Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

6 août 2015


« Je ne peux rien faire pour vous », me dit le jeune homme au guichet à cinq minutes de l’arrivée en gare de Rouen du train de sept heures cinquante-neuf pour Paris ce mercredi matin, la borne n’ayant pas voulu éditer mon billet acheté via Internet. Je n’ai pas le numéro de dossier.
-Ah si !, se rattrape-t-il.
Il me demande ma carte bancaire, l’utilise pour retrouver mon dossier et bientôt mes billets aller et retour sont imprimés.
-Finalement, ça sert à quelque chose les êtres humains, lui dis-je.
-C’est même mieux qu’Internet, me répond-il.
Arrivé dans la capitale, un bus Vingt est à Saint-Lazare pour m’emmener à la Bastille. Une quinquagénaire corpulente y monte un peu avant République et s’en prend au jeune chauffeur à lunettes noires. Elle lui demande de s’occuper de son bus. Il lui aurait jeté un regard hostile parce qu’elle fumait avant de monter. Je la prends pour une parano jusqu’à ce que ce chauffeur lui lance :
-Vous polluez l’espace public !
-Et vous, vous polluez mon espace sonore, lui rétorque t-elle.
Après un passage indispensable et fructueux chez Book-Off, je m’installe pour déjeuner à l’ombre en terrasse Chez Céleste, rue de Charonne.
-Vous attendez quelqu’un ? me demande la serveuse.
-Non, … enfin, je ne pense pas.
-On ne sait jamais, me dit-elle.
A peine ai-je choisi la friture d’éperlans suivie d’une grillade de porc accompagnée d’un quart de vin rouge portugais que je vois arriver un Rouennais que je croise souvent au marché du Clos Saint-Marc. On ne se connaît que de vue. Il baguenaude, le nez en l’air, observant les façades, passe deux fois devant moi sans me voir ou sembler me voir.  L’homme disparaît par le passage Lhomme. Je n’aurais pas eu la moindre envie de déjeuner avec lui.
Trois jeunes femmes s’installent à ma gauche dont l’une est déjà mère et s’en plaint :
-Ils sont chiants en ce moment.
-Bah, lui dit une autre, faut leur trouver des activités, une asso de quartier, quelqu’un qui s’en occupe à ta place.
La troisième veut bien manger du merlu s’il n’y a pas la tête dans l’assiette.
Je rejoins le Centre Pompidou à pied. Cela me permet de passer un certain temps à une température qui me convient et de voir les expositions Valérie Belin (Les images intranquilles) et Gottfried Honegger. La première, portraits de mannequins à « l’inquiétante étrangeté » et d’un faux Michael Jackson encore plus effrayant que le vrai, m’intéresse davantage que la seconde, Tableaux-reliefs monochromes et géométriques ou sculptures épurées.
Je découvre ensuite à l’autre bout une salle consacrée à Valérie Jouve, complétant l’exposition vue au Jeu de Paume, puis m’attarde devant le tableau du russe Erik Boulatov : Printemps dans une maison de repos des travailleurs. Cette peinture date de mil neuf cent quatre-vingt-huit et porte en elle la fin prochaine de l’histoire soviétique.
Je m’attarde aussi à suivre des yeux une fille qui me plaît et pour laquelle je suis transparent, ce qui n’est pas sans rapport avec le tableau précité.
                                                         *
Qu’aurais-je fait si je n’avais pu obtenir mon billet de train ? Je l’aurais pris quand même. Et comme le contrôleur n’est pas passé…
                                                         *
Parmi les livres rapportés : Dark Sex (The Dupret Collection of Fetish Photography) paru à The Erotic Print Society, Ladies de Xavier Zimbardo consacré aux « chambres d’Asie » paru chez Contrejour dans la collection Cahier d’images, Le ragoût du septuagénaire de Bukowski dans l’édition originale chez Grasset et Ce voyage nous l’appelions l’amour la correspondance entre Sibilla Aleramo et Dino Campana parue chez Anatolia/Le Rocher.
 

