Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

7 octobre 2015


En raison de la tacite reconduction de mon abonnement Entrée Plus à l’Opéra de Rouen (ouvrant droit pour vingt-sept euros par mois à la totalité des spectacles donnés au Théâtre des Arts ou ailleurs, sauf à ceux de la Chapelle Corneille), m’y voici de retour ce dimanche à seize heures cherchant comment faire avec mes genoux, coincé que je suis au dernier rang de l’orchestre entre un type à tics et une femme à toux.
J’oublie assez vite ces désagréments grâce à la musique de Donizetti dont on donne Lucia di Lammermoor, l’opéra grâce auquel, dans le roman de Flaubert, Emma Bovary, accompagnée de son stupide mari, rencontre son futur amant Léon, au Théâtre des Arts d’alors, au temps où l’on francisait le titre des opéras étrangers et le nom des personnages.
Le rôle titre est confié à Venera Gimadieva, talentueuse soprano russe, un total plaisir pour les oreilles et pour les yeux. A ses côtés, dans le rôle d’Edgardo, le ténor kosovar Rame Lahaj est très bien. Les autres solistes tiennent leur rang. Certes, les choristes sont un peu ternes et statiques, le décor se résume à une sorte de forteresse pivotante et à des voilages, la mise en scène est davantage une mise en espace, les costumes semblent avoir été trouvés dans les réserves, mais qu’importe, Venera Gimadieva est souvent en scène et je peux bovaryser à mon aise.
-Ça chante bien, entends-je à l’entracte.
Des branlotin(e)s en groupe, surveillé(e)s par quelques bourgeois de la ville, ont droit à une orangeade dans un recoin, derrière une plante verte. Je suspecte une organisation de scoutisme.
Au troisième acte, je retrouve avec joie Venera Gimadieva, parfaite pendant l’air de la folie dans sa robe blanche ensanglantée.
Elle a droit à un triomphe à l’issue. C’est un beau succès pour Rame Lahaj. Les autres solistes ainsi que le Chœur sont bien applaudis. Le Maestro Antonello Allemandi n’est pas oublié, ni l’Orchestre. Je ne regrette pas ma tacite reconduction.
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La salle commençait à se remplir, on tirait les lorgnettes de leurs étuis, et les abonnés, s’apercevant de loin, se faisaient des salutations. Ils venaient se délasser dans les beaux-arts des inquiétudes de la vente ; mais, n’oubliant point les affaires, ils causaient encore cotons, trois-six ou indigo. On voyait là des têtes de vieux, inexpressives et pacifiques, et qui, blanchâtres de chevelure et de teint, ressemblaient à des médailles d’argent ternies par une vapeur de plomb. Les jeunes beaux se pavanaient au parquet, étalant, dans l’ouverture de leur gilet, leur cravate rose ou vert pomme ; et madame Bovary les admirait d’en haut, appuyant sur des badines à pomme d’or la paume tendue de leurs gants jaunes. (Gustave Flaubert Madame Bovary)
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Malgré les explications d’Emma, dès le duo récitatif où Gilbert expose à son maître Ashton ses abominables manœuvres, Charles, en voyant le faux anneau de fiançailles qui doit abuser Lucie, crut que c’était un souvenir d’amour envoyé par Edgar. Il avouait, du reste, ne pas comprendre l’histoire, – à cause de la musique – qui nuisait beaucoup aux paroles.
-Qu’importe ? dit Emma ; tais-toi ! (idem)
 

