Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

11 août 2015


Gul de Boa et Philippe Davenet donnent concert gratuit les lundis d’août en des lieux différents dont l’aître Saint-Maclou proche de chez moi mais c’est ailleurs que je choisis d’aller les voir et écouter, préférant l’exceptionnel. Ce lundi soir, de l’île Lacroix où je retrouve ma voiture, j’aperçois l’objectif: le monument à la gloire de la Jeanne accroché sur la colline devant la kitchissime basilique Notre-Dame de Bonsecours.
De Gul de Boa, j’ai un lointain et bon souvenir, l’ayant découvert avant le début de ce Journal lors d’une présentation de saison au Théâtre des Deux Rives. Quant à Philippe Davenet, j’ai pu apprécier son talent de pianiste au même endroit une autre année.
L’heure du rendez-vous est précise : vingt et une heures sept afin qu’après un quart d’heure de déambulation le public soit en place à l’heure précise du coucher de soleil mais évidemment je suis en avance. Je choisis de ne pas déambuler derrière Gul et sa guitare, préférant dès à présent bénéficier du panorama sur la ville, côté jardin : les fumées industrielles, côté cour : les tours de Canteleu, entre les deux : Rouen, son fleuve parcouru par les péniches, son pont métallique où passent bruyamment les trains, ses monuments divers, et en fond de scène : le ciel avec la boule rouge qui descend.
Philippe Davenet, homme à casquette et lunettes rouges, est en place au piano, attendant l’arrivée de son complice et de sa suite. Il remarque que l’un des quatre moutons de pierre (ce soir munis de couvre-chefs ou de lunettes) est descellé et menace de basculer. « Je ne jouerai pas trop fort », promet-il. Je songe au dimanche matin où nous avions réussi, celle qui me tenait la main et moi, à franchir les barrières qui empêchent ordinairement l’accès de ce lieu. Elle avait grimpé sur le dos d’un des moutons. Je l’avais photographiée au-dessus du vide. À cette époque, je l’appelais Petite Folle et ce n’était pas pour rien.
Tandis que s’installe le monde sur les quelques chaises, sur les marches de pierre ou par terre, Gul de Boa, dont le physique d’Indien des villes est approprié à la situation, surveille le ciel et sa montre, cependant que Philippe Davenet improvise jusqu’à l’exact coucher du soleil. Le concert peut commencer. Gul salue les statues qui nous entourent : Sainte Marguerite, Sainte Catherine, l'Archange Saint Michel et la Pucelle « avec son armure ras la foune ».
Dès la première chanson, je le retrouve comme dans mon souvenir, quelque part du côté de Ferré et Thiéfaine, mais avec un univers bien à lui. Ses textes d’une gaîté sans espoir sont savamment écrits et interprétés. Son pianiste d’été les met en valeur. Bref, cela me plaît tout à fait : « Si tu es d’accord, t’es mort » « Et si tu n’es pas d’accord, t’es mort aussi ». Le ciel s’obscurcit doucement, l’éclairagiste étant à la hauteur. L’accessoiriste aussi, qui fait passer un hélicoptère au-dessus de nos têtes entre deux chansons.
Parmi ses compositions Gul glisse une bonne reprise de La vente aux enchères de Gilbert Bécaud et, de temps à autre, il évoque le lieu d’exception où nous sommes, l’histoire de sa construction, le funiculaire qui y menait, la canonisation tardive de la Jeanne. Philippe Davenet se contente d’une précision historique d’importance : « Jeanne d’Arc s’est éteinte deux heures après sa mort. »
La dernière chanson raconte que « Le temps qui nous reste est un beau salaud ». Je le savais déjà.
                                                            *
Gul de Boa, l’exemple même de l’artiste qui serait connu nationalement si dans le domaine de la chanson le temps était encore à la reconnaissance du talent.
 

