Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

16 octobre 2015


Paris me semble bien calme en comparaison de la journée vécue à Rouen hier. Rue du Faubourg Saint-Antoine ce mercredi matin je suis d’ailleurs le seul client chez Book-Off à l’ouverture de dix heures. J’y bénéficie de la diffusion d’un cédé du Gainsbourg des années soixante avec, entre autres chansons, Le Rock de Nerval sur des paroles dudit : « Allons mon Andalouse… ». Au rayon « théâtre », je trouve de l’inattendu : Le flambeau, pièce signée Charles de Gaulle (Editions Saurat), écrite en mil neuf cent vingt-sept, qu’aucun metteur en scène ne semble avoir montée.
Sorti de là, je vais au marché d’Aligre qui ne manque pas non plus de livres à bas prix. Les vendeurs ont l’air si miséreux que trouver un ou deux livres qui me conviennent m’est quasiment une obligation. Je donne un euro à l’un pour Les vents m’ont dit de Xavier Grall (Editions du Cerf) et deux euros à un autre pour Mort aux locataires assez canailles pour ne pas payer leurs termes du trio Delord, Texier, Frémy, journalistes au Charivari (Editions Seesam).
Aucun menu ne me tentant dans le quartier, je rejoins à pied Beaubourg et déjeune chez New New. Les tables rondes de la seconde salle sont occupées par des originaires du pays. Cela génère un brouhaha qui m’empêche d’entendre, des conversations de mon voisinage plutôt intello, autre chose que des bribes : « Mais bon, moi je le juge pas » « En même temps, elle peut avoir beaucoup d’humour » « Comme le disait déjà Ovide ».
Je prends le café à la Mezzanine du Centre Pompidou où figure un avertissement nouveau : « L’espace du restaurant n’est pas une aire de pique-nique », puis monte au sixième afin de visiter l’exposition Wifredo Lam. Comme je le savais déjà, une grande partie de son œuvre rappelle vraiment trop certaine époque de Picasso. Je regarde davantage les jolies visiteuses que les tableaux, parmi lesquelles quelques Japonaises pas aussi excitantes que les collégiennes à uniformes et sucettes dont celle qui travaille provisoirement à Tokyo m’a envoyé les photos.
Dans l’après-midi, j’achète quelques autres livres au Book-Off de l’Opéra. On y a classé, en toute logique, Thérèse philosophe de Boyer d’Argens au rayon « philosophie ». En revanche, Le mode d’emploi de mon chat n’est pas au rayon « érotisme », mais à sa place au rayon « animal ».
-Ah tiens, ça, ma grand-mère elle l’a, déclare une jouvencelle à une autre en lui montrant Moi, Christiane F, 13 ans, droguée, prostituée….
J’attends le train du retour Chez Léon, où je lis les chroniques qu’envoya Xavier Grall, de sa maison de Botzulan, près du petit port de Trévignon, à l’hebdomadaire La Vie jusqu’à sa mort d’emphysème, à l’âge de cinquante et un ans, le onze décembre mil neuf cent quatre-vingt-un. Au comptoir, on s’intéresse à d’autres morts, Joséphine Baker, Bourvil et même Félix Faure. C’est l’heure de ce que l’un des habitués appelle « la rubrique chronologique ».
                                                        *
Xavier Grall, sur Georges Perros :
Je pense à mon ami Georges Perros que nous enterrâmes il y a un an, à Tréboul, par une journée pareillement secouée de bourrasques. Quel tréboulement, cher Georges ! (vingt et un décembre mil neuf cent soixante-dix-huit)
Je me souviens de Georges Perros, six mois avant sa mort, se délestant de certains de ses écrits dans une décharge de Douarnenez. (vingt-neuf août mil neuf cent quatre-vingt)
                                                       *
Canrobert : Quand on a vécu des journées pareilles, il me semble que la vie doit être, pour toujours, claire et joyeuse ! …Mais, vous pleurez, capitaine ?
Coignet : Hélas ! petit, que sommes-nous devenus ? Toute notre ardeur tombée, morceau par morceau.
Charles de Gaulle, Le flambeau
 

