Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

14 juillet 2020


Journée de transfert ce lundi, de Clermont-Ferrand à Aurillac, du « logement  industriel » à un « appartement de charme accueillant et moderne ». Je m’offre un dernier café croissant à deux euros au Château Rouge, fais mon bagage, laisse la clé du studio quitté dans la boîte à code et traverse l’avenue de l’Union Soviétique.
Le premier train Clermont Aurillac (en deux heures vingt) ne part qu’à dix heures trente-cinq. C’est un petit Téheuherre Auvergne Rhône-Alpes. Il n’est pas très fréquenté. Chacun peut s’y assoir sans voisinage.
Il démarre bien à l’heure et va sans trop se presser mais, arrivé à Neussargues, il cale. Une porte ne veut plus se fermer, ce qui me rappelle les trains normands. Je commence à m’inquiéter car j’ai rendez-vous à quinze heures à Aurillac et j’aimerais bien faire avant cela mon seul repas de la journée.
L’avarie est réparée en dix minutes. Notre train se lance alors à l’assaut de la montagne, empruntant une fois un tunnel tout noir qui semble ne jamais finir. Nous voici au Lioran, puis c’est Vic-sur-Cère et enfin, à bonne vitesse, il file sur le chef-lieu du Cantal. Le but presque atteint, il s’immobilise brusquement sur un petit viaduc, on ne sait pourquoi. Je flippe un peu plus. Encore dix minutes de perdues.
Aurillac un lundi veille de jour férié, c’est une ville dont presque tous les commerces, bars et restaurants sont fermés, la circulation automobile quasiment nulle. Je trouve assez facilement la rue des Carmes qui doit me rapprocher de mon nouveau logis temporaire mais, nouvelle frayeur, au bout de celle-ci, il a bien une rue des Frères mais ce n’est pas celle que je cherche, la rue des Frères Charmes. Heureusement, un livreur me l’indique, pas loin de l’autre, quand je lui donne le nom du magasin qui doit me servir de repère, Cantal Shop.
Il est quatorze heures. L’endroit du rendez-vous repéré, je retourne rue des Frères où un restaurant est ouvert, le Momen’t Café. Ce serait le moment en effet. Une jolie serveuse me dit qu’il n’est pas trop tard et me dresse une table d’extérieur à l’ombre. Je choisis le plat du jour à huit euros cinquante, un faux-filet sauce au bleu frites maison salade, et l’accompagne d’un quart de côtes d’Auvergne rouge à six euros cinquante. Un café et me voici avec mes bagages face à Cantal Shop espérant voir arriver l’amie de ma logeuse qui est absente d’Aurillac.
Je n’ai que cinq minutes à m’angoisser après quinze heures. Une jeune et aimable personne me précède au quatrième étage sans ascenseur et me fait entrer dans le charmant logis sous les toits où, curieusement, il ne fait pas trop chaud. Elle me donne quelques instructions puis s’éclipse ne me laissant les clés. Ouf ! je suis dans la place.
Je ressors pour aller faire quelques pas le long de la Jordanne qui coule à côté puis trouve un café comme je les aime dont la terrasse s’est étendue jusqu’au jardin de la place du Square, le Grand Café Mary, d’aspect chic et à la clientèle mélangée. Surprise : le café est à un euro trente et le diabolo menthe à deux cinquante. Je lis là Montaigne en regardant passer les jolies filles du pays. C’est toujours le Centre mais c’est le Sud aussi.
Une ultime angoisse en rentrant, impossible d’ouvrir la porte de l’appartement. J’ai beau mettre la clenche en haut ou en bas, rien n’y fait. A l’étage du dessous un nouvel habitant emménage auprès de qui je vais chercher secours. En bidouillant, il découvre qu’il faut forcer la clenche vers le bas, ce que me confirme ma logeuse quand je lui expose ma difficulté par mail.
                                                               *
Disposant d’une machine à laver, je peux faire une vraie lessive, pas comme avant où c’était à la main avec du gel douche.
                                                               *
Place du Square, j’adore ce nom, qui ne peut donner lieu à aucune polémique.
 

