Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

18 août 2020


Six heures trente-sept à la Gare de Limoges Bénédictins, le train de sept heures pour Saint-Junien arrive à quai. J’y monte et m’assois, salué par son conducteur. Chaque jour, cette Gare donne l’image d’une Gare qui fonctionne, ce qui me change de celles de Rouen et de Paris Saint-Lazare que j’ai beaucoup pratiquées avant-guerre. On ne voit d’ailleurs aucun agent sous l’immense coupole. Pas besoin de renseigner des voyageurs pris au dépourvu, il n’y a quasiment jamais de problème, les trains partent du quai indiqué à la minute près.
C’est encore le cas du mien dans lequel sont montés un autre homme et la fille de dernière minute. J’en descends à sept heures dix-sept, seize kilomètres plus loin, à Aixe-sur-Vienne.
La Gare est au bord de la Vienne. J’en suis le cours par un chemin de Grande Randonnée, laissant le bourg de côté. Malheureusement, ce Géherre vient assez vite buter dans un campigne et le contourne. Il emprunte ensuite l’avenue des Villas, celles-ci ayant toutes un accès privé à la rivière. Quand je revois l’eau, c’est près d’un moulin trop restauré. Le sentier devient chemin de Saint-Jacques.
Mon objectif n’est pas d’aller là-bas mais d’atteindre un jardin créé par Gilles Clément. Comme il n’est indiqué nulle part, que je suis arrivé à la sortie d’Aixe, que j’ai déjà trop marché et que les personnes que j’interroge n’en savent rien, j’abandonne et rejoins la route nationale pour me rendre au centre du bourg.
Celui-ci, à part l’église et une boulangerie, n’a rien à proposer. Pas même un bar possible où prendre un café. L’unique est le Marigny, ses deux tables de trottoir sont squattées par les poivrots locaux.
Ce n’est pas ma seule mauvaise découverte. Des deux seuls restaurants de cette ville, l’un, La Petite Chopine, est en vacances et l’autre, La Chaumière, a complètement brûlé en février dernier.
Il n’y a rien d’autre pour manger à Aixe-sur-Vienne, pas même un kébabier.
Je dois donc aller faire des courses chez U, une activité dont j’avais perdu l’habitude : sandouiche au poulet crudités, salade italienne, banane, bouteille d’eau.
Sans attendre midi, je m’offre ce festin sur une table de pique-nique du bord de la Vienne. Ce qui n’est finalement pas désagréable. Cette rivière est belle et apaisante. Je me balade ensuite sur son autre rive avant de rejoindre la Gare où j’attends le train du retour avec comme bande-son le bruit de la chute d’eau que j’ai photographiée en arrivant, retardant un peu le train devant lequel je devais traverser la voie avant qu’il ne reparte.
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Pas déçu d’avoir manqué le jardin de Gilles Clément. Je ne suis pas fou des jardins, quels qu’ils soient. Quand je les pratique, c’est surtout pour y trouver un banc.
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Sur une maison semi-ruinée d’Aixe-sur-Vienne, une imposante plaque « ici est né ». Elle concerne Pierre Eugène Rougerie, qui fut jadis évêque de Pamiers : « Au distingué prélat dont la science et la vertu furent l’honneur de sa petite patrie, la ville d’Aixe reconnaissante ».
Cette plaque me semble suffisamment lourde pour causer l’effondrement du bâtiment.
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Dans la rue principale d’Aixe-sur-Vienne (route nationale vingt et un) un horloger (fermé) nommé Proust. Il a jugé superflu d’appeler sa boutique « Le temps retrouvé ».
 