15 octobre 2015


Si le concert du Cent Six est annulé ce mardi soir par la faute des forains, il n’en est heureusement pas de même pour la représentation de Now de Carolyn Carlson à l’Opéra de Rouen et j’y suis donc dès dix-neuf heures trente. Par les baies vitrées on peut constater que les camions bloquent toujours le pont de la Jeanne.
De mon fauteuil, au balcon, j’ai bonne vue sur le plateau où s’expriment les sept danseurs et danseuses en résidence avec la chorégraphe à Chaillot. Le propos est dans le titre, la musique originale de René Aubry, compositeur que j’aime bien. Elle me remet en mémoire certaines émissions de France Culture dont le générique était tiré de compositions de ce musicien. C’était au temps où je trouvais encore mon compte à écouter cette radio.
Les tableaux s’enchaînent, certains très plaisants, d’autres plus faibles. J’apprécie particulièrement celui où un jeune homme s’exprime avec un rouleau d’adhésif. À la fin, les sept interprètes sont fort applaudis, ainsi que la chorégraphe venue les rejoindre.
Rentré à la maison, j’apprends que les forains sont en train de lever le camp plutôt que d’affronter les quatre cents Céhéresses et Gendarmes Mobiles qui s’apprêtaient à intervenir.
                                                      *
Ce mercredi matin, la page Effe Bé des forains refusant de bouger vers la presqu’île de Waddington, créée il y a des mois, a moins de trois mille soutiens.
La page créée en réponse au blocage et enfumage de mardi, appelant au boycott de la Foire Saint-Romain, en a recueilli plus de vingt mille en vingt-quatre heures.
 

14 octobre 2015


Guère souvent que je suis en accord avec Yvon Robert, Maire, Socialiste, et Frédéric Sanchez, Chef de Métropole, Socialiste, c’est le cas dans le bras de fer qui les opposent à Marcel Campion et sa troupe de forains de la Saint-Romain (deuxième fête foraine de France) qui ne veulent pas aller des quais bas rive droite, dont la partie aménagée en espace vert a été saccagée par certains d’entre eux l’an dernier, à la presqu’île de Waddington rive droite, un déménagement rendu obligatoire par des questions de sécurité.
Ce mercredi matin, Rouen est aux mains de ces commerçants du monde festif dirigés à distance par leur roi propriétaire de la Grande Roue de Paris, principal promoteur de la Fête du Trône, organisateur du Marché de Noël des Champs-Elysées et de la Fête à Neu-Neu.
A neuf heures, les ponts sont quasiment bloqués et le métro arrêté. Un grand nombre d’habitants de la rive gauche doivent rejoindre la rive droite à pied. Sur le quai haut de la rive gauche, envahi de camions festifs, des feux générateurs de fumée noire sont allumés. Il n’y a que des mâles dans l’action (certains portant ticheurte « fête foraine déplacée, traditions en danger »), leurs femmes avaient du ménage à faire dans la caravane. Ils ont sortis des drapeaux tricolores, et quelques bretons, en vrais nationalistes. Ils ne portent pas la moindre attention aux employés, aux ouvriers, aux lycéens qui les frôlent, alors que ce sont leurs clients (ou c’étaient).
Ils préfèrent en rond se monter le bourrichon : « Tu sais qu’est-ce qu’il a dit le Maire à la radio, il va nous envoyer les Céhéresses. On va les enculer les Céhéresses, avec leur matraque. » Quelques-uns descendent sur le quai bas rendu impraticable par la Mairie. Ils renversent des barrières métalliques pour récupérer les socles en bois et alimenter le feu dont la fumée polluante retombe sur l’île Lacroix et Amfreville-la-Mivoie.
A treize heures la situation est inchangée mais la ville moins embouteillée. Un camion arrive dont la longue plateforme est chargée de pneus destinés à enrichir les feux et augmenter la pollution. Des forains s’emploient à déplacer les blocs de béton empêchant l’accès au quai bas. Une dame bien mise regarde ça de loin :
-C’est inadmissible, on devrait les verbaliser.
Je vais boire un café au Socrate chargé d’écrans plats depuis le changement de propriétaire. Y passe en boucle, sur la chaîne d’information continue, la parole des forains mais pas celle de la Mairie.
A mon retour sur les quais, vers seize heures, il y a du nouveau. Les ponts Boieldieu et de la Jeanne ainsi que le quai haut de la rive gauche sont emplis des camions porteurs de manèges tandis que, sur les quais bas, un tractopelle conduit par un forain déblaie le sable et le gravier qui empêchaient l’installation. Un conteneur et les blocs de béton ont déjà été balancés dans la Seine. Tout à coup des dizaines de forains courent vers des cris. Ce sont deux d’entre eux qui se battent pour une future place. Une femme de forain, venue aux nouvelles avec une poussette pleine d’enfants, s’en désole :
-Les gadjé, ils vont encore dire qu’on est du bas monde.
Sur le pont Corneille passe un convoi de Céhéresses.
                                                              *
Sur une camionnette foraine : « Yvon Robert menteur » « Yvon Robert fumier de lapin »
                                                              *
Marcel Campion a commencé sa carrière le deux décembre mil neuf cent quatre-vingt-cinq en installant ses manèges et ses baraques à frites sans autorisation aux Tuileries, le début d’une série de coups de force qui lui ont permis jusqu’à maintenant de toujours imposer sa loi.
                                                              *
Ce Campion, écrivait Le Point, le huit octobre dernier, est dans le collimateur du fisc : « En effet, le roi des forains n’accepte pas les paiements par carte bancaire pour faire un tour dans la grande roue. Il préfère le cash et a même installé un distributeur de billets juste à côté ».
                                                              *
A Rouen, le refus des forains de changer de lieu est soutenu par certains élus de l’opposition locale, dont Devaux, Droitiste, et  Chabert, Centriste de Droite, roitelets de la politique politicienne. S’ils étaient au pouvoir municipal, ils seraient partisans du déménagement de la Foire.
 