6 octobre 2015


C’est dans un brouillard automnal cachant le haut de l’Abbatiale Saint-Ouen que se lève le jour à Rouen ce dimanche. Place de la Rougemare, on s’affaire à l’installation du vide grenier annuel. L’exiguïté du lieu entraîne l’énervement de certains vendeurs, dont un qui reste le pouce bloqué sur le claque-son de sa voiture. Une certaine fébrilité règne également chez ceux qui s’appellent entre eux des chineurs car l’année avance ; c’est bientôt la fin des vide greniers où ils pratiquent concurremment la chine (comme ils disent).
Ici je vois des livres chez une majorité de vendeurs et vendeuses, en achète quelques-uns dont une édition que j’ignorais d’Au Bon Beurre de Jean Dutourd. Cette évocation de la vie assez peu glorieuse des Français(e)s sous l’Occupation est illustrée par Philippe Dumas et parue à L’Ecole des Loisirs.
Sur le rabat de la couverture Philippe Dumas explique qu’Au Bon Beurre est le premier livre pour adulte qu’il ait lu, à l âge de quatorze ans. « Ses pages ne racontaient pas d’histoires, elles racontaient mon histoire, celle que j’avais vécue à ma modeste place d’enfant. ». Ses images datent de deux mille huit, le texte de mil neuf cent cinquante-deux. Je doute que le jeune homme qui le vend l’ait lu. Le prix neuf (vingt-deux euros) est caché par une gommette rouge. Je suppute un cadeau de grand-mère. « Trois euros », me dit-il. J’essaie deux mais il se braque. Je m’exécute.
Je repasse en début d’après-midi, trouve à nouveau de quoi me plaire : Catharsis, le livre exutoire de Luz, dessinateur à Charlie Hebdo. L’ouvrage publié chez Futuropolis en mai deux mille quinze est orné d’une étiquette marquée sept euros, moitié du prix neuf. Une aimable dame me le laisse pour six euros, précisant qu’elle ne peut pas le faire à moins, ce n’est pas le sien.
                                                                   *
« Chineur », « chiner », « la chine », mots que jamais je ne dis, ni n’écris. Je déteste le jargon de tribu.
                                                                   *
Ce temps frais et humide fait ressortir les vestes et manteaux en rôti de porc (ou pneus cousus, c’est comme on veut). Cette mode semble prête à faire une deuxième saison. Voilà qui va réjouir les Pompiers et les Policiers de la Brigade Fluviale de Paris. Récemment, dans un documentaire diffusé sur France Culture, l’un d’eux expliquait que ces vêtements font office de gilets de sauvetage quand quelqu’un(e) tombe dans la Seine volontairement ou non. Grâce à ça, certain(e)s s’en tirent.
Lors de cette émission, j’ai aussi appris qu’un corps flotte plus ou moins quand il y a encore de l’air dans les poumons. Quand ceux-ci se remplissent d’eau, il tombe au fond comme une pierre. Dix jours plus tard, commençant à se décomposer, des poches de gaz s’y forment. Il remonte alors à la surface. Plus qu’à le repêcher.
 

5 octobre 2015


Jabran Productions, association sise à l’Ubi, aide des jeunes gens à faire leurs débuts dans le cinéma. Trois courts-métrages issus de cette pépinière sont présentés gratuitement ce samedi en fin d’après-midi à l’Omnia et j’y suis assis au milieu du dernier rang de la salle numéro trois (treize rangées de treize fauteuils déglingués et couinants). Il y a pas mal de monde.
Jonathan Slimak présente sobrement la réalisatrice et les deux réalisateurs avec qui il sera loisible de parler après la séance lors d’un coquetèle à l’Ubi « juste à côté ».
Une vieille dont la maison est meublée avec les rebuts d’Emmaüs est atteinte de la maladie d’Alzheimer. Sa fille et son gendre s’inquiètent. La situation est convenue et les personnages caricaturaux, mais le plus grave, c’est l’absence d’écriture cinématographique. Les cadrages sont basiques, les plans se suivent sans invention, cela en absence de rythme. On se croirait dans un téléfilm des années quatre-vingt. Ce film assis servira à introduire un débat sur le sujet à la Maison des Aînés, j’en ai peur.
Un vieux vit solitaire et triste. Sa fille passe rapidement et à contrecœur chaque semaine lui remplir le réfrigérateur. La situation est on ne peut plus conventionnelle. Les propos que tient la fille à son père en témoignent. Le jeu des acteurs est épais, sans la moindre nuance. Celui qui fait le vieux, fringant et vif quand il fait le faux grand-père du voisin à la demande de ce dernier, joue forcément voûté avec l’air déprimé quand il redevient l’homme seul vivant avec son chat. Là aussi le décor est gratiné. Au moins il y a une histoire, peu plausible certes. Elle aurait pu être traitée d’une façon moins inoffensive, avec du nerf, de meilleurs enchaînements, et un peu de style.
Quelques étudiant(e)s peu crédibles font face à un prof de psycho étrange dans un vieil amphithéâtre, lequel prof s’avère être un malade mental testé par on ne sait quelle institution. Là aussi, c’est filmé à l’ancienne. Les effets sont appuyés, les mimiques des étudiant(e)s grossières. L’intérêt de l’histoire m’échappe.
Je n’applaudis pas ce jeune cinéma besogneux, qui ne remet rien en cause, ni dans le fond, ni dans la forme. Comment peut-on débuter cinquante ans après Jules et Jim, Pierrot le Fou et Ma nuit chez Maud en faisant des films si poussiéreux, c’est la question que je me pose en me levant. Qu’en pensent les autres, qui la plupart ont applaudi, je ne sais, nul ne s’exprime dans mon voisinage.
Je me rends à l’Ubi comme une partie des spectatrices et spectateurs.
-On va les faire boire, me dit Jonathan, comme ça ils vont dire du bien des films.
-Il va falloir me faire boire beaucoup, lui dis-je.
Je lui dis que j’ai détesté le premier et pas aimé les deux autres, ce qui ne lui fait pas plaisir même s’il ne le montre pas. Je n’aime pas cette situation, j’aurais dû ne pas y aller, mais j’étais loin de m’attendre à ça. Mon verre de vin blanc bu et ma verrine thon avocat dégustée, je ne reste pas davantage.
                                                                         *
Pas envie qu’en tapant chez Gougueule le nom de la réalisatrice et des réalisateurs, on tombe sur ce que je pense de leur premier court-métrage, pas envie de leur nuire, ce pourquoi je ne les nomme pas, ni les titres des films.
                                                                         *
Le Boléro de Maurice Ravel serait répétitif parce que le compositeur aurait été atteint de la maladie d’Alzheimer. Première fois que j’entends ça. C’est dans le premier film. Le gendre faisant tourner ce vinyle pour tester la belle-mère.
Recherche faite, un obscur psychiatre anglais aurait émis cette théorie fumeuse en mil neuf cent quatre-vingt-dix-sept. Il ne semble pas s’être penché sur les cas de Philip Glass et de Steve Reich.
 