5 août 2015


Avec l’année mil neuf cent trente-neuf s’achève le premier volume des Lettres au Castor et à quelques autres de Jean-Paul Sartre (Gallimard). Le soldat Sartre est toujours dans l’attente de l’ennemi à la frontière avec l’Allemagne. Il écrit presque chaque jour à Simone de Beauvoir, professeure de philosophie à Paris :
… et j’ai repris ce drôle de ton et de rôle que je prends dans les sociétés d’hommes : une sorte de pauvre, laid, crasseux, un peu répugnant dans sa mise, un peu révoltant dans ses propos mais qui fait rire tout de même et qui chatouille un peu. (dix décembre mil neuf cent trente-neuf)
Notez que c’est charmant du Marivaux, mais il n’en faut point trop. (onze décembre mil neuf cent trente-neuf)
Après le téléphone j’ai été déjeuné au restaurant de la gare. C’est toujours bondé de militaires, il y a là une jolie petite jeune fille (…) réservée avec les soldats et cependant assez aimable qui met un petit parfum dans ses moments. Eh quoi, allez-vous dire ? Vous voilà bien militaire comme l’ami Bidasse ? Comme le soldat dont Ouvrard chante les amours avec la caissière du Grand Café ? Que voulez-vous, ma petite fleur, il faut vivre avec authenticité la situation de militaire. (douze décembre mil neuf cent trente-neuf)
Les officiers ont demandé un volontaire pour la musique et tout le monde a dit –c’est là que vous allez rire– que je savais jouer du piano. J’ai donc été jouer avec sentiment une valse intitulée Grossmütterchen. Le capitaine Orsel n’a pas caché qu’il eût préféré des marches, mais il n’y en avait pas. (…)
Pour finir et céder aux prières du capitaine Orcel, j’ai chanté Toréador en garde et l’ai fait reprendre en chœur aux personnes présentes. (vingt-quatre décembre mil neuf cent trente-neuf)
Il n’y a pas que vous, mon cher petit (à présent je vais écrire à T. que je l’aime passionnément, ça m’écœure un peu). (vingt-huit décembre mil neuf cent trente-neuf)
C’est naturellement poétique en diable, cette cuisine déserte au matin, avec la viande sur la table, d’immenses cuves pleines de pommes de terre, des saucisses accrochées à un bâton et un idiot congénital qui allume le feu en bavant un peu. Puis vient la première servante, celle qui, comme j’ai dû vous le dire, montre volontiers son derrière à l’idiot qui ne semble pas s’en émouvoir. (trente et un décembre mil neuf cent trente-neuf)
 

4 août 2015


Plaisir du retour à Rouen, je retrouve dans le jardin commun mes trois amis à quatre pattes, les chiens Abrutus et Aboyus, rentrés eux aussi de vacances, et le chat Pissus, toujours en activité sur le seuil de ma porte malgré le produit répulsif que m’a offert sa propriétaire.
Autre plaisir retrouvé, l’encombrement de la ruelle chaque matin par les successifs troupeaux de touristes en visite guidée. S’y ajoutent ceux qui font ça en vélo. Il ne me faut pas plus d’une demi-journée pour me friter avec ces derniers, tellement malhabiles qu’ils doivent descendre de leur machine dans la partie la plus étroite. « La rue est à tout le monde », me rétorque l’employé de l’Office de Tourisme fermant le convoi. « Oui, mais seulement aux piétons », réponds-je en lui montrant le panneau bleu à l’entrée.
Que la Métropole de Rouen autorise son l’Office du Tourisme à enfreindre la réglementation, tout en menaçant d’amende les cyclistes qui empruntent la voie des bus Teor est assez réjouissant.
                                                                 *
Parmi les fléaux de l’été, il en est auxquels j’échappe, méduses et moustiques tigres, mais le caricaturiste Michel Onfray prêchant à l’Université Populaire de Caen, j’y ai droit chaque année, incapable que je suis d’écouter une autre radio que France Culture.
                                                                 *
L’Interlude fermé ce lundi, c’est au Vascœuil que je prends un café verre d’eau. Près de moi trois infirmières débutantes à la recherche d’un appartement en colocation consultent les annonces sur un téléphone.
L’une : « Il est dans quelle catégorie pour l’isolation, celui-là ? »
Une autre : « On s’en fout, c’est chauffage compris dans les charges. L’eau aussi. On pourra se chauffer à balle et prendre des douches à balle. »
La troisième téléphone et apprend qu’on n’y veut pas de colocataires.
(Première fois que j’entends cette expression : à balle)
 

