Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

5 mars 2021


Après avoir douté de lui en raison de sa réputation d’efficacité réduite, ne voilà-t-il pas que je m’apprête à me faire injecter une dose du vaccin AstraZeneca.
D’une part, il apparaît plus efficace qu’annoncé. D’autre part, je n’ai pas l’espoir de pouvoir m’inscrire avant un mois, ou deux, pour avoir Pfizer, et le rendez-vous ne serait pas immédiat.
Quand je suis allé me renseigner sous la tente de la Croix Rouge installée derrière la statue de Flaubert afin de savoir s’il ne restait pas des doses le soir, inemployées, dont j’aurais pu bénéficier d’une, la dame en chasuble m’a dit qu’elles étaient réservées à des inscrits sur liste d’attente, et que celle-ci n’était ouverte qu’aux plus de soixante-quinze ans.
Aussi ce jeudi matin, j’appelle la secrétaire de mon médecin traitant pour savoir s’il vaccine avec AstraZeneca. « Oui », me répond-elle. Je lui demande si je peux, bien que n’ayant pas de comorbidité mais âgé de soixante-dix ans avec un poids modérément excessif. « Je lui pose la question et je vous rappelle », me dit-elle.
Ce n’est que vers treize heures trente que mon téléphone sonne. La réponse est positive et le rendez-vous pris. « Ce sera un autre médecin du cabinet qui vous recevra car ils font ça à tout de rôle », me précise-t-elle.
                                                                *
Fais-je bien ? Ce qui m’amène à me faire vacciner au plus vite, c’est la crainte qu’attendant un autre vaccin, Pfizer ou Janssen, peut-être meilleur, je courrais le risque, avant d’avoir droit à la piqûre, de choper la saloperie et de faire une forme grave voire mortelle.
Ce choix ne peut être que personnel. On ne demande pas d’avis ou de conseil à qui que ce soit pour ce genre de décision.
 

4 mars 2021


Korneï Tchoukovski approche de la soixantaine lorsque commence la Deuxième Guerre Mondiale. Il la traverse non sans souffrances comme en témoignent ces extraits du volume deux de son Journal publié chez Fayard :
Premier avril mil neuf cent quarante-deux : C’est mon anniversaire, j’ai soixante ans tout rond. Tachkent. Les abricotiers sont en fleur. Il fait frais. Tôt le matin. Les oiseaux gazouillent. La journée sera chaude.
Voici les cadeaux que j’ai eus pour mon anniversaire. Boris est porté disparu. (…) Nicolas est à Leningrad, avec une jambe blessée. (…) Il est à la rue, car l’appartement a été détruit par une bombe. Apparemment notre datcha de Pérédelkino a brûlé en entier, avec toute la bibliothèque que je m’étais constituée depuis le temps de ma jeunesse. Voilà, c’est avec ces cartes en main que je dois écrire un conte sur l’allégresse de la victoire.
Vingt-quatre juillet mil neuf cent quarante-trois : Hier je suis allé à Pérédelkino. C’était la première fois de tout cet été. J’ai constaté avec une horreur indescriptible que ma bibliothèque avait été entièrement pillée. Des rares livres qui restaient, les reliures avaient été arrachées. Tout le reste : mes « Nékrassoviana », ma collection des œuvres de Johnson, mes livres pour enfants, les milliers de pièces du théâtre anglais, ma bibliothèque d’essayistes, les lettres de mes enfants, celles de Maria B., mes lettres à elle – tout cela est éparpillé ou détruit et forme une sorte de revêtement de sol que je suis obligé de fouler du pied. En repartant, j’ai vu un feu dans la forêt. J’ai eu envie de m’approcher des enfants qui étaient assis autour. « Attendez, où allez-vous ? » Ils se sont enfuis. Quand je me suis approché du feu, j’ai vu : des livres anglais, ma collection de numéros de Think of It, ma revue enfantine américaine préférée, et des numéros de la Littérature enfantine. Je me suis dit que c’était grotesque, comme situation – de voir ceux à qui j’ai donné tant d’amour, des enfants, brûler devant moi des livres qui me servaient à les rendre heureux !
Vingt-neuf juin mil neuf cent quarante-quatre : M. F. Andreïéva m’a dit que Gorki ne croyait pas Knipper quand elle affirmait que Tchekhov avait dit sur son lit de mort : « Ich sterbe. » En fait, d’après Gorki, il aurait dit : « Salope ! » M. F. n’aime pas Tchekhov. Elle dit qu’elle ne peut pas lui pardonner ses relations avec Sofia P. Bonié, avec qui il aurait vécu pendant vingt années.
Dix-sept juillet mil neuf cent quarante-quatre : Je viens de donner ma dernière conférence à la salle Tchaïkovski. Je suis arrivé là-bas avec des savates trouées que j’aurais dû jeter depuis longtemps, et en plus sans chaussettes. Le directeur m’a prêté les siennes.
 