13 octobre 2015


Vers neuf heures, ce samedi matin, je rejoins le bord de Seine, rive droite, et longe le fleuve en direction du centre commercial des Docks. Le réseau des petites bibliothèques rouennaises organise là-bas son désherbage annuel. Sous un doux soleil, je croise qui court et qui promène son chien, découvrant au passage que la jolie terrasse aux sièges colorés du Marégraphe, que je fréquentais assidûment il y a quelques années, a été remplacée par une autre, triste, fermée, chauffée, semblable à celles de la concurrence qui s’est multipliée dans les hangars proches du pont Flaubert. Là, des blocs de béton ont été posés, sans doute destinés à empêcher le passage de forains de la Saint Romain à la recherche d’un troisième lieu.
Au rez-de-chaussée des Docks, les bibliothécaires, dont l’un à chapeau tyrolien mauve et grosses bretelles, s’affairent avec efficacité. Pas question cette année de se faufiler avant l’heure jusqu’aux livres vendus un ou deux euros. Un cordon les entoure. Je vois arriver en nombre la concurrence.
Le feu vert donné, je vis une expérience de promiscuité assez semblable à celle du métro parisien à l’heure dite de pointe. Le stock proposé est moins intéressant que celui de Sotteville il y a quelques semaines. Lorsque je n’en peux plus de ce bain de foule j’ai peu de livres dans mon sac. Il pèse néanmoins, car j’ai attrapé le plus gros, le plus lourd : Hommes du XXe siècle d’August Sander (Edition du Chêne) imprimé en République Fédérale d’Allemagne en mil neuf cent quatre-vingt-un.
                                                              *
M’énervent au plus haut point les piétons qui remercient d’un signe de la main ou de la tête l’automobiliste qui consent à s’arrêter pour les laisser traverser sur le passage protégé (non respect du passage des piétons : quatre points de permis en moins et cent trente-cinq euros d’amende).
Sont encore moins disposés à s’arrêter : les motards, les scouteuristes, les bicyclistes, adeptes du contournement.
                                                             *
Jargonnage contemporain :
« T’es-tu fait amender ? » 
Question d’une patronne de café rouennais à l’un de ses clients dont la voiture était mal garée.
« Merci d’avoir interprété les propos de notre invité. »
Formule de Caroline Broué suite à une traduction simultanée dans son émission La Grande Table sur France Culture.
 