17 août 2020


Ce dimanche, après vingt kilomètres dans un Limoges Bordeaux un peu trop fréquenté à mon goût, je descends à Nexon, une ville qui n’occulte pas son passé. A la sortie de la Gare, une stèle et des panneaux explicatifs rappellent que ce lieu fut un point de départ vers les camps d’extermination nazis. Cependant nous ne sommes que deux à avoir quitté le train dans cette Gare et elle est située sur une route où ne passe quasiment personne, ce lieu de mémoire ne doit donc pas toucher grand monde. Et assurément pas ceux qui arrivent au centre du bourg en voiture. Celui-ci n’est pas proche. J’ai deux kilomètres cinq à faire pédestrement.
A mi-chemin est le Restaurant Massy qui est ouvert et n’affiche pas complet. J’y réserve une table pour midi puis passe devant le cimetière près duquel sont une jolie chapelle et la caserne des pompiers. Les hommes du feu sont rassemblés près de leur gros camion rouge, sans masque et à moins d’un mètre l’un de l’autre (on se connaît, on ne peut pas être malades). Bientôt, j’arrive dans le faubourg commerçant où l’on fait file masqué devant la boulangerie.
Plus loin se trouvent l’église fortifiée et, face à elle, le Château Mairie. Dans son parc est installé le chapiteau permanent chauffé au gaz du Sirque créé par Pierre Etaix et Annie Fratellini. Avant-guerre, chaque été à Nexon, c’était un festival du cirque. Cette année, il a lieu en mode dégradé. Je fais des photos du chapiteau et du château, incluant dans l’une, malgré moi, une circassienne qui se brosse les dents dans l’entrebâillement d’une porte. Il est onze heures cinq, l’heure où se lèvent les artistes.
Quand je reviens vers le Restaurant Massy, comme il n’est pas encore midi, j’entre dans le cimetière et rien qu’en remontant l’allée principale, j’y trouve les tombes des familles Grobonnet, Latouille, Beaujoin, Longequeue et (il fallait bien que vous) Mourier.
Une table est mise chez Massy, qui m’attend à l’abri du soleil ou de l’averse. Le menu dominical est à vingt-sept euros et la serveuse habillée d’une façon qu’elle doit juger festive mais est surtout vulgaire. Cela lui vaut les compliments d’hommes qui prennent des verres de blanc en attendant le reste d’un groupe qui heureusement mangera à l’intérieur.
-Je me plains pas, avec quatre enfants, ça va, leur répond-elle.
J’ai choisi le foie gras, le pavé de bœuf sauce poivre, l’assiette de fromages et l’omelette norvégienne. C’est plutôt bon, c’est copieux, c’est de la cuisine à l’ancienne de restaurant où les légumes sont appelés de la garniture. Je n’ai rien à redire non plus de ma demi-bouteille de cahors à dix euros. Et j’ai juste le temps qu’il me faut pour rejoindre la Gare de Nexon qui contrairement à d’autres n’est pas désaffectée. Le chef de gare y tamponne mon billet que le composteur refuse d’honorer.
                                                                        *
Le vingt-neuf août mil neuf cent quarante-deux, quarre cent cinquante Juifs dont soixante-huit enfants de la région de Limoges sont arrêtés et rassemblés à Nexon. Ils seront livrés aux nazis et déportés à Auschwitz.
                                                                        *
Près de Limoges est aussi Oradour-sur-Glane, accessible en car mais où je ne vais pas.
On ne va pas à Oradour-sur-Glane, on ne visite pas la maison d’Anne Frank, on ne va pas à Auschwitz, telle est ma position.
 