3 octobre 2015


Le Kalif (école de musique, salles de répétitions et de concerts), situé à la frontière entre Rouen et Darnétal, fête Jean-Pierre Turmel et son label Sordide Sentimental par une exposition dont c’est le vernissage ce vendredi soir, lequel sera suivi de concerts (Grrzz, Steeple Remove, Valeskja Vaclav et Paul Grémare).
J’en prends donc le chemin en fin d’après-midi et m’arrête au passage à la Conjuration des Fourneaux. La porte automatique est cassée. Je l’ouvre manuellement comme il est indiqué sur l’affiche et ne trouve personne à l’intérieur. On s’agite à l’étage en cuisine mais je me garde d’aller déranger. J’attends un peu et arrivent deux jeunes hommes. J’achète à l’un cinq tickets de la tombola qu’organise Le Diable au Corps afin de financer l’ouverture d’un local comprenant bibliothèque idéale, massage shiatsu, collectif de santé mentale, enregistrement d’émissions de radio, atelier d’impression, etc. Le tirage est à dix-huit heures mais je n’attends pas et poursuis mon chemin.
Contournant la clinique Saint-Hilaire, je rejoins le sentier des Petites Eaux du Robec. Devant le numéro quatorze, en contrebas dans un pré, se déroule le Petit Evènement Bucolique organisé par je ne sais qui (lectures de textes, concerts divers). J’y aperçois une jeune femme lisant devant un maigre auditoire et n’ai pas envie de m’approcher.
J’avance donc, passe devant l’Auberge de Jeunesse (ancienne teinturerie Auvray), puis l’ancien moulin des Dames de Saint-Amand dont la roue tourne, le magasin Lideule où autrefois je venais faire pédestrement des courses et m’assois sur le banc près du four à pain de la Pannevert observant une jeune femme qui joue avec son chien.
Quinze minutes avant l’heure officielle du vernissage, je rejoins la route, frôle l’entrée du tunnel de la Grand-Mare et arrive au Kalif que j’ai fréquenté une année pour ses concerts gratuits mensuels (plus eu envie ensuite). L’un des groupes de la soirée y règle sa balance. Le son est tellement fort qu’il me repousse sur le parquigne. Bientôt, je vois arriver Jean-Pierre. Il se gare dans le sens du départ.
Après m’avoir dit bonjour, il va s’entretenir avec les gens de la maison. Quand la musique cesse je fais le tour de l’exposition. Elle est chronologique, du One Shot du début des années soixante-dix consacré à la science-fiction, que je lui avais acheté après être entré en contact avec lui par lettre, au numéro hors série du journal Paraître de l’Ecole des Beaux-Arts de Rouen « conçu par Rainier Lericolais en collaboration avec Jean-Pierre Turmel » à la suite d’une exposition du plasticien et musicien pour laquelle j’avais aidé à la mise en relation des deux hommes en deux mille dix.
Entre les deux sont montrés des documents relatifs aux productions du label fondé en soixante-dix-huit et qui édita Throbbing Gristle (Genesis P-Orridge, Cosey Fanni Tutti), Joy Division (Ian Curtis), Billy Synth (& Half Japanese), The Bizarros (Nick Nicholis), Ptose, Durutti Column (Vini Reilly), Tuxedomoon (Steven Brown), Blameless Act, Monte Cazazza, Ludus (Linder), Savage Republic, Psychic TV, Problemist, Digital Sex (Steve Sheehan), Davie Allan & The Arrows, Sin City Disciples, Yan Vagh Weinmann, Martyn Bates (Eyeless In Gaza), UNACD, Private Circus (Scott Macleay), Rosa Crux (Olivier Tarabo), Krackhouse, Circle X, Quattrophage, Steeple Remove, Grrzzz, The Red Krayola (Mayo Thompson), Bruce Licher, Tempsion (Frédéric Temps), Jean-François Jamoul et Thee Majesty (Breyer P-Orridge).
Me retiennent les dessins de Loulou Picasso et les textes d’accompagnement d’où je tire ceci : « Mayo Thompson est à mes yeux un adepte de la déception pure considérée en tant que pédagogie. »
Je m’offre un verre de vin blanc et vais le boire sur la terrasse d’où j’ai belle vue sur les maisons de la colline d’en face (dont un parallélépipède rouge) avec en fond sonore la musique simplette et les cris de la cheftaine du cleube de fitness d’à côté, cependant que le soleil décline.
Rentré, je trouve parmi les présents quelques connaissances à qui je montre, cachée dans une liasse suspendue à une ficelle, la photo d’un Jean-Pierre Turmel à cheveux longs. C’était en soixante-treize. « Ah oui ! », me disent-ils.
N’ayant pas envie des concerts, je rejoins la route de Darnétal. C’est toujours plus long au retour.
                                                          *
Sur un mur de ciment gris, près du Kalif, en écriture cursive : « Je ne pourrai dire qu’une fois sans mentir « je meurs » Edouard Levé ».
Je me demande si Edouard Levé a pensé à ça et l’a dit le lundi quinze octobre deux mille sept quand il s’est suicidé.
 