12 octobre 2015


Ce vendredi soir je pousse la porte de la librairie/bouquinerie rouennaise Les Mondes Magiques, rue Beauvoisine, où Hélios Azoulay est invité à présenter son nouveau livre coécrit avec Pierre-Emmanuel Dauzat L’enfer aussi a son orchestre (La musique dans les camps) que publie La librairie Vuibert et vais le saluer.
-Cela fait longtemps, me dit-il, me rappelant que j’ai manqué les deux derniers concerts du Huit Mai qu’il consacre à cette musique écrite par les déporté(e)s des camps nazis.
-Sans mot d’excuse en plus, lui dis-je, mais cette fois je suis là et je vais même acheter le livre sans attendre de le trouver d’occasion à Paris comme j’ai fait pour les deux précédents.
Il m’annonce qu’il est dans l’incertitude pour le prochain concert du Huit Mai, la Mairie de Rouen envisageant de vendre la salle Sainte-Croix-des-Pelletiers, puis nous parlons du sujet qui lui tient à cœur et qui m’intéresse fort, de la situation qui ne s’est pas arrangée depuis deux ans. Je lui apprends que les cinq mille exemplaires de la réédition des Décombres de Rebatet chez Bouquins ont été vendus en une journée, cela le consterne et je sens bien que s’il n’avait tenu qu’à lui ce livre n’aurait pas reparu.
Nous sommes bientôt une douzaine assis sur les chaises du café de la librairie. Elise, la jeune libraire, présente l’invité et la soirée. Hélios, avec sa faconde habituelle, parle du contenu du livre comportant trois parties. La première est rédigée par lui-même, la deuxième par Pierre-Emmanuel Dauzat, la troisième étant la traduction en français du livret d’un opéra consacré à la vie de Jeanne d’Arc écrit par Viktor Ullmann au camp de Theresienstadt. Le musicien n’a eu le temps que d’écrire deux pages de la musique. Il a, lui Hélios, le projet de poursuive selon son style à lui l’écriture de cette musique et de monter l’opéra à Rouen. Il évoque ensuite l’œuvre et le sort d’autres musicien(ne)s. Le propos est ponctué d’extraits du cédé qui accompagne le livre …même à Auschwitz dans lequel ces musiques des camps sont jouées par l’Ensemble de Musique Incidentale, que dirige Hélios Azoulay, et d’échappées drolatiques :
-J’ai écrit ce livre avec à ma gauche les livres de Groucho Marx et à ma droite la Bible de l’humour juif dans lesquels je me plongeais quand ça devenait trop dur.
A l’issue, après quelques questions réponses, nous partageons un verre de vin bon et un gâteau salé à la grecque. Des livres sont achetés et dédicacés, dont le mien.
-J’espère ne pas le retrouver chez un bouquiniste, me dit Hélios à qui Elise offre un ouvrage consacré à Bedřich Fritta, dessinateur tchèque mort à Auschwitz, dont un dessin illustre L’enfer aussi a son orchestre.
Hélios nous explique le mur administratif auquel s’est heurté son éditeur quand il a cherché à obtenir le droit de reproduire ce dessin. « J’ai fini par appeler directement le petit-fils du dessinateur à Berlin, il m’a immédiatement dit oui ».
-Faire les choses soi-même, c’est ça la leçon, conclut-il.
                                                              *
Première fois que j’achetais un livre à la librairie/bouquinerie Les Mondes Magiques tenue par le réservé Robin et la souriante Elise, mais j’y vends des livres de temps à autre ce qui est aussi une façon de participer à la pérennité du lieu (comme je le fais remarquer à cette dernière).
L’autre semaine, à une Japonaise qui voulait savoir si les livres étaient à vendre ou à emprunter, elle a répondu qu’ils étaient à vendre mais qu’elle pouvait aussi les lire sur place. J’ai bien aimé cette réponse.
                                                              *
Que l’on réédite Les Décombres de Lucien Rebatet (avec un appareil critique alibi) ne me gêne pas. Ce que je trouve inquiétant, c’est que les cinq mille exemplaires trouvent preneurs le jour de la mise en vente. Cette hâte fait soupçonner une grosse majorité de lecteurs antisémites.
 