16 août 2020


Vivre le quinze août comme une journée ordinaire, tel est mon objectif, et pour ce faire, je prends à sept heures quarante-quatre le train pour Poitiers. Après avoir revu au passage et avec plaisir Bellac accrochée à son rocher, je descends à l’arrêt suivant, Le Dorat, capitale de la Basse Marche, à cinquante-six kilomètres de Limoges.
La Gare en est désaffectée, tout comme le Café de la Gare situé logiquement en face. Aucune hésitation sur la route à suivre, j’aperçois déjà l’immense collégiale qui fait la renommée de l’endroit. En m’en rapprochant, je passe devant le restaurant La Marmite où je souhaite réserver une table de terrasse mais rien n’y frémit.
Un échafaudage défigure partiellement la collégiale du Dorat, ce qui complique la photographie. Si elle est impressionnante par ses dimensions, je la trouve globalement laide et ne m’attarde pas. Empruntant une rue qui monte, j’arrive sur la place principale. Tous les cafés sont fermés mais pas la boulangerie. J’y achète un croissant et une chocolatine qui ont l’avantage d’être énormes. Je les mange sur un banc à proximité d’un aguiche touristes, belvédère d’où l’on voit une colline quelconque parsemée de maisons quelconques et agrémentée de six éoliennes qui ne tournent pas.
Puis je redescends pour découvrir la porte Bergère, seule porte fortifiée de la Haute-Vienne, solide et majestueuse. De là, je vais voir si ça bouge à La Marmite. Des lampes y sont allumées mais déception à mon arrivée, « restaurant complet » est-il affiché. Je tente de négocier une table pour un homme seul à midi précise, en vain. Celui qui me répond m’envoie au Cèdre à la sortie du bourg, mais aujourd’hui on n’y propose que des burgueurs ou une entrecôte à dix-neuf euros.
En revanche, pas loin, est un endroit atypique qui me sauve la mise : La Terrasse des Iles, bar restaurant épicerie brocante. La terrasse est sur l’arrière. Le maître des lieux propose un menu à treize euros, entrée plat dessert, même en ce jour férié, Il ne sait pas encore quoi. Mon impression étant bonne sur lui-même et sur sa boutique où se côtoient harmonieusement bibelots, primeurs et gens du pays déjà à l’apéro, je réserve une table.
En attendant qu’il soit l’heure du repas, je retourne au belvédère afin de descendre dans le jardin en contre-bas et y arrive en même temps qu’une vieille.
-Ah c’est pas vrai, y zont mis des éoliennes, s’exclame-t-elle.
-Et en quoi est-ce que ça vous dérange ?
-Ça me dérange, oui.
-Et votre masque, il ne vous dérange pas ?
-Et vous, vous l’avez pas mis !
-Moi je ne l’ai pas mis, mais quand je le mets, je le mets correctement, pas comme vous en bavoir.
-Spèce de con !
C’est assez content de moi que je poursuis la lecture des Essais de Montaigne sur un banc ombragé. Je ne vois personne passer dans ce jardin jusqu’à ce qu’il soit l’heure de retourner à La Terrasse des Iles. L’épouse du patron est en cuisine. Elle est originaire de Madagascar. La carte et le menu en profitent.
Installé bien à l’ombre, près d’un jardin où ne poussent que des potirons, se succèdent sur ma table nems maison, rougail saucisse maison avec des haricots verts de Madagascar et gâteau maison ananas coco framboise. Tout est délicieux. Aux tables voisines sont un duo d’hommes anglais habitués du lieu et un trio père mère fille n’ayant pu entrer dans La Marmite et estimant comme moi que c’est une chance.
-Tous les maris envoient leur femme en éclaireur, constate la fille quand arrive la moitié d’un couple.
-Oui mais moi, je m’occupais du chien, tente de se justifier son père.
Ils ont eu la bonne idée de le laisser dans la voiture.
-Je vous ai mis un petit chocolat de Madagascar au baie rose, me dit le sympathique cafetier restaurateur épicier brocanteur quand il m’apporte le café.
Le beau ciel bleu se charge de nuages noirs quand je reviens vers la Gare. En passant devant La Marmite, je constate qu’aucune des tables de la terrasse n’est occupée. Ces fainéants préfèrent ne servir qu’à l’intérieur.
Je lis Montaigne à la Gare de Le Dorat (comme il est écrit sur son fronton) jusqu’à ce qu’arrivent en même temps, de directions opposées et sans être annoncés, deux trains du Limousin. Heureusement qu’une jeune fille est là pour me dire lequel va à Poitiers et lequel à Limoges.
                                                                        *
Au Dorat, la Médiathèque toute récente, inaugurée le vingt janvier deux mille vingt, et dont une fenêtre semble avoir explosé, se nomme Gaëtan Picon.
« Mais pourquoi Monsieur le Maire a-t-il proposé au Conseil Municipal le nom de Gaëtan Picon pour la Médiathèque Municipale ? Bernard Magnin a débuté sa carrière de médecin dans la maison familiale Picon. Depuis cette époque, il est en relation avec les fils et la belle-fille de cet illustre Dorachon d'adoption.
Au fil des années, il a apprécié son œuvre littéraire et il a pris conscience du travail qu'il a effectué auprès du Ministre André Malraux ; avec la mise en place d'une politique ambitieuse pour les musées et un soutien aux artistes. Gaëtan Picon a très largement contribué au développement des Maisons de la Culture.
Monsieur le Maire a voulu nous faire partager son engouement pour l'œuvre et le travail de Gaëtan Picon. C'est pour cette raison qu'il a proposé cette dénomination pour notre Médiathèque Municipale. La décision a été votée à l’unanimité par le Conseil Municipal.
Le jour de l'inauguration, le discours de Monsieur le Maire, s'inspirait de ses documents personnels et de ceux fournis par la famille Picon qui a validé ses propos. » (page Effe Bé de la ville du Dorat).
                                                                          *
Gaëtan Picon a été inhumé au cimetière du Dorat. Dommage de ne l’avoir appris qu’une fois rentré.
 

