Montaigne, que je sais sans intérêt pour moi, et que deux tomes du Journal de Charles Juliet, et cet auteur m’ennuie.
                                                             *
Le patron de bistrot chauffé par le beaujolais, petit tribun de comptoir : « Y font jamais le plein, et y découvrent qu’y a des gens qui vivent à la campagne. » Il parle de ceux qui nous gouvernent.
                                                            *
Une cliente devant une bière : « Comme je suis contente, je n’ai pas mon fils pendant deux week-ends. »
                                                            *
Deux autres, dont l’une vient d’apprendre qu’elle a un cancer. Sa copine : « On va aller marcher, on va aller jusqu’au cimetière à maman. » De quoi lui remonter le moral (comme on dit).
                                                            *
Elles parlent ensuite de celle qui avait enfin réussi à dire à son fils trentenaire qu’il était temps de quitter la maison familiale. Trois jours après, il est mort dans un accident. « C’est sûr que chez elle, il avait la belle vie. S’il avait un coup de cafard, il pouvait sortir s’acheter des fringues. Ou sa drogue. ».
                                                           *
Il reste des étiquettes Surgissement sur les murs de la ville de Rouen, de quand les révolutionnaires locaux espéraient un nouveau Mai Soixante-Huit pour le Cinquantenaire. L’une d’elles a été corrigée en Vagissement. Peut-être une allusion à la seule insurrection qui vient, celle des Gilets Jaunes.
                                                           *
Mai mil neuf cent soixante-huit : Daniel Cohn-Bendit.
Novembre deux mille dix-huit : Jacline Mouraud.
 

1 2 3