13 juillet 2020


Pour mon dernier jour en Puy-de-Dôme, j’attends la première navette Panorama des Dômes en compagnie de deux femmes d’âges différents. « Allez-y, montez, c’est gratuit, le composteur ne fonctionne pas », nous dit le chauffeur de bonne humeur. Je lui demande de me signaler l’arrêt Place Allard quand on sera à Royat. « Mettez-vous devant, ce sera plus facile pour descendre », me dit-il.
La navette se charge un peu en ville, «Allez-y c’est gratuit ». Arrivé à Royat, l’homme aimable me fait descendre place Allard, près des Thermes, devant un hôtel nommé Le César. J’y prends un café verre d’eau en extérieur et regarde passer, bientôt lancés à l’assaut du Puy de Dôme, les Anquetil et les Poulidor du dimanche.
Cela bu, invité par les pancartes « Vieux Royat » « Eglise XIe siècle », je monte un peu plus haut. Quel bel édifice que cette église fortifiée Saint-Léger devant laquelle je me trouve à l’heure de l’arrivée des paroissiens à la messe dominicale. Un mendiant les sollicite que la plupart ignore. Le vieux Royat ne vaut pas certains cœurs de villes de la région mais il a son charme. Un ruisseau coule par-là, nommé la Tiretaine.
Après avoir vu de Royat l’essentiel, je descends gentiment la route et arrive à Chamalières « ville de référence et d’innovation ». Là aussi c’est l’église qui retient mon attention mais le manque de recul m’empêche de la bien photographier. Quant au centre-ville, il est sans vie ce dimanche et de moindre intérêt architectural que celui de  sa jumelle.
Dans un premier temps, je voulais regagner Clermont à pied mais mon ticket inutilisé à l’aller m’oblige à prendre un bus ordinaire jusqu’à place de Jaude. De là, par la rue des Gras, je marche droit sur la Cathédrale à qui je dis adieu, puis fais la même chose par la rue du Port pour Notre-Dame du Port dans laquelle l’orgue se fait entendre.
En chemin vers la Gare je m’arrête au Petit Albert, qui est devenu asiatique. J’y prends un café verre d’eau en extérieur et y termine le premier volume des Essais. … je me trouve peu sujet aux maladies populaires, qui se chargent par la conversation et qui naissent de la contagion de l’air, et je me suis sauvé de celles de mon temps… Fasse la fortune que je sois comme ce Michel de Montaigne, me dis-je.
Pour déjeuner je n’ai pas le choix, c’est chez le kebabier d’à côté de chez moi, d’un plat aux trois viandes (merguez poulet kebab) avec jus d’orange Oasis, dessert au caramel et café pour seize euros cinquante.
Il fait un temps magnifique pour mon dernier jour à Clermont-Ferrand, une ville où sans doute je ne reviendrai pas.
                                                                            *
Il y a celui qui plie son masque soigneusement, en quatre, et le glisse dans la poche de sa chemise. Il y a celle qui le jette, en vrac, dans son sac à main.
Il y en a d’autres qui les laissent derrière leur pare-brise, là où certains mettaient un gilet jaune.
 