3 août 2015


Le bébé hollandais qui occupe avec ses parents la chambre voisine de la mienne Chez Louis la Brocante à Colombey-les-Deux-Eglises ayant la bonne idée de dormir la nuit, la mienne est bonne et à huit heures je me présente à l’Hôtel Restaurant La Grange du Relais afin d’y prendre sous la véranda un petit-déjeuner banal pour sept euros quatre-vingt-dix, puis en route avec l’objectif de contourner Paris au large.
Sans copilote, sans Gépéhesse, sans carte détaillée, sans aide des habitants, je ne m’égare pas une fois, réussissant même une belle traversée de Troyes et plus tard de Rambouillet.
Ne trouvant ouverts que des restaurants du genre de ceux où le garagiste du coin emmène sa femme le dimanche midi, je renonce à déjeuner et aborde Rouen vers quinze heures.
C’est en fait de mes vacances d’été, qu’avant départ je voyais durer deux semaines (mais étonnamment je n’avais emporté des vêtements que pour une semaine).
La Haute-Saône et la Haute-Marne ne m’ont pas retenu plus de sept jours. Dans une maison d’hôtes de la première, on m’a proposé de remplir un questionnaire du Comité Départemental du Tourisme. A la question : quel a été le point fort de votre séjour, je n’ai pu répondre.
Mes bagages posés, je vais acheter à manger chez le kebabier qui fait lui-même ses frites, rue de la République. Le temps de ces cent mètres à pied et retour, je croise davantage de touristes qu’en une semaine dans l’Est.
                                                            *
Toujours les mêmes problèmes de démarrage pour ma petite voiture. Il faudrait changer la clé, m’a dit le patron du garage Renault de Rouen rive gauche après avoir pour deux cents euros remplacé inutilement le capteur de flux. Je n’ai pas fait de scandale, pas même protesté, pour la raison que c’est un ancien parent d’élève, mais je ne mettrai plus le pied chez lui.
                                                            *
Ne jamais être en relation commerciale avec quelqu'un que l’on connaît d’un autre côté, je le savais pourtant.
 