15 août 2020


Limoges, ville où l’on peut encore faire usage de son cerveau personnel pour savoir si telle rue est potentiellement dangereuse et telle autre non, mais pour combien de temps, la contagion de l’obligation du masque « partout tout le temps » est en marche dans de plus en plus de villes. Ce qui n’arrêtera pas une maladie que l’on se refile dans les réunions de famille, aux soirées entre peutes et au boulot entre collègues.
Ce vendredi matin, avant de prendre le train, sous un ciel gris et par une température compatible avec le genre humain, je profite de cette liberté de marcher sans masque dans l’hyper centre. J’évite les autres (très peu nombreux), prends un croissant chez Paul, cher et mauvais, et un café au Central où à certaines tables s’agglutinent les habitués, des retraités mais aussi des collègues de travail. Ils se connaissent donc ils estiment qu’ils ne peuvent pas être malades. « On est entre nous », dit l’un à une femme qui entre dans le bar en ayant oublié son masque.
Dans les trains, aucun contrôleur ne fait de remontrance à celles et ceux qui le portent en bavoir. Celui d’Ussel, que je prends jusqu’au premier arrêt, Saint-Priest Taurion, à quatorze kilomètres de Limoges, est peu fréquenté mais mal fréquenté.
La Gare de Saint-Priest Taurion est désaffectée et je suis le seul à y descendre. La route à suivre pour rejoindre le centre de ce bourg est évidente. J’y suis rapidement.
En passant devant le Bar des Sports, rebaptisé Chez Pat, je retiens une table en terrasse puis arrive à la Mairie mignonnette avec son extension platement moderne. En face est une fontaine derrière laquelle opère un marchand de légumes ambulant dont la fille est le principal argument de vente. Un peu plus loin se rejoignent la Vienne et le Taurion. J’en fais quelques photos, ainsi que du viaduc par lequel est arrivé le train.
Il me reste à trouver l’église. Elle est au bout du pays, modeste avec un clocher recouvert d’ardoises, à la normande. Une barrière en accordéon empêche les chats d’y pénétrer par la porte restée ouverte.
Ce bourg qui n’a l’air de rien est empli de bobos cathos avec ordis à la pomme. Ils se retrouvent Chez Pat.
-Et la messe, elle aura lieu où ? demande l’une.
-Dans les bois, répond la tête pensante, un garçon bien sûr.
-Oh génial !
Une autre, porteuse d’une guirlande de pâquerettes dans les cheveux, accueille son frère qui vient de rouler pendant quatre cents kilomètres. « Ici, on est chez Pat, lui dit-elle, elle est trop choute. »
Elle est peut-être choute mais c’est une piètre cuisinière. Je le constate en mangeant son lamentable filet de dinde aux pommes de terre. Avant, en entrée, c’était de la charcuterie industrielle. Après, en dessert, un cornet de glace industriel caramel beurre salé. Bon, avec le quart de vin rouge inclus, ça ne fait que douze euros, on ne peut trop exiger. Quand les jeunes cathos s’en vont récolter des bottes de paille, un couple d’hommes les remplace. Contrairement aux enfants de Dieu, ils me souhaitent un bon appétit.
Il y a aussi un vieux du pays qui mange à l’intérieur et puis un type au comptoir qui boit des cognacs : « Tu te souviens pas de moi Patricia ? » Ce bar se trouve à un carrefour de cinq routes. Jusqu’à mon café j’ai l’espoir d’assister à un bel accident, mais il est déçu.
Le train du retour, que je suis seul à attendre à Saint-Priest Taurion, n’a qu’une rame. Sa porte s’ouvre sur un amoncellement de vélos. La peste soit de ces bicyclistes qui font la moitié de leur randonnée sans pédaler. A cause d’eux, je dois voyager assis sur un strapontin.
                                                                            *
« Et donc vous allez vivre ainsi, masqué, jusqu’au jour de votre mort ? », ai-je envie de demander à qui je croise, car cette maladie n’a pas de traitement et il est improbable que l’on trouve un vaccin qui la fasse disparaître.
                                                                            *
« Mieux vaut être masqué que reconfiné. », répète le Mayer-Rossignol, Maire de Rouen, Socialiste, encore jeune mais déjà atteint de psittacisme. On peut avoir les deux. Ou ni l’un ni l’autre, comme en Suède.
 