12 juillet 2020


Première fois que je me réveille aussi tard depuis mon départ en vadrouille : six heures quarante-cinq. Le jour où j’ai un train à sept heures trente-six. Cela oblige à faire vite. Heureusement, je suis en face de la Gare. Me voilà même un peu en avance sur le quai indiqué.
 Ce samedi, le Clermont-Ferrand Thiers se compose de deux rames, dont « J’irai revoir ma Normandie »  où je suis seul durant tout le trajet (arrêts à Aulnat Aéroport, Pont-du-Château, Vertazon, Lezoux et Pont-de-Dore ; des lieux qui ne donnent pas envie de descendre). Arrivé en Gare de Thiers, je découvre qu’il n’y avait personne dans l’autre rame, même pas un contrôleur. Avoir un train pour soi tout seul, c’est une première fois dans ma vie. Le billet m’a coûté cinq euros, ce qui est le prix du papier selon un guichetier de Rouen. C’est une bonne affaire pour la Senecefe.
A la sortie, je descends un doux escalier qui mène droit à l’Hôtel de la Gare, un charmant petit établissement à glycines, la seule adresse « Où dormir » de mon Guide du Routard deux mille deux. Je m’assois à sa terrasse et commande un café croissant au chaleureux hôtelier. « C’est un croissant au beurre de Charentes que je fais moi-même », m’annonce-t-il.
Il m’indique comment rejoindre le centre de Thiers, ville qui monte et qui descend et pas qu’un peu, célèbre au passé pour ses coutelleries. Dommage qu’elle ne soit pas mieux connue pour sa beauté. Personnellement, elle m’enchante. François Truffaut y a tourné L’Argent de poche. Je passe par l’Hôtel du Pirou, remarquable demeure du quinzième siècle, la Maison de l’Homme des Bois (tout poilu) et l’église Saint-Genès où je trouve un homme (peut-être le curé) qui repasse au fer à vapeur sur le maître-autel. Il me dit bonjour comme si la situation était banale. Je descends ensuite marcher le long de la partie calme de la Durolle, près de l’église Saint-Jean et de son vieux cimetière, puis vais voir la partie agitée, façon torrent de montagne, qui faisait tourner les usines. La chute d’eau la plus impressionnante a pour nom Le Creux de l’Enfer.
Remonté en ville, je bois un café verre d’eau à l’une des deux tables d’extérieur de La Civette, place du Pirou (avec une pensée pour un certain Jean-Pierre). Juste en face est la Maison des Sept Péchés Capitaux, lesquels péchés sont sculptés à l’extrémité de sept poutres. Pas très loin, je retiens une table au Coutelier (la seule adresse « Où manger » de mon Routard deux mille deux).
Si l’Hôtel de la Gare n’a pas bougé depuis deux mille deux, il y a eu changement de propriétaire au Coutelier. La collection de couteaux a disparu. Restent des fresques murales représentant des curiosités de la ville. Ici, on ne peut manger qu’à l’intérieur et on se déplace avec masque. Dès midi et quart, c’est complet. J’avais oublié cette nuisance : les moutards de restaurant. Heureusement, ceux-ci sont loin de moi sous la fresque du Creux de l’Enfer, à leur place.
Délaissant le menu du jour, je choisis la terrine de pied de porc en gelée à sept euros cinquante puis la saucisse de choux d’Arconsat à la moutarde de Charroux à quatorze euros, avec un quart de vin d’Auvergne à huit euros cinquante. Cette cuisine un peu chichiteuse ne vaudra jamais pour moi la cuisine de gargote. Mes trente euros réglés, je prends le café à La Civette, un euro trente.
Je songe à en prendre un autre à l’Hôtel de la Gare mais déception il est fermé. Sur la porte, en différentes langues, l’écriteau « Complet ». C’est sur un banc ombragé que j’attends le train de retour avec Montaigne.
Si je n’ai pas ce train pour moi tout seul, je n’ai personne à moins de trente mètres, distanciation physique assurée.
                                                                          *
Mes photos : sans humains, sans voitures, sans poubelles. La première exigence est la plus facile à satisfaire.
 

11 juillet 2020


Il est bien compliqué d’aller par le transport en commun à La Bourboule (et au Mont-Dore quelques kilomètres plus haut) car la liaison par autorail s'est arrêtée en novembre deux mille quinze en raison des problèmes de déshuntage du matériel (je refuse de savoir ce que ça veut dire). Depuis lors, c’est par les cars de la Région mais au prix de la Senecefe qu’il faut y grimper. Pour ne rien arranger, le premier départ n’est qu’à dix heures dix et oblige à un changement à Laqueuille, car ce premier car file sur Ussel qui, si j’en juge ce vendredi matin par certains qui y montent, doit avoir son lot de pauvres.
Nous frôlons le lac d’Aydat, passons par le Puy de la Vache puis près d’Orcival, des lieux qui furent pour moi synonyme d’intense vie. Plus loin, c’est Rochefort-Montagne, au centre mignon dans son trou. Il faut une heure pour atteindre Laqueuille, joli village, mais l’arrêt est à la Gare, éloignée de tout.
Le deuxième véhicule est un minibus. Une jeune femme et moi tenons compagnie à sa chauffeuse un peu nerveuse. Elle nous laisse devant l’église de La Bourboule, fort belle, où se terminent des obsèques.
Dans cette rue principale, les restaurants ne manquent pas. Je choisis le Café de Paris dont la terrasse donne sur l’église et le menu du jour est à seize euros dix. C’est l’occasion de retrouver pour la première fois en entrée le pounti. J’opte ensuite pour une pièce de boucher, le dessus de la palette appelé « surprise » du bœuf, « morceau de bœuf rare », « peu connue et en quantité très limitée » (tellement limitée qu’il est à ce menu tous les jours). Je le fais accompagner d’un aligot avec supplément de deux euros. Tout cela est bien bon et le petit vin d’Ardèche aussi. Comme dessert, je choisis une classique crème brûlée.
Cela fait, je visite cette « ville insolite », comme il est écrit sur les camions municipaux. La prospérité n’y est plus. La faute à la Sécurité Sociale qui a exigé des médecins qu’ils remplacent les cures par les corticoïdes. La Maison Thermale Guillaume Lacoste est en vente à la découpe. A l’entrée du bourg, un autre bâtiment remarquable est en ruine. Le casino tient bon. La Dordogne aussi, qui coule étroitement à travers la cité.
Lorsque j’ai photographié tout ce qui retient mon attention, je vais boire un café verre d’eau à la terrasse du Bistroquet puis marche jusqu’à la Gare proche où j’attends le car du retour, un direct cette fois. Cette gare de La Bourboule est en travaux de réfection complète alors qu’elle ne sert plus à rien puisque n’y passent plus de train. C’est mystérieux.
Un jeune homme et un jeune couple montés au Mont-Dore sont avec moi les seuls passagers de ce retour. A l’arrivée à la Gare de Clermont ils sortent de la soute de gros sacs à dos. C’est léger que je traverse l’avenue de l’Union Soviétique pour regagner mon chez moi provisoire.
                                                            *
Jean-Louis Murat, né à Chamalières, a passé sa jeunesse à La Bourboule.
 