3 mars 2021


Seulement dix minutes de retard ce mardi pour le train de huit heures cinq arrivant de Paris et allant au Havre. La plupart de ses occupants descendent à Rouen, ce qui me permet de voyager loin d’autrui. Après la banlieue, c’est une sorte de désert campagnard dont on pourrait croire les habitants confinés. Une poignée d’humains descendent et montent à Yvetot puis à Bréauté-Beuzeville et c’est l’arrivée à la Gare du Havre. Devant celle-ci, je monte dans le tramouais qui arrive et en descends à La Plage son terminus.
De là, la mer à ma gauche, je marche un certain temps et arrive à Sainte-Adresse, ancienne capitale de la Belgique. La promenade y devient plus chic, avec une moitié pour les vélos et une moitié pour les piétons. Cette dernière est hélas polluée par une quantité de coureuses et coureurs qui expectorent à dix mètres.
Je connais peu Sainte-Adresse, et pas du tout ses hauteurs. Ce n’est pas aujourd’hui que je vais combler cette lacune car j’ai envie de rester au bord de la mer. Elle est haute, c’est jour de grande marée. Toujours marchant j’arrive à une fourche qui donne le choix. La première branche permet de continuer en bas par la digue du Bout du Monde mais celle-ci est effondrée et son accès barré. La seconde invite à monter sur la falaise mais le chemin s’achève par une boucle qui invite à redescendre. Un chemin de terre s’enfonce néanmoins dans les broussailles mais il est officiellement interdit en raison du risque d’éboulement de cette falaise. Je dois donc revenir sur mes pas.
Redescendu en bord de mer, je trouve à m’asseoir sur une structure en bois d’où, le masque ôté, je peux surveiller l’entrée et la sortie des porte-conteneurs dans le port du Havre. Devant moi passent les sempiternels sportifs et des familles plus ou moins masquées.
Comme il fait bon, je sors le livre emporté, Lettres à Věra de Karel Čapek en édition de poche chez Cambourakis. J’en lis une moitié avant de pique-niquer. Mon café bu, je reprends cette lecture attrayante.
Un deux ans et demi marchant sur la structure en bois descend pour me contourner. Remonté de l’autre côté, il se tourne vers moi :
-Monsieur, il est où papa ?
En voilà une question. Avant que je tente d’y répondre, il aperçoit celui qui, resté en arrière, tape ses chaussures de sport sur le sol pour les nettoyer. Le chérubin rejoint vite ce géniteur plus soucieux de ses godasses que de sa descendance.
Comme nous sommes ici en vacances scolaires, j’en vois d’autres passer, des pères divorcés. L’un d’eux a remplacé sa femme par sa mère pour la promenade au bord de la mer. C’est une famille recomposée d’un genre particulier.
Il est quinze heures quand je termine Lettres à Věra. Je rejoins Le Havre, croisant de plus en plus de monde, dont beaucoup de jeunes, mais aussi des vieux qui ne consentent pas à s’auto-isoler. Des branlotins en maillot plongent du haut d’une sorte de belvédère en bois dominant la mer. A quoi ne faut-il pas se résoudre pour éblouir certaines filles.
D’autres jeunes mâles préfèrent s’affronter au parc à skaite. Près de celui-ci est la station de tram. Je monte dans le premier en attente de départ. Après avoir traversé le centre-ville, je descends à l’arrêt Gares. « Pourquoi il y a un s à gares ? » demande à sa mère un moutard. Ferroviaire et routière, pourrait-elle lui répondre si elle se souciait de sa question.
                                                                      *
Ce mardi marque le trentième anniversaire de la mort de Serge Gainsbourg. Multiples hommages un peu partout. Assortis de multiples critiques sur le personnage et certaines de ses chansons jugées désormais problématiques. Sa fille Charlotte n’entre pas dans ce jeu-là, qui espère que s’il vivait aujourd’hui il les ferait quand même. J’en doute.
 

1er mars 2021


Ne m’avouant pas vaincu par la décrépitude de la ligne Paris Rouen Le Havre, je reprends ce samedi matin un billet daté de mardi pour la Porte Océane. Guère de monde à la Gare, j’y croise cependant le Playboy Communiste, semblable à lui-même, porteur de sa sempiternelle couverture, désormais orange. Il traverse la pandémie sans même la percevoir.
J’espère que cette escapade havraise (si elle se concrétise) ne sera pas ma dernière sortie avant un reconfinement. Les variants attaquent. L’anglais est partout (c’était bien la peine de priver de Noël les chauffeurs des camions revenant du Royaume-Uni en les bloquant à la frontière). Le sud-africain effraie ici ou là, passé par on ne sait où.
Pendant ce temps, la vaccination continue à rater mieux. Après deux mois, seulement un quart des plus de soixante-quinze ans ont eu la piqûre. Ne parlons pas des autres vieux, qui sont abandonnés. La pénurie est telle qu’on en est à retirer des vaccins de certaines régions pour les envoyer là où les réanimations débordent. Parmi ces lieux en tension (comme ils disent), Dunkerque où en août deux mille dix-huit j’ai passé de bons moments et Nice où je devais aller au printemps deux mille vingt, un séjour annulé à cause de la déclaration de guerre. Aujourd’hui, dans cette ville, les touristes ne sont pas les bienvenus. Le Maire les accuse d’être responsables de l’augmentation du « taux d’incidence » bien que ce soit dans le quartier de l’Ariane où nul vacancier n’aurait idée de mettre le pied que ça flambe (comme ils disent).
La Senecefe, qui n’en manque pas une, choisit précisément ce moment pour ressusciter son train de nuit pour Nice, premier départ le seize avril. Voyager par temps de Covid, certes à quatre au lieu de six et en position tête-bêche, mais pendant des heures, dans une cellule de wagon-lit, il faut avoir le goût du risque.
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Donc soixante-quinze pour cent des vieux de plus de soixante-quinze ans ne sont pas encore vaccinés. Ceux de la résidence Arcadie de Bordeaux ont manifesté avec leurs déambulateurs en barrant la rue Turenne. Leur slogan : « On est vieux mais on ne veut pas mourir ».
                                                                  *
Une bonne nouvelle quand même, le premier confinement n’aura pas été favorable à la reproduction de l’espèce : treize pour cent de baisse de natalité entre janvier deux mille vingt et janvier deux mille vingt et un. On appelle cela le baby crash.
 

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