14 août 2020


Furibard, ce jeudi au réveil, quand j’apprends que ce nouveau Maire de Rouen, Mayer-Rossignol, Socialiste, pour lequel je n’ai pas voté, décide d’imposer le port du masque, non seulement, comme je m’y attendais, dans les rues à boutiques où je ne passe pratiquement jamais, mais dans tout l’intérieur des boulevards, y compris dans les rues quasi désertes que j’utilisais quotidiennement. Putain de bordel de merde ! Dire que je vais être obligé de bientôt rentrer dans cette ville.
A la Gare des Bénédictins, c’est une autre qui est énervée, et pour pas grand-chose. Le train venant de Brive et devant y retourner est annoncé avec un retard de vingt minutes. « Quel malheur !  Quelle tristesse ! », se plaint-elle auprès d’un contrôleur à quai. On voit bien qu’elle n’a jamais pris le train en Normandie.
Ce retard me gêne d’autant moins qu’il permet de laisser passer une averse. Quand, dix minutes après être monté dans ce train qui semble sorti d’un musée et où la contrôleuse ne trouve rien à redire au compostage de mon billet par la machine, j’en descends à Solignac, il ne pleut plus.
Heureusement qu’arrive en voiture un autochtone à qui demander mon chemin car c’est la cambrousse autour de cette Gare fermée aux fenêtres condamnées. Il me faut marcher longuement dans le sens de la descente avant de voir apparaitre l’Abbaye que Dagobert autorisa Eloi à construire et qui fut saccagée par les Sarrazins et les Normands.
Je continue à descendre et arrive au vieux pont sur la Briance. Je marche le long de cette rivière jusqu’à ce que le chemin se mette à monter dans la forêt, alors là non. Ayant fait demi-tour, j’assiste au départ de moutons vers l’abattoir dans un camion dont le cul s’est calé au bout du pont transformé en piège idéal. Dès que la moitié du troupeau est à l’intérieur, la plate-forme ascenseur les transporte au premier étage et les autres futurs gigots entrent à leur tour. A proximité est un restaurant nommé Le Quatre, je ne sais si on en sert, aujourd’hui je n’ai pas faim, ce Mayer-Rossignol m’a coupé l’appétit.
Je retourne à l’Abbaye dont les portes sont maintenant ouvertes et visite ce qui est visitable. Une plaque rappelle qu’ici se réfugièrent les élèves de l’Ecole Normale d’Obernai. Avant cela, elle fut pensionnat de jeunes filles puis fabrique de porcelaine.
Quand je remonte vers la Gare, je fais un crochet par le chemin du rocher de Saint Eloi où l’on trouve la pierre qu’il aurait lancée pour savoir où construire son abbaye. Peut-être devrais-je faire de même pour savoir où finir ma vie.
                                                                            *
Où que tu ailles il y a toujours un type qui promène son chien (constatation de Solignac).
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Rouen : jamais la Commune Libre de l’île Lacroix, hors périmètre à masque obligatoire, n’aura mieux porté son nom. Oui mais, que des vieux, des commerces vivotant, un café déprimant, pas le genre d’endroit où aller habiter.
 