10 juillet 2020


Trente-quatre degrés annoncés à Clermont-Ferrand ce jeudi, Après un café pain au chocolat pour deux euros au Château Rouge, l’espoir d’un peu de fraicheur en altitude me fait monter dans la navette Panoramique des Dômes qui mène à la Gare du Panoramique des Dômes pour le prix d’un ticket urbain (un euro soixante). Le Quai Un d’où il part est sous mes fenêtres.
Une douzaine d’aspirants marcheurs l’empruntent ce matin à huit heures cinquante-huit, le premier de la journée. Il passe par Chamalières (petit pincement au cœur, comme on dit) où se tient le marché sur la place près de l’église puis par Royat, dont les Thermes se posent un peu là, avant de commencer à grimper de lacet en lacet. Il traverse un ou deux villages et au bout d’une demi-heure nous y sommes. Cette navette a pour mission de drainer des sans voitures jusqu’à la Gare du Panoramique d’où démarre le train électrique qui permet d’accéder au sommet du Puy de Dôme sans se fatiguer. On peut aussi y aller en marchant.
Y monter à pied, je l’ai déjà fait. Il y a longtemps, avec la fille de l’instituteur de Moulet-Marcenat, tandis que son père allait voir sa copine. J’étais jeune et vaillant et elle avait douze ans.
Je me contente aujourd’hui de marcher sur un sentier forestier qui ne monte pas et qui devrait me mener vers deux restaurants. En chemin, je rencontre un troupeau de vaches blanches que survole un parapente. Malheureusement, m’indiquent deux dames, pour aller jusqu’à ces deux restaurants, il me faudra longer une route à voitures. Je choisis de renoncer, fais demi-tour et m’installe à l’ombre pour lire Montaigne. Deux constatations : il ne fait guère moins chaud ici qu’en bas et dès leur descente de voiture les familles se ruent sur le train électrique.
A midi pile, je reprends la navette Panoramique des Dômes en compagnie d’un jeune couple à gros sacs à dos. Au premier village y monte une jeune femme tirant une charrette portant du matériel pour camper suivie de ses trois jeunes enfants. Elle me demande à quel arrêt descendre pour voir la Cathédrale avant d’aller à la Gare prendre un train pour Volvic. Je n’ai pas la présence d’esprit de lui dire que la Gare de Volvic est à quatre kilomètres du bourg, j’espère qu’elle le sait. Ils descendent à Jaude, le jeune couple et moi-même à la Gare.
Par le tunnel sous les voies, je rejoins Le Café de la Passerelle et y suis admis en terrasse derrière le bâtiment. Les habitués de l’autre jour sont toujours à l’apéro répété, dont le jeune Jules qui n’est pas de service. C’est le patron qui s’en charge tout en faisant la cuisine, aidé pour ce qui est des frites, préparées dans un local au fond de jardin, par un agité à l’allure de rockeur. Il est habillé de noir car il revient du cimetière, c’était une belle cérémonie, y avait de la musique classique.
Hareng pommes à l’huile, filet mignon avec frites, pour dessert je choisis deux boules de glace au caramel. Il est quatorze heures quand je quitte la table. C’est l’heure où les buveurs s’y mettent. L’un d’eux n’en travaille pas moins, « La réception, bonjour », déclare-t-il au téléphone quand il sonne, « A partir de seize heures, madame », puis il raccroche.
De l’autre côté du passage souterrain m’attend mon logement temporaire, toujours sans Internet. Mon logeur repasse bidouiller le boitier Huawei et voici que ça remarche.
                                                                     *
Quelque diversité d’herbes qu’il y ait, tout s’enveloppe sous le nom de salade. Michel de Montaigne, Les Essais
 