10 octobre 2015


Je suis le troisième à la porte de la Halle aux Toiles ce vendredi matin pour la vente de livres d’occasion de Terre des Hommes. Devant moi sont deux hommes à cheveux blancs. L’un a des livres à offrir dans son sac et lorsqu’une dame de charité passe à proximité le lui signale. Elle lui répond qu’on verra tout à l’heure. S’il espérait se servir de ça pour entrer avant les autres, c’est raté. L’autre transforme en le dépliant son sac à dos en chariot à roulettes, un cadeau de sa femme. Je ne donne pas un grand avenir à ces roulettes s’il le remplit de livres. Adji, l’ancien bouquiniste de la rue Bouvreuil, est le quatrième, avec qui j’ai toujours plaisir à parler. Derrière sont des têtes habituelles et des inconnues.
A dix heures, chacun se précipite et est déçu, vieux stock et tout venant.
Je fais comme les autres, je mets dans mon sac ce qui pourrait peut-être m’intéresser, puis quand j’ai bien fait le tour repose tout ça sur une table afin de savoir si je garde ou non. Je remets en place presque tout, ne gardant qu’un livre : l’édition Flammarion de Ma philosophie de A à B et vice versa d’Andy Warhol. Celle à qui je paie me l’annonce à un euro bien qu’il soit marqué deux.
                                                           *
Sur l’affichette de trottoir de Paris Normandie : « Foire Saint Romain, des caravanes mais pas de manèges ». En effet, les forains ont fait de l’esplanade Saint-Gervais (presqu’île de Waddington) un parquigne pour leurs caravanes (qui devraient être garées ailleurs). Leurs manèges sont en périphérie de Rouen. Ils veulent toujours aller les installer sur les quais bas rive gauche rendus impraticables par la Mairie, mais pas impossible qu’on les retrouve ailleurs, sur les quais bas rive droite où, il y a plusieurs semaines, ils sont venus prendre des mesures (au sens propre). Cela risque de chauffer à Rouen prochainement.
                                                           *
La triste nouvelle du jour : la mort de Leny Escudero qui vivait à Giverny et dont les chansonnettes ont accompagné ma préadolescence. Je l’ai vu plus tard lors d’un concert assez ennuyeux à la Salle des Fêtes de Louviers dans les années soixante-dix. A cette époque, il interprétait des chansons engagées (comme on disait) et ne voulait plus entendre parler de ses succès des années soixante. Il les rechantera bien plus tard lors de la consternante tournée « Age tendre et tête de bois ».
Leny Escudero était fils de réfugiés politiques espagnols, ayant vu à quatre ans sa mère tuer à coups de fusil les deux soldats franquistes qui s’étaient introduits dans la maison familiale.
 

9 octobre 2015


Le train qui m’emmène à Paris ce mercredi est le sept heures vingt-huit, une bétaillère à étage utilisée en majorité par celles et ceux qui travaillent dans la capitale. Peu avant Saint-Lazare je consulte mon plan de métro afin de me rapprocher de l’expo Warhol. Ma voisine de droite me dit qu’elle doit se rendre rue de Lübeck et qu’on lui a dit qu’elle devait prendre la Neuf et descendre à Iéna. « C’est aussi ce que je vais faire » lui dis-je. Un sourire illumine son visage (comme disent certains romanciers), Elle n’est jamais venue à Paris autrement qu’en voiture conduite par son mari, n’a pas de plan, pas de téléphone, ne sait pas comment prendre le métro. Est-ce que je peux l’accompagner jusque là-bas où elle doit être à neuf heures pour consulter un spécialiste. J’accepte et lui apprends qu’on ne pourra pas être sur place à l’heure dite, d’autant qu’elle n’a pas de ticket. Je n’en ai qu’un. Ma voisine de gauche s’offre à lui en vendre un. Elle aussi prend la Neuf, jusqu’à Franklin-Roosevelt. Une femme de devant lui explique comment trouver la rue de Lübeck.
-C’est plus simple quand je viens à Paris avec mon mari mais il faut bien que j’apprenne à me débrouiller toute seule, dit-elle alors que nous sommes trois à la chaperonner.
L’escalier mécanique est embouteillé, les couloirs encombrés, le colimaçon de la Quatorze congestionné. Lorsque nous arrivons au métro Neuf la première rame est tant pleine qu’on ne peut y monter. Des employés à gilet orange y poussent les derniers entrés (plus doucement qu’au Japon) et ferment les portes manuellement. Cette néophyte a choisi le bon moment pour se faire du métro de Paris le souvenir le plus noir. « J’y serais jamais arrivée toute seule. », convient-elle.
A l’arrivée à Iéna il est neuf heures et quart. Je lui demande si elle se souvient de l’explication pour trouver la rue de Lübeck. Elle l’a oubliée. « Je vais me renseigner », dit-elle en me remerciant et filant.
Je viens d’épuiser ma réserve de sociabilité de tout le mois d’octobre, ce qui me rend mal aimable auprès d’une femme qui semble ne pas voir où se situent les barrières matérialisant la file d’attente de l’expo Warhol Unlimited.
Sorti du Musée d’Art Moderne, je prends le métro jusqu’à la Bastille et ne suis pas surpris d’arriver à midi pile Chez Céleste. Le temps me permet d’y déjeuner en terrasse : accras de morue, mafé de bœuf, quart de vin rouge, prix habituel. A l’heure où je paie décolle un avion pour le Japon.
Chez Book-Off, la clientèle de l’après-midi est sur les nerfs. Plusieurs disputes ont lieu entre voisins de rayonnage convoitant le même genre de livres.
-Je suis handicapé, crie l’un à un autre lui ayant demandé brutalement de se pousser. Si vous voulez, vous pouvez me frapper, ajoute-t-il en gémissant.
Cette répartie a pour effet de culpabiliser l’énervé qui se répand en excuses. Bientôt ces deux-là sont bons amis.
Je quitte les lieux avec moins de livres que lorsque j’y suis plus tôt, mais me rattrape en fin d’après-midi au deuxième magasin.
Mon dernier café est Chez Léon, où coïncidence se trouve une journaliste japonaise en reportage.
-On est un authentique bistrot à la française, lui explique le patron.
Elle reviendra prochainement pour faire des photos, dont l’une de la vieille mère toujours là à essuyer les verres et qui n’est pas d’accord.
Au comptoir, on se demande pourquoi elles sont en grève les poubelles. Les trottoirs des rues du quartier sont encombrés. Conteneurs débordants et montagnes de sacs plastiques  font rempart devant les terrasses de la concurrence.
                                                          *
Eboueurs : une des professions qui dans le langage courant prend pour nom l’objet qui motive son existence.
 