13 août 2020


Ce mercredi, j’emprunte jusqu’à son terminus un train qui part à sept heures pile : le Limoges Saint-Junien qui relie, distantes de quarante-deux kilomètres, les deux plus grandes villes de la Haute-Vienne (avec un certain déséquilibre au profit de la première).
C’est une rame unique dans laquelle outre moi-même n’est montée qu’une habituée à l’ultime minute. A peine sommes-nous partis que le contrôleur contrôle et me dit avec un air satisfait « Vous n’avez pas composté votre billet ». Touche-t-il un pourcentage de l’amende ?
-Regardez ici, lui dis-je, c’est écrit « Composté à 6h23 ».
-Ah c’est la machine qui l’a fait, s’exclame-t-il.
-Oui, comme chaque fois que l’on prend un billet pour le prochain départ, lui expliqué-je.
Je me demande ce qu’on apprend à l’école des contrôleurs.
Nous circulons d’abord en plein milieu des maisons de Limoges, un premier arrêt en banlieue, et ensuite le machiniste met la gomme. A partir d’Aixe-sur-Vienne, nous suivons cette rivière au cours parfois tumultueux bordée d’usines désaffectées à belles cheminées de brique.
Point de boulangerie en face de la Gare de Saint-Junien, rien n’y vit. Il faut monter une rude pente pour arriver au centre-ville. Je veux photographier la statue Le chêne et le roseau du Limougeaud Henri Couteillas avec la collégiale à l’arrière-plan quand je découvre que la batterie de mon appareil est à plat.
Il n’y aura donc pas de photos de Saint-Junien mais je la visite, sous un ciel menaçant, comme si je la photographiais.
A midi, je déjeune à Lo Bistrot Lemosin où j’ai réservé en arrivant, un endroit qui propose de la cuisine limousine et défend l’usage du parler limousin. Pas de terrasse, il faut prendre le risque de manger à l’intérieur parmi les ventilateurs (ce qu’a déconseillé le Ministre de la Santé). Sur les murs « lemosin ! fau pas laisser tombar ta lenga ». La patronne joue un peu trop à la patronne de restaurant. Son mari est à la cuisine. Comme je suis le seul client entre midi et midi et quart, il n’est pas bousculé et me regarde manger son menut l’ordinari depuis le comptoir avec son béret de gars qui a des racines. Le masque chirurgical nuit un peu à la fière allure. Après une bourriquette, j’ai choisi la saucisse de cul noir ratatouille et frites maison et termine par une mousse au chocolat car je n’ai plus faim, tant pis pour les œufs de la mémé. Avec le quart de vin rouge et le café, cela fait vingt-cinq euros quarante-cinq payés à une patronne persuadée qu’on a passé un très bon moment chez elle.
Dans le faubourg qui mène à la Gare, je découvre une jeune fille buvant son thé assise à même le sol de son balcon les jambes nues relevées dont je ferais bien une photo, oui mais. Je passe mon chemin, arrive à la gare où compostar et attendar pour rentrar.
                                                                         *
Le matin, un premier café à un euro vingt au Corot, un bar tabac qui faisait hôtel. Aux étages, il montre sa déconfiture. Au rez-de-chaussée, une décoration plus ou moins artistique évoque la peinture de Corot qui séjourna dans cette ville. Un endroit baptisé le site Corot ne vaut pas le détour selon Le Guide du Routard.
Un second café à un euro à La Paillotte «  brasserie de l’écrit » qui défend une certaine idée de la poésie dont on peut lire sur ses murs des échantillons « Le Bistrot » « Les Rues ».
                                                                          *
A Lo Bistrot Lemosin, une bande son de chansons en patois, de musique martiale et de vieilleries en français, tout à coup Bourvil. Péquenauds de tous les pays, unissez-vous. Et aussi Notre vie c’est le ruby / Notre pays c’est l’Ovalie.
                                                                          *
Près de Lo Bistrot Lemosin, Apeiron, édition d’art poétique : « On n’est rien que des patates avec du jus dedans ».
 