9 juillet 2020


C’est comme si je rentrais à Paris ce mercredi matin, mais de ce train Intercités dont le terminus est Bercy, je descends à Vichy, département de l’Allier. Par l’avenue des Célestins, je rejoins la source des Célestins. Mon vieux Guide du Routard me promettait des Vichyssois(e)s y remplissant leurs bouteilles d’eau. Bien qu’on puisse y puiser malgré le Covid qui rôde, nul(le) n’y est.
Que de beaux arbres à Vichy dans le parc qui borde l’Allier et dans celui de l’intérieur où se trouvait l’hôtel dont un certain Maréchal occupait tout le troisième étage depuis la capitulation, il y a quatre-vingts ans. Une plaque peu visible, située non sur le bâtiment mais dans le parc en contrebas et signée des Fils et Filles des Déportés Juifs de France et de l’Association Cultuelle Israélite de Vichy rappelle la déportation de six mille cinq cents Juifs dont des centaines d’enfants le vingt-six août quarante-deux par le gouvernement de l’Etat Français installé dans cet immeuble. « Dans leur ensemble la population française et les clergés catholique et protestant se sont immédiatement opposés à ces mesures ». Ce « dans leur ensemble » et ce « immédiatement » me laissent songeur.
Vichy respire toujours la prospérité, même si ses meilleurs jours sont derrière elle. En témoignent les hôtels et établissements de cure fermés. Un certain nombre de restaurants le sont aussi. Pour déjeuner, je choisis un « japonais » avec menu à volonté, le Hanaki Sushi, et j’ai tort, c’est quelconque et l’attente des commandes est bien trop longue.
Je me requinque au bord de l’Allier, assis sur un banc bien ombragé du parc Napoléon le Troisième, regardant flotter des voiliers, kayaks et pédalos, tandis que derrière moi passent des familles dont les propos sont strictement familiaux.
A cette atmosphère paisible et fraiche succède celle difficilement supportable du train de retour parti de Paris Bercy, une véritable étuve où derrière les masques, on manque d’air.
Rentré à mon logement provisoire, je dois en ressortir pour utiliser la ouifi du New York Café contre le prix d’un café verre d’eau. La clientèle des habitués s’inquiète d’un retour du Covid avec tous ces gens qui voyagent. Je me fais discret.
                                                                              *
Plusieurs que je vois, quand ils entendent mal quelque chose (par exemple une information du chef de bord dans le train), décrocher le masque d’une de leurs oreilles.
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Vichy est la ville de Valery Larbaud. Héritier de Saint-Yorre qu’avait créé son père, il vécut rentier et écrivain. Une reconstitution de son bureau et de sa bibliothèque sont visibles le samedi (si ça n’a pas changé) dans la Bibliothèque Musée qui porte son nom.
 