10 août 2015


Un épais brouillard couvre tout à coup la campagne normande alors que je viens de passer le panneau indiquant Dieppe à vingt-sept kilomètres. Je suis, à distance raisonnable, une voiture blanche qui m’emmène jusqu’à Pourville-sur-Mer où la purée de pois (comme on dit) disparaît. On y déballe ce dimanche matin dans une certaine nervosité. Des emplacements retenus sont occupés par d’autres. Les vendeurs sont pour moitié des professionnels et pour moitié des particuliers, dont beaucoup de pauvres. Je ne trouve à acheter ni chez les uns ni chez les autres, mais comme je suis là surtout pour le bord de mer, cela ne me dérange pas.
Alors que le brouillard tombe sur la plage et que les falaises chères à Monet disparaissent, je reprends la route, traverse Dieppe puis longe une côte dépourvue de brouillard jusqu’à Criel-sur-Mer, passant devant Penly et sa centrale nucléaire jouxtée d’éoliennes qui ne tournent pas, faute de vent. Vous voyez bien que les énergies alternatives ça ne marche pas, semblent-elles chargées de dire.
A Criel le déballage est également au bord de la mer, près de la falaise garnie de maisons prêtes pour la chute. Il est organisé par les Sapeurs Pompiers. J’arrive trop tard pour savoir si on s’y est disputé entre exposants. Je ne trouve pas davantage à acheter et comme cette station balnéaire ne saurait me convenir pour le déjeuner, je repars à Dieppe, repérant au passage dans un champ une pancarte annonçant qu’ici les chasseurs protégent la biodiversité.
Je me gare dans le port, bois un café au Tout Va Bien en lisant Kerouac d’Yves Buin publié par Folio Biographies. Un trio, père, mère, fils, s’installe pas loin.
-Tu veux quoi, tu veux rien ? demande le père à l’enfant.
-Je n’ai pas soif, répond-il comme il faut.
Scène souvent vécue, qui complète celle du choix imposé du minable et répétitif menu enfant dans les restaurants. Je songe à chaque fois à ces écrivains à enfance pauvre d’autrefois racontant que leurs parents se privaient du peu de viande ou de la meilleure pâtisserie à leur bénéfice.
Pour déjeuner je privilégie la vue, m’installant à la terrasse du Time sur le port face au quartier du Pollet, sans doute pas le meilleur restaurant de la ville, faisant aussi bar tabac, à l’auvent bleu et aux parasols roses et jaunes, visuellement pas du meilleur goût mais la cuisine oui peut-être car faite par la maison. Un cruchon de vin blanc sur la table, je déguste quelques amandes, bulots et crevettes tout en regardant qui passe, une vieille ridée portant un ticheurte « jeune et belle » et celles qui le sont. C’est ensuite une bonne langue sauce piquante avec des frites artisanales puis une mousse au chocolat correcte. A ma gauche, quatre motards parlent de motos et de trajets en moto jusqu’à ce que l’un déclare : « Bon, on va reprendre l’asphalte ». Je paie vingt euros quatre-vingt-dix et rejoins le Pollet par le magnifique pont tournant que Mayer-Rossignol, Socialiste, Chef de Région, veut détruire pour le remplacer par un moderne (lui-même sera remplacé en décembre prochain par son semblable, Morin, Centriste de Droite).
Je m’assois à l’une des cinq tables de la meilleure terrasse de la ville, celle du Mieux Ici Qu’En Face, où le café est à un euro. J’y poursuis la lecture de Kerouac en surveillant le mouvement des bateaux, notamment l’accostage de l’immeuble flottant venu d’Angleterre.
De retour à Rouen, je continue ma lecture au jardin. Le mystérieux voisin du premier étage, parfois croisé aux vernissages de l’Ubi, reçoit sa copine et un ami. Ils discutent devant un ordinateur. C’est surtout elle que j’entends. A intervalle régulier, elle réclame une chanson.
-Je veux écouter Le cul de ma sœur !
Le voisin finit par lui donner satisfaction mais pas assez fort pour que j’en profite. C’est donc avec mon propre ordinateur que je découvre cette œuvre interprétée par Philippe Nicaud, acteur de seconde zone, en mil neuf cent soixante et un :
Ma sœur montrait son cul à ceux qu'avaient d'l'oseille
Et l'on payait d'avance, en or bien entendu
Grâce à lui le quartier redevint touristique
Retrouva d'un seul coup toute sa prospérité
La musique est de Charles Aznavour, les paroles sont de Bernard Dimey, quand même.
                                                               *
« Nos moules du bouchot sont élevées dans la région du Crotoy, nous ne proposons pas de moules étrangères » (restaurant Hippolyte, Dieppe)
 