2 août 2015


Pendant que je petit-déjeune copieusement ce samedi à la maison d’hôtes L’Emaux Pour Le Dire de Luzy-sur-Marne, commune de Haute-Marne dont l’église sonne toute la nuit, et deux fois les heures pour les mal comprenants, ce que j’apprécie même si je ne l’ai entendue qu’à trois heures, l’hôtesse m’explique que ses chambres ne sont occupées que pour une nuit. Ce sont gens de passage qui font étape ici, peu s’y arrêtent. Elle ne m’encourage pas à visiter Chaumont et me raconte qu’il arrive qu’on lui demande au téléphone à quelle heure ouvrent les jardins, certains confondant Chaumont-sur-Marne et Chaumont-sur-Loire.
Je traverse donc Chaumont sans m’y arrêter et à la vue d’une pancarte indiquant sur la gauche l’abbaye de Clairvaux, je quitte la grand-route et entre dans l’Aube. Peu avant Clairvaux, je traverse Longchamp-sur-Aujon, un patelin adhérant à Voisins Vigilants mais il y a pire. Son seul bar s’appelle Bleu Marine. Il y a pas mal de monde à l’intérieur. J’en fais une photo discrète depuis le parvis de l’église qui le surplombe.
Arrivé à Clairvaux, je me gare à l’entrée devant l’Hôtel Restaurant de l’Abbaye qui précise que chaque plat servi en terrasse sera majoré de cinquante centimes. Un haut mur occupe tout un côté de la rue principale, auquel font face des maisons dont les habitants doivent trouver la vue monotone. Quand j’arrive enfin à une porte, c’est à la fois celle de l’abbaye et celle de la prison, la première ayant été entièrement transformée en lieu de détention. Je ne peux donc aller bien loin, reprends la voiture, repasse par le fétide Longchamp-sur-Aujon et tourne à gauche vers Colombey-les-Deux-Eglises (Haute-Marne) où, me dis-je, il doit y avoir ce qu’il faut en matière de chambres à louer la nuit du samedi au dimanche.
C’est le cas. Je suis bientôt logé pour quarante-cinq euros Chez Louis La Brocante, lieu qui doit son appellation au surnom donné au propriétaire amasseur d’objets par sa belle-fille, dans une des jolies chambres d’hôtes dépendant de l’Hôtel Restaurant La Grange du Relais situé sur la grand-route entre Chaumont et Bar-sur-Aube.
Au bourg, j’ignore le Mémorial, monument payant où je n’ai que faire, et prends un café au Comptoir de Martine face à celle des églises entourée du cimetière où est enterré celui qu’ici on appelle le Général puis je vais photographier sa tombe de pierre blanche. Dans la pénombre du petit jardin public qui domine cette tombe se cache une cabane dans laquelle sont postés un gendarme et une gendarmette dont on ne voit que les têtes. A midi moins cinq, laissant l’endroit sans surveillance, ils quittent le service pour aller déjeuner à la caserne, lui avec gilet pare-balles, elle sans. Je fais comme eux mais A La Table du Général, restaurant recommandé par la maison Michelin, où j’ai réservé une table en terrasse. Celle-ci est installée dans un parc en contrebas duquel se trouve une splendide maison de pierres façon mas provençal. Le chef a le physique qu’il faut pour présenter des émissions de cuisine à la télévision. Il discute avec deux connaissances à la table la plus éloignée de la mienne. D’autres sont occupées par des gens du coin dont une famille de quatre fêtant un anniversaire. De nombreux autres convives sont en salle, ce qui oblige la jeune serveuse à beaucoup d’activité physique. Pour dix-neuf euros cinquante, j’opte pour le buffet d’été fait maison à volonté, le pavé de chevreuil d’été sauce framboise (C’est quoi le chevreuil d’été ? demande un curieux à la serveuse. C’est juste parce que c’est l’été.) et la charlotte aux fraises. Je me contente d’un simple cruchon de vin rouge. J’entends frire les viandes dans la cuisine qui se trouve à ma droite. Certains plats passent par la fenêtre, et aussi la tête du chef revenu à ses fourneaux.
-Ça se passe bien ? me demande-t-il.
On ne peut mieux, cette nourriture est bien bonne et le lieu parfait.
Je demande à la dame à qui je règle l’addition si le Général a mangé là.
-Non, me dit-elle, ça n’existe que depuis cinq ans, mais son petit-fils a une maison ici et vient manger avec ses amis. Le chef que vous avez vu dans le jardin était l’un des jeunes de Colombey qui a porté le cercueil.
A côté du restaurant est visible un extrait de texte dans lequel l’illustre habitant décrivait la vue sur la campagne depuis sa propriété de La Boisserie. Cela se termine ainsi : Je vois la nuit couvrir le paysage. Ensuite, je me pénètre de l’insignifiance des choses.
                                                                   *
J’apprends que l’on dit « rosé » pour qualifier la cuisson de la viande de chevreuil, comme pour l’agneau, ce qui me fait songer à un excellent repas d’anniversaire près du Mont-Saint-Michel en compagnie de celle qui ne part plus en vacances avec moi.
                                                                   *
Parmi les prisonniers de Clairvaux : Blanqui et Kropotkine, Maurras et Rebatet, Buffet et Bontems, Carlos et Guy Georges. Idéal pour une région d’avoir une prison qui n’est pas indiquée sous le nom de centre de détention mais d’abbaye.
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Sans l’avoir voulu, j’étais hier à Langres le jour anniversaire de la mort de Diderot (trente juillet mil sept cent quatre-vingt-quatre).
 