2 octobre 2015


Ce mercredi comme à l’accoutumée le Centquatre vibre de l’énergie des jeunes gens experts en danse urbaine et autres activités artistiques. J’y achète un billet pour l’exposition Follia Continua ! qui célèbre les vingt-cinq ans de la Galleria Continua sise à San Gimignano et ayant des ramifications à Beijing, Les Moulins et Habana, que je paie neuf euros n’étant pas assez vieux pour le tarif réduit. On m’entoure le poignet droit d’un ruban rose afin que je puisse errer dans tous les lieux où sont disséminées les œuvres.
En attendant l’heure d’ouverture des salles réservées, je fais le tour des œuvres en libre accès dont l’imposante accumulation de vélos d’Ai Weiwei et les vitraux circulaires de Daniel Buren puis regarde un moment deux jolies filles filmées par un jeune homme. Minirobes noires, collants noirs, talons aiguille, elles répètent une chorégraphie de combat de tigresses. Un peu plus loin, une autre fille apprend seule un rôle de théâtre.
A quatorze heures, je peux franchir la barrière qui entoure Stacked, l’installation d’Ai Weiwei, et l’observer de tous côtés y compris par-dessous puis une jeune personne me dit que je ne peux pas encore passer au Cabinet du psychanalyste de Leandro Erlich car le ménage n’y est pas terminé. Elle m’envoie dans la spirale qui cache l’Ascension d’Anish Kapoor, un ouragan de fumée crachée du plafond par un gros tuyau et que l’on peut troubler de la main. Sorti de là, je passe par d’autres salles dont l’une montre deux vasques emplies des peaux des mille bananes mangées par les présent(e)s au vernissage, une installation dont je ne note pas le nom de l’auteur. Il y a aussi dans ce secteur deux impressionnants chevaux pendus par les jambes que l’on découvre en franchissant un noir rideau (nom de l’artiste pas davantage noté). Un escalier mène à l’étage où sont visibles, notamment dans le couloir des locaux de stockage, d’autres œuvres moins percutantes. Un autre permet de redescendre au bas duquel m’attend la vidéo de Kan Xuan Looking looking looking for… On y voit en plan rapproché une grosse araignée noire se baladant dans les recoins les plus intimes de deux corps nus.
Je repasse sous les vélos d’Ai Weiwei et entre dans l’autre bloc où sont massés moult œuvres dont Mondo Kane de Kendell Geers, cube en béton serti de tessons de bouteille, et Still song de Jorge Macchi, espace aux cloisons percées par les balles que l’on traverse pour poursuivre la visite. Je croise par là quelques autres visiteuses et visiteurs mais suis seul pour méditer assis sur le banc de béton du Secret Garden de Hans Op De Beeck, arbre mort et pièce d’eau noire aux nénuphars blancs entourés de murs en fibrociment.
A l’extérieur du bâtiment, côté rue Curial, je m’attarde encore autour de Vacanze romane de Moataz Nasr, cercle de huit Vespa blanches soudées, et d’Invisible forms de Zhanna Kadyrova qui matérialise en béton l’angle de vue des caméras de surveillance. Enfin j’entre au bas de l’escalier où me reçoivent Angel de Sun Yan et Peng Yu et son gardien d’origine africaine.
-C’est l’ange déchu. Il fait peur hein ?, me dit-il.
Cet ange est peut-être déchu, ce qui est sûr c’est qu’il a chu et s’est tué, vieil ange barbu aux jambes poilues et aux ailes brisées face contre terre, suicidé des plus réalistes.
L’homme qui veille ce corps m’invite à prendre l’escalier métallique grimpant dans ce qui ressemble à une tour carrée. D’en haut, j’ai belle vue sur les hauts immeubles à l’architecture remarquable du voisinage. Me penchant par-dessus la rambarde j’aperçois en contrebas le corps de l’ange et tout à coup une face noire hilare :