12 août 2020


Jamais encore durant cette errance auvergnate et limousine, je n’ai pris le train si tôt que ce mardi, six heures cinq. Celui-ci va à Périgueux, mais j’en descends au quatrième arrêt, Thiviers, en Dordogne, à soixante-deux kilomètres de Limoges.
Je n’ai rien vu du paysage à cause de la nuit mais j’ai su qu’il tombait une averse. Il ne pleut plus à l’arrivée et je découvre que Thiviers est bien faite car il y a une boulangerie d’ouverte en face de la Gare à sept heures du matin. La boulangère est fort cordiale, elle m’indique comment trouver le centre situé pas trop loin.
J’y arrive avant que le marché soit installé sur la place face à l’imposante église derrière laquelle se trouve un non moins imposant château privé.
Thiviers, c’est aussi de belles maisons, certaines à l’abandon, une chapelle avec un écriteau « privé » sur la porte, un cours complémentaire de jeunes filles transformé en école maternelle dont le drapeau tricolore choit, un café à un euro vingt au Foch, un diabolo menthe à deux euros au Café du Marché, des conversation d’habitués se félicitant de la fraîcheur
Je déjeune Au Fil Des Saisons, bord de parquigne et de route à camions, avec d’autres de passage, deux motards, un trio père fils nouvelle copine, pour quinze euros tout compris : quiche auvergnate, suprême de poulet pâtes au pesto, fromage, tarte Tatin, quart de vin, café. Pendant ce déjeuner, le soleil se met à donner de nouveau et pas qu’un peu.
Chaque matin, après un semblant d’orage, j’espère la fin de la chaleur et ça repart de plus belle l’après-midi. Ce monde est tellement foutu que même les orages ne servent plus à rien.
                                                                      *
Il est arrivé à Jean-Paul Sartre, enfant, de passer ses vacances à Thiviers. Il y a sa place. Elle sert de parquigne pour les commerçants du marché. On y trouve des toilettes publiques.
                                                                      *
Au Café du Marché : «  Je voudrais savoir si vous avez une place pour deux pèlerins ce soir. Je sais on vous appelle un peu tard mais on est en avance sur notre chemin ». (Compostelle, cette plaie omniprésente).
C’est Stéphanie et Sacha. Elle organise tout par téléphone. Lui suit et paie les additions. Cette façon gourmande qu’elle a de dire « Nous sommes pèlerins ».
                                                                      *
Un motard à l’autre au déjeuner : « T’as pris tes comprimés ? ». (L’amour, sans doute)
 