8 août 2015


Nous sommes en mil neuf cent quarante au début du volume deux des Lettres au Castor et à quelques autres de Jean-Paul Sartre (Gallimard). La véritable entrée en guerre approche sans que Sartre ne la pressente. Il s’emploie à profiter de la vie alsacienne sous l’uniforme, narrant les jours qui passent à Simone de Beauvoir dans des lettres où surgissent parfois des réminiscences de leur ancienne vie rouennaise :
Il me semble que je suis en chemin, comme disent les biographes aux environs de la page 150 de leur livre, de « me trouver ». (six janvier mil neuf cent quarante)
Je suis plongé toute l’après-midi dans cette drôle d’atmosphère que vous connaissez bien pour avoir vu quelquefois, par la fenêtre, un restaurant-pension de famille à Rouen, après le déjeuner, déjà prêt pour le dîner. (vingt et un février mil neuf cent quarante)
Je crois que je vous ai dit quelle impression de plénitude m’avait donnée ce moment de colère, dans un café de Rouen, où j’ai vu assez rouge pour accepter de me colleter avec un consommateur malgré le public. (vingt-huit février mil neuf cent quarante)
Eh mon petit, vous rappelez-vous quand nous allions, nous autres deux, à Rouen, en haut de la Brasserie de l’Univers (qu’elle s’appelait, je crois) faire notre petite partie ? (sept mars mil neuf cent quarante, il s’agit de parties de ping-pong)
Mon premier mouvement était pour refuser mais peut-être trouverez-vous que c’est bien vain ces histoires d’étiquettes et que, finalement 2 000 francs c’est du palpable. Nous avons charge d’âmes. Décidez, ma petite conscience. (neuf mars mil neuf cent quarante, il s’agit de savoir s’il peut accepter le Prix Populiste au risque d’en être qualifié, ce sera oui, Simone et lui paient les chambres d’hôtel de leurs amantes étudiantes)
J’ai bu un second quart de vin d’Alsace en leur honneur, ce qui fait que, en revenant je sifflais Caravane et trouvais que la lune était bien belle au-dessus du chemin. (vingt-trois mars mil neuf cent quarante)
Savez-vous que Jules Renard dit des Castors : «  Le Castor qui a l’air d’accoucher d’une semelle de soulier. » Cela me demeure un peu obscur. Peut-être savez-vous ce qu’il veut dire ? (vingt-quatre mars mil neuf cent quarante, l’image est pourtant évidente)
Puis je suis rentré, j’ai encore travaillé, mangé les dattes de Hantziger, le kugelhof de Klein, bu le schnaps de Grener en fumant les cigarettes de Paul et me voilà qui vous écris. (mardi seize avril mil neuf cent quarante, travailler veut bien sûr dire écrire son prochain livre)
                                                            *
Tout comme Simone, Sartre emploie l’expression « je suis bien cupide de » pour dire « je suis impatient de ».
 