1er août 2015


Seul client de l’Hôtel de l’Agriculture, ayant une chambre donnant sur l’arrière, j’y dors on ne peut mieux. A sept heures et demie, je prends le petit-déjeuner face à la patronne qui, à une autre table, fait ses comptes en écoutant une radio commerciale via son ordinateur. Elle monte le son quand c’est l’horoscope du jour.
-C’est calme à l’hôtel, lui dis-je perfidement.
Elle m’annonce beaucoup de monde la semaine prochaine.
-Des fois y en n’a pas assez, des fois y en a trop.
Sept euros cinquante, c’est aussi un peu trop pour son petit-déjeuner basique, mais je peux me resservir en café.
Mes bagages faits, je prends la route qui mène à Langres et me gare au pied du rempart. Je pénètre dans la ville de Denis Diderot par l’une de ses portes et arrive sur une placette. Une grande affiche jaune exprime le mécontentement des commerçants face au nouveau plan de circulation du Maire. Une manifestation avait lieu hier. Entré dans la Maison de la Presse pour y acheter des cartes postales (ce à quoi je renonce, tellement elles sont hors d’âge et laides), j’entends le boutiquier dire au téléphone qu’on pourrait aller jusqu'à menacer de ne pas organiser la braderie l’an prochain.
Je fais le tour d’une partie de la ville par les remparts. On pouvait autrefois y accéder avec un funiculaire à crémaillère qui connut surtout des problèmes techniques (reste en témoignage le véhicule rouge et blanc restauré). De là-haut, je vois un lac, des immeubles, des usines et des champs.
Je n’en désire pas davantage et quitte Langres par la route de Chaumont. Je tourne à gauche vers Villiers-sur-Suize où il y a chambres d’hôtes. J’y sonne mais nul ne me répond. Pestant, je retrouve la grand-route et bifurque cette fois à droite vers Verbieles où on m’ouvre la porte à la maison d’hôtes, une dame allemande qui d’emblée me demande si je suis en vacances ou si je viens pour le travail.
-Je ne loue pas à ceux qui travaillent, me dit-elle, ils veulent le petit-déjeuner tôt.
Comme c’est aussi mon cas, bien qu’étant oisif, je ne discute pas plus longtemps avec cette Angela brune et me gare dans le village d’à côté, Luzy-sur-Marne, devant L’Emaux Pour Le Dire, chambres d’hôtes et céramique (et hardi jeu de mots). L’hôtesse est aimable. Elle est d’accord pour un petit-déjeuner à huit heures. Contre quarante-cinq euros, je deviens locataire d’une suite comprenant un salon et deux chambres ainsi que d’un garage fermé pour ma voiture.
Un autre village voisin, Foulain, me permet de déjeuner dans une sorte de routier au bord de la route Langres Chaumont. Il porte le nom usurpé d’Au Bon Vieux Temps. C’est treize euros, un quart de vin rouge compris : assiette fraîcheur (moitié légumes, moitié charcuterie), foie de porc et sa purée, petit morceau de fromage, glace rhum raisin caramel salé. Nous ne sommes pas nombreux sous la véranda, quelques locaux et des touristes hollandais effrayés par le foie de porc. La patronne qui fait serveuse disparaît parfois si longtemps que je me demande si ce n’est pas elle qui fait aussi la cuisine.
Une flèche devant ce restaurant indique Emmaüs. Je m’y rends à pied mais cela n’ouvre qu’à quatorze heures trente. Comme passe à côté l’étroit canal entre Champagne et Bourgogne, j’y vais voir. A l’écluse, j’assiste au passage d’un voilier rouge immatriculé à Liège. La plaisancière est à la manœuvre avec la fille de l’éclusier. Cette famille d’éclusiers a pour moyen de locomotion une voiturette sans permis siglée Voies Navigables de France.
Il y a foule devant l’entrée d’Emmaüs. Quand la porte s’ouvre certains courent à l’intérieur mais pas vers les livres. J’en fais le tour sans trouver rien d’extraordinaire mais cela me fait du bien de revoir cette denrée que j’aurais pu croire disparue.
 