-Ah ah ah, il est tombé de là-haut.
Redescendu, je lui demande si ce n’est pas trop dur de cohabiter avec le cadavre. Il me dit que ce n’est que l’après-midi, s’il devait être avec lui toute la journée peut-être qu’il péterait les plombs.
                                                          *
Le métro Sept me conduit au deuxième Book-Off. Je songe alors que je ne suis pas passé au Cabinet du psychanalyste. C’est analyse remise. Le billet d’entrée de l’exposition donne droit à une seconde visite à un euro.
 

1er octobre 2015


Deux mondes se heurtent dans la voiture du train qui me conduit à Paris ce mercredi matin. D’un côté, les jeunes habitué(e)s qui aimeraient y terminer leur nuit. De l’autre, des retraité(e)s réjoui(e)s originaires d’Etretat en vadrouille. L’une des deux femmes derrière moi est la cheffe de ce qu’elle nomme le Groupe. Elle en organise les multiples activités et discute à voix haute avec les autres de la prochaine : une randonnée à Corneville (Eure). Faut-il emprunter le car de la commune ? Qu’en pensent Nicole, Daniel, Solange et René ? Elle interroge Jacqueline par téléphone. Deux hommes du Groupe se désintéressent de la question mais font autant de bruit qu’elle en discutant voitures. Le jeune homme assis devant eux leur demande de parler moins fort.  C’est ensuite une jeune femme qui se lève pour faire de même en direction de la cheffe du Groupe. Celle-ci obtempère à demi, médisant de ces jeunes urbains, puis elle augmente à nouveau le volume. On saura tout de la récente Foire aux Harengs et du journal qu’édite le Groupe. Je réussis néanmoins à commencer Refus de témoigner de Ruth Klüger (Editions Viviane Hamy), une auteure découverte récemment chez Book-Off où quand j’arrive à dix heures et quelques minutes, je trouve immédiatement Perdu en chemin, autre récit autobiographique de la même paru également chez Viviane Hamy.
Le midi, je déjeune à l’intérieur Chez Céleste d’une langue de bœuf vinaigrette suivie du cassoulet aux haricots rouges nommé feijoada près d’un duo à cheveux blancs dont la conversation, indigente, a pour sujet le quartier :
-Il y a de très jolies boutiques avec de très jolies choses. Il y a des ébénistes qui travaillent très bien. Et c’est pas plus cher qu’ailleurs.
J’ai vraiment besoin de me rafraîchir l’esprit. Pour ce faire, je prends les métros Cinq et Sept et sors de terre à Riquet près du Centquatre.
                                                           *
Rouen : jeunes gens qui sortis de la gare dévalent la rue de la Jeanne sur leur planche à roulettes, à qui je souhaite de ne pas finir dans la Seine comme icelle.
                                                          *
Eloge par une femme du Groupe d’un livre « passionnant » sur la maladie d’Alzheimer emprunté à la bibliothèque. Sa voisine :
-Comment il s’appelle ?
-Je sais plus.
                                                         *
Saint-Lazare, annonce Senecefe : « Ce train est à destination du garage. »
                                                         *
Refus de témoigner, livre fort intéressant et bien écrit, est préfacé par Alain Finkielkraut.
Ruth Klüger a survécu, ce n’est pas une survivante. (…) Tout en racontant son histoire, elle adresse une intraitable fin de non-recevoir à ceux qui s’empressent de la définir par ce qui lui est arrivé. écrit Finkie.
 