7 août 2015


Mi-août mais beaucoup de marchands déballeurs sont là ce vendredi matin au marché de la brocante et des bouquinistes du Clos Saint-Marc. Beaucoup (trop) d’acheteurs potentiels sont là également. Certains de chaque catégorie ne partent jamais en vacances. Je salue qui je connais, marchands ou acheteurs, des sympathiques. J’évite les antipathiques, en plus grand nombre.
Feuilletant chez l’un des vendeurs Miracles, le recueil des poèmes et proses d’Alain-Fournier publiés après sa mort par sa sœur Isabelle et son beau-frère Jacques Rivière, ici dans l’édition Fayard du soixante-deuxième anniversaire de leur première parution, j’y trouve une carte postale représentant en noir et blanc le Château de Cornançay d’Epineuil-le-Fleuriel dans le Cher. Ce château est réputé être le lieu de « La Fête Etrange » du Grand Meaulnes. Sans doute ce Miracles a-t-il été acheté sur place.
La carte est signée de plusieurs personnes. La correspondante principale s’appelle Micheline et s’adresse à une autre femme qu’elle appelle « Ma Bonne » :
« Ce qui est amusant c’est que je trouverai cette carte dans la boîte dans la semaine et que je la poserai moi-même sur la table…
Voyage toujours passionnant et, à part la chapelle d’Epineuil, nous avons hanté des lieux différents de ceux que nous avions visité (sic) l’année passée. En particulier cette demeure d’art, nous avons pu faire le tour et puis des découvertes… Je te raconterai ou bien nous referons le voyage ! Bises. »
Une deuxième, Marie-Anne Rivière, a ajouté :
« Nous pensons bien à vous et espérons vous retrouver un de ses jours. »
Une troisième, Jacqueline, se contente d’un « Je vous embrasse. »
Ce nom, Marie-Anne Rivière, me décide à acheter le livre que le vendeur feuillette avant de me donner un prix. Il trouve la carte, la prend puis la remet dans le livre sans la regarder et m’annonce trois euros.
Je fais la grimace. Il me le laisse à deux.
Rentré, je gougueulise Marie-Anne Rivière et la découvre trésorière de L'Association des Amis de Jacques Rivière et d'Alain-Fournier. Cette association publiait un bulletin dont le dernier numéro date de deux mille treize.
Les deux enfants d’Isabelle et Jacques Rivière ayant été religieuse et moine, le lien de famille entre Marie-Anne et eux n’est pas direct, mais je ne peux en savoir plus.
                                                *
Et qui était pour Micheline celle qu’elle appelait Ma Bonne ?
 

6 août 2015


« Je ne peux rien faire pour vous », me dit le jeune homme au guichet à cinq minutes de l’arrivée en gare de Rouen du train de sept heures cinquante-neuf pour Paris ce mercredi matin, la borne n’ayant pas voulu éditer mon billet acheté via Internet. Je n’ai pas le numéro de dossier.
-Ah si !, se rattrape-t-il.
Il me demande ma carte bancaire, l’utilise pour retrouver mon dossier et bientôt mes billets aller et retour sont imprimés.
-Finalement, ça sert à quelque chose les êtres humains, lui dis-je.
-C’est même mieux qu’Internet, me répond-il.
Arrivé dans la capitale, un bus Vingt est à Saint-Lazare pour m’emmener à la Bastille. Une quinquagénaire corpulente y monte un peu avant République et s’en prend au jeune chauffeur à lunettes noires. Elle lui demande de s’occuper de son bus. Il lui aurait jeté un regard hostile parce qu’elle fumait avant de monter. Je la prends pour une parano jusqu’à ce que ce chauffeur lui lance :
-Vous polluez l’espace public !
-Et vous, vous polluez mon espace sonore, lui rétorque t-elle.
Après un passage indispensable et fructueux chez Book-Off, je m’installe pour déjeuner à l’ombre en terrasse Chez Céleste, rue de Charonne.
-Vous attendez quelqu’un ? me demande la serveuse.
-Non, … enfin, je ne pense pas.
-On ne sait jamais, me dit-elle.
A peine ai-je choisi la friture d’éperlans suivie d’une grillade de porc accompagnée d’un quart de vin rouge portugais que je vois arriver un Rouennais que je croise souvent au marché du Clos Saint-Marc. On ne se connaît que de vue. Il baguenaude, le nez en l’air, observant les façades, passe deux fois devant moi sans me voir ou sembler me voir.  L’homme disparaît par le passage Lhomme. Je n’aurais pas eu la moindre envie de déjeuner avec lui.
Trois jeunes femmes s’installent à ma gauche dont l’une est déjà mère et s’en plaint :
-Ils sont chiants en ce moment.
-Bah, lui dit une autre, faut leur trouver des activités, une asso de quartier, quelqu’un qui s’en occupe à ta place.
La troisième veut bien manger du merlu s’il n’y a pas la tête dans l’assiette.
Je rejoins le Centre Pompidou à pied. Cela me permet de passer un certain temps à une température qui me convient et de voir les expositions Valérie Belin (Les images intranquilles) et Gottfried Honegger. La première, portraits de mannequins à « l’inquiétante étrangeté » et d’un faux Michael Jackson encore plus effrayant que le vrai, m’intéresse davantage que la seconde, Tableaux-reliefs monochromes et géométriques ou sculptures épurées.
Je découvre ensuite à l’autre bout une salle consacrée à Valérie Jouve, complétant l’exposition vue au Jeu de Paume, puis m’attarde devant le tableau du russe Erik Boulatov : Printemps dans une maison de repos des travailleurs. Cette peinture date de mil neuf cent quatre-vingt-huit et porte en elle la fin prochaine de l’histoire soviétique.
Je m’attarde aussi à suivre des yeux une fille qui me plaît et pour laquelle je suis transparent, ce qui n’est pas sans rapport avec le tableau précité.
                                                         *
Qu’aurais-je fait si je n’avais pu obtenir mon billet de train ? Je l’aurais pris quand même. Et comme le contrôleur n’est pas passé…
                                                         *
Parmi les livres rapportés : Dark Sex (The Dupret Collection of Fetish Photography) paru à The Erotic Print Society, Ladies de Xavier Zimbardo consacré aux « chambres d’Asie » paru chez Contrejour dans la collection Cahier d’images, Le ragoût du septuagénaire de Bukowski dans l’édition originale chez Grasset et Ce voyage nous l’appelions l’amour la correspondance entre Sibilla Aleramo et Dino Campana parue chez Anatolia/Le Rocher.
 