8 juillet 2020


Un logement près d’une gare induit un calme relatif mais je dors néanmoins, et ce malgré le bruit industriel de la pendule, un sommeil interrompu par mes habituels moments de trop grande cogitation, au milieu de la nuit, alors que la lune est ronde.
A mon programme ce mardi, une excursion (comme on disait autrefois) à Brioude, département de la Haute-Loire. En attendant l’heure du train, je lis Montaigne à la terrasse ensoleillée du Château Rouge où à cette heure le café est à un euro.
C’est un train composé d’une rame Normandie et d’une rame Haute-Loire, ayant pour terminus Le-Puy-en-Velay, qui m’emmène à Brioude où j’arrive à dix heures quarante-quatre après près d’une heure d’un trajet passant par Issoire.
De loin, j’aperçois la Basilique Saint-Julien, la plus grande église romane d’Auvergne, grès rouge, basalte noir ou rouge, marbre gris et rose. J’en fais le tour en photos puis parcours des rues étroites, où nul ne semble vivre, jusqu’à ce qu’il soit midi. Près de la Maison de Mandrin, je trouve l’Hôtel Restaurant du Centre où je décide de déjeuner à l’une des tables de terrasse d’un menu complet à quinze euros cinquante, lequel, je le sais, ne m’éblouira pas : feuilleté au jambon, saucisse petits pois carottes, fromages et mousse au chocolat blanc. Le meilleur, ce sont les fromages auvergnats dont on vous laisse vous servir à volonté.
Une partie de la clientèle est composée d’employés de passage buvant de l’eau et une autre d’habitués retraités déjà bien imbibés. L’un de ces derniers est en boucle, racontant toutes les dix minutes que lorsqu’il est allé vendre sa voiture quarante euros au ferrailleur un quidam est arrivé avec deux chaudrons en cuivre trouvés à la déchetterie et « a pris quatre cents euros ».
Cette auberge quittée, j’entre dans la Basilique dont l’intérieur vaut l’extérieur, notamment pour son pavage aux motifs géométriques ou allégoriques réalisé avec des galets de l’Allier. Une Vierge parturiente, sculpture en bois du quatorzième siècle, figuration extrêmement rare de cette femme accouchant, est ainsi légendée par Paul Claudel Comme elle l’accepta, promis, elle le reçoit, consommé.
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Mauvaise surprise en rentrant, plus d’Internet. La ouifi par boîtier Huawei n’est pas la panacée. Je bidouille, débranche, enlève la batterie, la remets, mais macache. Je passe ainsi la soirée coupé du monde.
 

7 juillet 2020


Journée de translation clermontoise ce lundi, je quitte mon « charmant studio » du boulevard Trudaine, près de la pharmacie ouverte sept sur sept vingt-quatre sur vingt-quatre, pour un « studio industriel » sis au-dessus d’une pharmacie qui ferme sur le temps du midi, avenue de l’Union Soviétique, face à la Gare, endroit stratégique.
Un peu avant dix heures, je dépose la clé dans sa boite à code, descends les quatre étages avec ma valise peu chargée et la traîne jusqu’au Zanzibar où je prends un café verre d’eau en terrasse. Tout en lisant Les Essais, j’écoute ce qui fait causer les habitués. La place de la Poterne va devenir place Olympe de Gouges. Les avis divergent. Je ne me mêle pas de dire ce qu’il faut faire au monde, d’autres assez s’en mêlent, mais ce que j’y fais., c’est la position de Montaigne, la mienne aussi.
Vers onze heures et demie, je monte jusqu’à la Gare et choisis pour déjeuner la Brasserie des Commerçants qui bénéficie d’une vaste terrasse sur l’arrière. Le quart de vin rouge y est accompagné d’une petite verrine de tapenade mais le plat du jour à neuf euros, une longe de porc à la moutarde, est on ne peut plus sec. Je me console avec la tarte aux myrtilles puis, treize heures arrivant, je vais me poster devant la pharmacie.
A l’heure dite s’y présente l’homme de ménage chargé de me remettre les clés. Je monte avec lui au deuxième étage, découvre rapidement le mobilier dit industriel de mon nouveau chez moi temporaire puis dépose valise et sac à dos. Le laissant opérer, je vais faire un tour.
En continuant l’avenue de l’Union Soviétique puis en tournant à gauche et à droite, je devrais trouver Montferrand. Une jeune femme me le confirme et m’en montre le chemin sur son smartphone. « Vous en avez pour dix-sept minutes à peu près », me précise-t-elle.
Je passe devant le stade de foute face auquel est un Hôtel de Police qui sur son mur à coups de citations fait de Montesquieu, Sieyès, Camus et Saint-John-Perse des idéologues de la Loi et de l’Ordre. Arrivé à la Grande Pharmacie que domine une tourelle, j’entre dans Montferrand où je ne suis jamais venu. Cette ancienne commune me plaît d’emblée avec ses immeubles qui ont connu des jours meilleurs et son église anguleuse, Notre-Dame de la Prospérité. Je fais moult photos, ce qui me vaut d’être interpellé par une buveuse de bière : « C’est joli Montferrand hein ! Les maisons, pas les gens ». Elle m’indique une porte à pousser pour découvrir un bel escalier.
Au retour, je constate que la ouifi promise n’y est pas et qu’il manque les serviettes de toilette. Pour le prix d’un café, je me connecte à côté, au New York Café tenu par un jeune couple sympathique. « Je passe à sept heures », me répond mon hôte quand je l’informe de mes déboires. Ce qu’il fait, m’apportant ce qui manquait et bidouillant avec succès le boîtier Huawei.
 

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