30 septembre 2015


Ce lundi matin, vers neuf heures et quart, plutôt inquiet, je monte à pied jusqu’à la place du Boulingrin où se trouve le cabinet au sein duquel exerce mon médecin. Quatre semaines de traitement n’ont pas résolu mon problème de santé et, au vu des symptômes, j’en suis venu à craindre la présence de ganglions annonciateurs d’un cancer qui pourrait être foudroyant.
Je prends place dans la salle d’attente où je regarde passer les jouvencelles en chemin vers le lycée Jeanne d’Arc. A l’accueil, la secrétaire se multiplie entre ses deux téléphones et les malades qui arrivent, annonçant à l’un de ses interlocuteurs que celui qui est officiellement mon médecin traitant ne prend plus de nouveaux patients, ce que j’interprète comme un gage de qualité.
A l’heure exacte du rendez-vous, j'explique mes inquiétudes à ce docteur. « Je vois, me dit-il, je vais regarder ça ». Il ausculte attentivement mes enflures et me rassure : pas de ganglions. Quant au résultat de l’analyse de sang dépassant un peu la norme, il est d’accord avec moi pour juger qu’on peut attendre de savoir ce qu’il en sera dans un an.
Pour l’instant, comme je ne suis pas guéri, il me donne trois semaines supplémentaires d’antibiotique.
-Vous avez besoin d’autre chose ? me demande-t-il comme à chaque fois avant d’imprimer l’ordonnance. Je crois entendre la boulangère et son « Et avec ceci ? »
-Non merci.
Je lui dis que je repars rassuré, que je m’étais fait des films. Nous nous serrons la main.
A la pharmacie du Drugstore, on m’apprend que l’antibiotique prescrit est de ceux qui nécessitent d’éviter le soleil. « Il aurait pu me le dire », me dis-je, sachant que je ne pourrai jamais me plier à une telle discipline, pas envie de me priver des derniers beaux jours.
                                                               *
Effectivement, c’est au soleil, en terrasse au Son du Cor, mais lui tournant le dos, que je lis, ce mardi midi, Les joies du plein air d’Albert t’Serstevens (Arléa), recueil de textes sur ses voyages à travers l’Europe, en auto-roulotte avec la belle Marie-Jeanne et le chat Puma, que l’écrivain rédigea à Paris entre mil neuf cent quarante et quarante-deux, son auto-roulotte bloquée au garage et lui-même empêché de voyager par la Deuxième Guerre Mondiale.
                                                              *
Un homme, après tout, un homme en lutte avec lui-même, et sur qui pèse la mélancolie de la maturité.
Continuer seul la route du voyage…
Albert t’Serstevens, Les joies du plein air.
 