5 août 2015


Avec l’année mil neuf cent trente-neuf s’achève le premier volume des Lettres au Castor et à quelques autres de Jean-Paul Sartre (Gallimard). Le soldat Sartre est toujours dans l’attente de l’ennemi à la frontière avec l’Allemagne. Il écrit presque chaque jour à Simone de Beauvoir, professeure de philosophie à Paris :
… et j’ai repris ce drôle de ton et de rôle que je prends dans les sociétés d’hommes : une sorte de pauvre, laid, crasseux, un peu répugnant dans sa mise, un peu révoltant dans ses propos mais qui fait rire tout de même et qui chatouille un peu. (dix décembre mil neuf cent trente-neuf)
Notez que c’est charmant du Marivaux, mais il n’en faut point trop. (onze décembre mil neuf cent trente-neuf)
Après le téléphone j’ai été déjeuné au restaurant de la gare. C’est toujours bondé de militaires, il y a là une jolie petite jeune fille (…) réservée avec les soldats et cependant assez aimable qui met un petit parfum dans ses moments. Eh quoi, allez-vous dire ? Vous voilà bien militaire comme l’ami Bidasse ? Comme le soldat dont Ouvrard chante les amours avec la caissière du Grand Café ? Que voulez-vous, ma petite fleur, il faut vivre avec authenticité la situation de militaire. (douze décembre mil neuf cent trente-neuf)
Les officiers ont demandé un volontaire pour la musique et tout le monde a dit –c’est là que vous allez rire– que je savais jouer du piano. J’ai donc été jouer avec sentiment une valse intitulée Grossmütterchen. Le capitaine Orsel n’a pas caché qu’il eût préféré des marches, mais il n’y en avait pas. (…)
Pour finir et céder aux prières du capitaine Orcel, j’ai chanté Toréador en garde et l’ai fait reprendre en chœur aux personnes présentes. (vingt-quatre décembre mil neuf cent trente-neuf)
Il n’y a pas que vous, mon cher petit (à présent je vais écrire à T. que je l’aime passionnément, ça m’écœure un peu). (vingt-huit décembre mil neuf cent trente-neuf)
C’est naturellement poétique en diable, cette cuisine déserte au matin, avec la viande sur la table, d’immenses cuves pleines de pommes de terre, des saucisses accrochées à un bâton et un idiot congénital qui allume le feu en bavant un peu. Puis vient la première servante, celle qui, comme j’ai dû vous le dire, montre volontiers son derrière à l’idiot qui ne semble pas s’en émouvoir. (trente et un décembre mil neuf cent trente-neuf)
 