8 octobre 2015


Dix minutes seul (avec les trois gardiens assis sur leur chaise) dans l’immense salle en angle droit courbe (si je puis dire) où sont accrochées l’une contre l’autre les cent deux parties de Shadows, l’œuvre « hors norme » d’Andy Warhol « jamais montrée en Europe dans son intégralité », c’est le privilège que je m’offre ce mercredi matin, trois ans après ma visite de The Andy Warhol Museum de Pittsburgh (sa ville natale) en compagnie de celle à qui je pense fort car elle s’envole ce même jour pour Tokyo afin d’éclairer l’exposition du grand architecte américain.
Pour ce faire, j’ai laissé dans les premières salles de l’exposition Warhol Unlimited celles et ceux entrés en même temps que moi au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, à dix heures passées, après que France Inter qui y faisait émission et visite privée a eu replié ses calicots et remballé ses dernières caisses de limonade.
Cette promenade dans l’univers coloré et répétitif d’Andy est des plus agréables. Quand me rejoignent d’autres, je rebrousse et vais de série en série : soupes fleurs autoportraits chaises électriques vaches Jackie Mao, choses connues présentées en quantité limitées. Une salle est consacrée aux Screen Tests, ces films courts offrant des célébrités à la vénération, parmi lesquelles Marcel Duchamp. On y voit aussi le pornographique Mario Banana devant lequel passent, sans y voir autre chose qu’une anodine gourmandise, des moutards et une institutrice stressée « Chut chut, qu’est-ce qu’on a dit » cornaqués par un guide à tête d’artiste. Une autre classe erre plus loin. Warhol serait-il un artiste pour enfant ? Beaucoup d’aspects de son œuvre prouvant le contraire ne sont pas montrés ici.
L’aventure avec le Velvet Underground est évoquée dans un couloir par des fac-similés, des photos et quelques citations de la critique d’alors : « C’est un spectacle vulgaire et de mauvais goût qui n’aurait jamais dû voir le jour. » (Hotline, mai soixante-six), « Le Velvet Underground devrait retourner sous terre et répéter. » (The Beat, même date). A quoi Warhol répondait dans le Detroit Magazine de janvier soixante-sept : « S’ils supportent dix minutes, on joue quinze. Notre politique, c’est qu’ils n’en redemandent jamais. »
Peu prennent le temps de lire ça. La plupart ne s’intéressent qu’aux images colorées.
-Je trouve ça joli moi, je connaissais pas du tout, déclare un quinquagénaire à la femme qui l’accompagne.
Je repasse par la salle Shadows, maintenant partagée avec beaucoup mais pas trop, puis franchis le rideau de sortie, suivi du guide à tête d’artiste ayant terminé sa prestation. « Le zoo », dit-il à un employé du Musée qu’il croise.
Une heure m’a suffi pour tout voir et revoir. Il manque là de nombreux aspects du travail d’Andy Warhol, notamment les portraits de personnes connues, ou inconnues mais riches, qu’il faisait dans les années quatre-vingt afin de faire face aux besoins financiers de sa ruche. En revanche, à la sortie, on peut se faire tirer le portrait « à la manière de » moyennant argent glissé dans une fente. Un certain nombre de quidams s’y laissent prendre.
 

1 ... « 306 307 308 309 310 311 312 » ... 353