11 août 2020


Cinq minutes de retard, comme annoncé, pas une de plus, pour le train à une seule rame qui arrive de Guéret et y retourne illico ce lundi matin. J’en descends au deuxième arrêt, à Saint-Sulpice-Laurière, distant de trente-trois kilomètres de Limoges, une destination qui ne figure pas dans mon vieux Guide du Routard mais dont a su me donner envie sa page Ouiquipédia.
Le pied posé dans cette commune de Haute-Vienne, je découvre les douze ginkgos biloba (dix mâles et deux femelles) qui poussent devant la Gare depuis mil huit cent soixante-quatre. Ils furent offerts à l'ingénieur en chef du chantier de cette Gare, M de Leffe, par le frère de l'empereur du Japon qui était devenu son ami lors d’un voyage du Français là-bas. Ces arbres ne m’impressionnent pas suffisamment pour que je les photographie.
Je suis davantage intéressé par l’église Notre-Dame-de-la-Voie, construite au vingtième siècle près de cette Gare, selon la volonté du père Fredon et avec la participation financière des paroissiens (l'église du bourg étant trop éloignée de celui-ci et de moins en moins fréquentée). Ce bâtiment d’architecture contemporaine semble plus ou moins abandonné. Le Bar Brasserie Le Relais des Cheminots en face est définitivement fermé.
En descendant vers le centre, j’entre au Bar Tabac Jeux Presse Le Kerguelen dont rien n’indique qu’il fait aussi Restaurant. Uniquement sur réservation, ai-je lu sur Internet. Ce que me confirme la patronne. Je réserve donc, sans savoir quoi ni à quel prix.
Puis continuant mon exploration de ce bourg où ça ne cesse de monter et de descendre, j’arrive à l’autre bout du pays sans avoir vu l’église principale. Je rebrousse et découvre qu’il fallait prendre la tangente pour voir cette église fortifiée.
Je fais un détour pour saluer des bovins du Limousin, puis marche longtemps au soleil. Vraiment cette église fortifiée est loin de tout, et fermée comme je le découvre en l’atteignant enfin. La Mairie et l’Ecole sont elles aussi au bout du pays.
Revenu au centre, je trouve à m’asseoir à l’ombre, sur la place où se côtoient médecin, pharmacien et opticien. Tout en lisant Montaigne, le chapitre sur le désir sexuel, j’assiste au ballet des voitures des locaux qui, semble-t-il, sont tous de grands malades.
Le ciel se couvre de plus en plus quand midi approche. La patronne du Kerguelen me déconseille la terrasse. Je vous ai mis là, me dit-elle en me montrant une table ronde pour quatre. Vous aimez le poisson, c’est du poisson aujourd’hui, ajoute le patron.
Je suis le seul client de ce restaurant caché mais, à une table rectangulaire, en même temps que moi, mangent le patron cuisinier, la patronne dérangée souvent par qui vient chercher sa dose de tabac ou de jeux à gratter, et leurs deux petites-filles en vacances. Roulé au jambon avec taboulé, poisson qui ne dit pas son nom sauce citron avec purée courgettes pommes de terre (excellente), fromages et tarte aux mirabelles, tel est le menu familial. Pour moi, avec le quart de vin rouge et le café, cela fait quatorze euros soixante-dix.
L’orage n’a pas éclaté. Je remercie vivement mes deux hôtes avant de retourner à la Gare et de quitter avec la rame venant de Guéret, Saint-Sulpice-Laurière, bourgade qui ne mérite sans doute pas le détour, sauf si on a envie d’aller où nul ne va.
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La Gare de Saint-Sulpice-Laurière sert de décor dans une scène du film de Patrice Chéreau, Ceux qui m'aiment prendront le train (que j’ai vu) et pour une des scènes-clés du film de Catherine Corsini La Belle Saison (que je n’ai pas vu).
 

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