29 septembre 2015


Voiture indispensable pour passer d’une vide grenier à l’autre ce dimanche, je gare la mienne grâce à sa petite taille pas loin de l’entrée de celui de La Madeleine qui doit son nom a une église aussi laide que la parisienne. Devant cet édifice s’ouvrait la belle perspective s’achevant sur les deux grues jaunes du Cent Six, perspective saccagée par l’érection du Cylindre Asisi, dont la laideur se révèle peu à peu dans le jour levant. Ce vide grenier fait chaque année une gagnante : la fourrière. Elle est à l’œuvre, guidée par la Police.
Le déballage est vaste. Il court dans un réseau de rues que je parcours les unes après les autres, trouvant assez vite un livre pour me satisfaire : Fragments (poèmes, écrits intimes, lettres) de Marilyn Monroe (Le Seuil), que l’on me propose à deux euros, mais rien ensuite. Le circuit bouclé, je constate qu’il m’a fallu une heure et quart. Plutôt qu’un second tour, je choisis de retrouver ma voiture pour me rapprocher, à l’autre bout de Rouen, du quartier Jouvenet.
Je me gare sur le trottoir, route de Neufchâtel, afin de poursuivre à pied, demande à une habitante du quartier si je dois prendre à gauche. « Oui, me dit-elle, et à la moitié de la rue, vous trouvez un petit chemin qui y descend tout droit ». Ce petit chemin est un raidillon terreux qui mène à un rude escalier façon Montmartre. Celui-ci descendu je suis chez les riches, reconnaissant au passage parmi les vendeurs un bistrotier de la rue d’Amiens, bohême en semaine, bourgeois le ouiquennede. Cet environnement permet d’obtenir des prix bas, mais je n’y trouve pas de livre qui me soit indispensable. 
-Ça sent la frite, s’inquiète soudain une vendeuse.
C’est qu’un gargotier a installé sa cuisine itinérante sur la petite place, là où l’on hume habituellement l’odeur du gazon fraîchement tondu.
Après avoir vaillamment remonté les marches en pierre et le raidillon terreux, je reprends la route jusqu’à la proche banlieue nommée Bihorel, me garant à proximité du cimetière. Bihorel est semblable au dix-septième arrondissement de Paris, moitié de fauchés, moitié de rupins. Le vide grenier est situé alternativement chez les uns et chez les autres. Cette année, il est sur le Plateau des Provinces, autrement dit chez les pauvres. Je le rejoins par les allées piétonnières, entre les immeubles et l’école Coty. Il est fréquenté par trop de monde, mais par aucun riche. « Papa, qu’est-ce qu’on fait là ? », demande un moutard. Je me pose la même question. Quand un livre me tente, on en exige plus que je ne veux y mettre. Je fais quand même tout le circuit avant de redescendre à Rouen par le tunnel de la Grand-Mare.
Après déjeuner, je récupère mes forces en lisant De Léopold à Constance, Wolfgang Amadeus de Maurice Barthélemy (Babel Actes-Sud), en terrasse au soleil du Son du Cor, puis effectue ce que l’un que j’y croise appelle « un repassage » au vide grenier de La Madeleine où des voitures que la fourrière n’a pas eu l’envie ou le temps d’emporter sont utilisées comme présentoirs par certains vendeurs. Les affaires ne sont pas prospères, cependant déclare une vendeuse, « le soir quand on compte, on est content ».
Au retour, sous le Gros-Horloge, je frôle une poignée d’optimistes : « Méditons ensemble » « Une minute pour la paix ». Chacun fait ce qu’il veut de son dimanche.
                                                                     *
En fin d’après-midi, je suis à la gare de Rouen où, peu de temps avant l’heure de son train pour Paris, apparaît celle qui doit voir Tomi Ungerer au Musée des Arts Décoratifs le jour de ma fête. Elle espère lui faire signer ses Trois Brigands. Bien que je doute de sa réussite, je lui confie à cette même fin mon Géant de Zéralda.
                                                                    *
Le Cylindre Asisi, officiellement nommé Panorama Ixe Ixe Elle, change de programme ce ouiquennede. Après la Rome antique, l’Amazonie. Une attraction foraine chasse l’autre. La  Sénatrice Morin-Desailly, Centriste de Droite, conviée à l’inauguration a refusé de se rendre dans ce bâtiment « qui dénature le paysage rouennais » et « est un petit scandale lorsqu'on songe aux équipements culturels de base qui manquent à notre agglomération, aux difficultés dans lesquelles se débattent nos théâtres et nos scènes, nos conservatoires, nos bibliothèques, certains de nos musées pour boucler cette année leur budget ».
Ces propos auraient été tenus autrefois par tous les politicien(ne)s de la Gauche locale.
Aujourd’hui, l’un d’eux, Sanchez, Socialiste, Chef de la Métropole, se réjouit que ce Panorama fasse plus d’entrées que le Musée.
 

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