31 juillet 2015


Malgré les bruits nocturnes des motards du dessus, je dors encore une fois suffisamment bien à La Dorlotine. Au petit-déjeuner, l’hôtesse m’entretient du peu d’intérêt de la population locale pour la vie intellectuelle. Une amie à elle ayant ouvert une galerie d’art a dû rapidement la fermer. Toutes les manifestations culturelles sont un échec.
-Il n’y a que les lotos qui les intéressent. Le moindre loto dans un village, c’est deux cents personnes. Mais si le lot gagné, c’est une nuit en chambre d’hôtes dans un château, ils font la tête. Ce qu’ils veulent, c’est des paniers garnis.
Internet ne fonctionnant pas dans le jardin ce jeudi matin, je pars sans m’attarder, quittant Rupt-sur-Saône avec l’intention d’aller un peu plus loin, toujours au bord de la rivière, mais les endroits repérés sur la carte sont peu attrayants. Du coup, de kilomètre en kilomètre, me voici de retour en Haute-Marne à Bourbonne-les-Bains où je vais cette fois passer la nuit, prenant une chambre à l’Hôtel de l’Agriculture pour quarante-six euros. « Qu’est-ce qui vous amène par ici ? », me demande la patronne. Si je savais.
Je remonte une nouvelle fois la Grande Rue à pied et rejoins les Thermes cernés par des hôtels pour malades et des pensions meublées avec ou sans cuisine. A côté brille exagérément le Casino. On annonce soigner les rhumatismes, l’arthrose, l’ostéoporose et même les fractures. Une recherche scientifique clinique du Céhachu de Nancy prouve que les eaux thermales d’ici « augmente la formation de l’os ». Je ne vois guère de curistes dans les rues.
Faute de mieux, je déjeune au restaurant de l’Hôtel de l’Agriculture. La salle, vieillotte, est fréquentée par des locaux, dont un agriculteur. Ce jeune homme est en conversation avec un responsable de la Safer qui veut le convaincre de se diversifier dans le tourisme.
-Il y aura toujours une clientèle demandeuse de coins paumés à la campagne, dit ce dernier.
-Ma ferme, mon élevage, cela me suffit, lui répond le jeune agriculteur. Je ne serai jamais mon père.
Au menu, c’est avocat au thon, sauté de veau niçois et mousse au chocolat, Avec un quart de vin rouge d’Ardèche, cela fera dix-sept euros.
La Safer revient à la charge avec l’exemple des Anglais qui lorsqu’ils viennent quinze jours en vacances ne quittent jamais la maison avec piscine où ils logent. Pour des gens comme ça, la Haute-Marne ou le Lot, c’est pareil. Le jeune homme ne commente pas. Il préfère parler des broutards achetés à un vieux monsieur et d’une vache dont il a tiré mille euros.
Après ce repas sans étoile, je marche jusqu’au lac de la Mezelle, lequel n’est pas plus grand qu’un étang. Je ne peux faire le tour car Côté Lac (pêche pédalo restaurant) est en faillite depuis longtemps si j’en juge par l’état du bâtiment et au premier petit pont, c’est barré.
Plus qu’à rentrer au bourg et à boire une menthe à l’eau au Café des Sports d’où j’observe le peu de vie locale.
                                                                    *
Bourbonne-les-Bains adhère à Voisins Vigilants, officine privée qui fait de chaque habitant(e) un œil surveillant les alentours, par exemple ce type là-bas, descendu de la voiture rouge immatriculée dans le Soixante-Seize, qu’on ne sait pas ce qu’il fait par ici et qui marche de tous les côtés.
 