4 août 2015


Plaisir du retour à Rouen, je retrouve dans le jardin commun mes trois amis à quatre pattes, les chiens Abrutus et Aboyus, rentrés eux aussi de vacances, et le chat Pissus, toujours en activité sur le seuil de ma porte malgré le produit répulsif que m’a offert sa propriétaire.
Autre plaisir retrouvé, l’encombrement de la ruelle chaque matin par les successifs troupeaux de touristes en visite guidée. S’y ajoutent ceux qui font ça en vélo. Il ne me faut pas plus d’une demi-journée pour me friter avec ces derniers, tellement malhabiles qu’ils doivent descendre de leur machine dans la partie la plus étroite. « La rue est à tout le monde », me rétorque l’employé de l’Office de Tourisme fermant le convoi. « Oui, mais seulement aux piétons », réponds-je en lui montrant le panneau bleu à l’entrée.
Que la Métropole de Rouen autorise son l’Office du Tourisme à enfreindre la réglementation, tout en menaçant d’amende les cyclistes qui empruntent la voie des bus Teor est assez réjouissant.
                                                                 *
Parmi les fléaux de l’été, il en est auxquels j’échappe, méduses et moustiques tigres, mais le caricaturiste Michel Onfray prêchant à l’Université Populaire de Caen, j’y ai droit chaque année, incapable que je suis d’écouter une autre radio que France Culture.
                                                                 *
L’Interlude fermé ce lundi, c’est au Vascœuil que je prends un café verre d’eau. Près de moi trois infirmières débutantes à la recherche d’un appartement en colocation consultent les annonces sur un téléphone.
L’une : « Il est dans quelle catégorie pour l’isolation, celui-là ? »
Une autre : « On s’en fout, c’est chauffage compris dans les charges. L’eau aussi. On pourra se chauffer à balle et prendre des douches à balle. »
La troisième téléphone et apprend qu’on n’y veut pas de colocataires.
(Première fois que j’entends cette expression : à balle)
 

3 août 2015


Le bébé hollandais qui occupe avec ses parents la chambre voisine de la mienne Chez Louis la Brocante à Colombey-les-Deux-Eglises ayant la bonne idée de dormir la nuit, la mienne est bonne et à huit heures je me présente à l’Hôtel Restaurant La Grange du Relais afin d’y prendre sous la véranda un petit-déjeuner banal pour sept euros quatre-vingt-dix, puis en route avec l’objectif de contourner Paris au large.
Sans copilote, sans Gépéhesse, sans carte détaillée, sans aide des habitants, je ne m’égare pas une fois, réussissant même une belle traversée de Troyes et plus tard de Rambouillet.
Ne trouvant ouverts que des restaurants du genre de ceux où le garagiste du coin emmène sa femme le dimanche midi, je renonce à déjeuner et aborde Rouen vers quinze heures.
C’est en fait de mes vacances d’été, qu’avant départ je voyais durer deux semaines (mais étonnamment je n’avais emporté des vêtements que pour une semaine).
La Haute-Saône et la Haute-Marne ne m’ont pas retenu plus de sept jours. Dans une maison d’hôtes de la première, on m’a proposé de remplir un questionnaire du Comité Départemental du Tourisme. A la question : quel a été le point fort de votre séjour, je n’ai pu répondre.
Mes bagages posés, je vais acheter à manger chez le kebabier qui fait lui-même ses frites, rue de la République. Le temps de ces cent mètres à pied et retour, je croise davantage de touristes qu’en une semaine dans l’Est.
                                                            *
Toujours les mêmes problèmes de démarrage pour ma petite voiture. Il faudrait changer la clé, m’a dit le patron du garage Renault de Rouen rive gauche après avoir pour deux cents euros remplacé inutilement le capteur de flux. Je n’ai pas fait de scandale, pas même protesté, pour la raison que c’est un ancien parent d’élève, mais je ne mettrai plus le pied chez lui.
                                                            *
Ne jamais être en relation commerciale avec quelqu'un que l’on connaît d’un autre côté, je le savais pourtant.
 

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