30 juillet 2015


La maison d’hôtes de Rupt-sur-Saône se nomme La Dorlotine. J’y occupe la chambre du bas aménagée pour les handicapés, quarante-huit euros pour un célibataire. A l’étage sont deux motards de mon âge qui, le soir venu, après avoir fait un peu de bruit de vaisselle dans la salle commune, ne passent heureusement pas leur temps à marcher sur le parquet qui craque. J’y dors bien, réveillé par la lumière du jour, un peu avant que ne sonnent les cloches de l’église à six heures et demie. A huit heures, je partage le petit-déjeuner avec l’un des motards pendant que l’hôte nous fait la causette.
Il pleut un peu. Les motards se rendront dans le département des Vosges visiter un marchand de motos spécialiste des italiennes. Pour ma part, j’ai surtout prévu de faire peu de kilomètres en voiture. Aussi, c’est à proximité de Ray-sur-Saône que je me gare pour une promenade pédestre à l’abri du parapluie au bord de la rivière jusqu’à l’écluse automatique puis au travers d’un pré mouillé afin de me rapprocher du château façon Dordogne dont s’enorgueillit ce village. J’en fais quelques photos.
Je reprends ma voiture un peu avant l’heure du déjeuner et me dirige vers Soing dont ma logeuse m’a vanté le restaurant Aux Rives de Saône. Ce village possède à son entrée une époustouflante copie en modèle réduit de la Tour Eiffel. Je pourrais presque me croire à Paris comme chaque mercredi, n’était que côté animation c’est zéro, hormis à la halte de plaisance où j’assiste aux manœuvres des caravanes flottantes de location toutes occupées par des étrangers : « Morgen », « Morgen ».
Le bar restaurant Aux Rives de Saône est tenu par un jeune et sympathique couple, lui aux cuisines, elle au service. Le menu du jour est à treize euros et me convient tout à fait : quiche comtoise, échine de porc sauce charcutière et sa purée, fromages, tarte aux pommes et aux poires.
Dans la salle ne sont encore là que deux commerciaux en costume, le genre qui demande la moutarde pour le plat du jour avant même de l’avoir goûté. Bientôt arrivent un couple de plaisanciers, leur fille adolescente et leur bébé qui chouine régulièrement. Dire qu’ils naviguent sur la Saône et qu’ils n’en profitent pas (un accident est si vite arrivé).
La cuisine du restaurant Aux Rives de Saône est délicieuse. Je l’accompagne d’un quart de vin blanc inclus dans le prix du menu et demande un verre de vin rouge en sus pour le fromage. Les commerciaux sont déjà partis. Une famille (grands-parents, parents, trois enfants tranquilles) s’est installée à ma droite et, face à moi, sont deux couples de trentenaires du genre que je déteste (élevés avec Canal Plus). L’une des femmes annonce au cuisinier qu’elle est enceinte et qu’elle ne peut donc manger qu’une grande salade mais sans salade. Qu’on me jette ça dans la Saône avant l’accouchement.
Mon addition s’élève à quatorze euros vingt avec le café. Le verre de vin rouge n’a pas été compté. Je le fais remarquer à la jeune patronne qui sait sourire en toutes circonstances. Elle refuse que je le paie.
- C’est bien comme ça, me dit-elle.
Je suis tenté de la prendre dans mes bras pour lui donner un bisou mais ça ne se fait pas.
Rentré à Rupt, la pluie ayant cessé, je vais voir de plus près le château à donjon du douzième siècle. La visite en est gratuite en juillet, indique la pancarte à l’entrée du parc de huit hectares. Sur ce point, mon Guide du Routard de deux mille quatre est encore d’actualité. La propriétaire est à l’accueil, au pied de son donjon, une femme âgée marchant avec difficulté. Elle me remet le livret d’accueil et m’explique que je peux me promener partout dans le parc et grimper jusqu’au chemin de ronde du donjon où je pourrai ouvrir les volets pour profiter de la vue à condition de bien les refermer derrière moi car ils claquent par grand vent. Las, arrivé au premier niveau, je rebrousse car l’escalier étroit aux marches hautes et inégales est trop dangereux pour qui n’y voit pas grand-chose dans la semi-obscurité. Je me contente du parc, faisant moult photos du bâtiment, du tulipier de Virginie vieux de plus de trois cents ans, de l’église en contrebas, des toits du village, de la Saône au loin et de la maison blanche où je vais passer encore une nuit.
« Quelle belle journée », est-il écrit sur les abat-jours des lampes de chevet de La Dorlotine.
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La Tour Eiffel jaune de la Haute-Saône : échelle un vingtième, deux mille cinq cent kilos de fer, seize mètres de haut, cinquante litres pour deux couches de peinture, d’abord installée à Seveux puis déplacée à Soing, bel effort.
 

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