Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

23 mai 2016


-Vous allez me donner un programme, déclare péremptoirement une vieille bourgeoise à l’une des ouvreuses ce vendredi soir à l’Opéra de Rouen.
-Au deuxième balcon ils ne savent pas pourquoi ils viennent mais au moins ils sont aimables, commente après coup l’ouvreur qui opère avec elle.
Mon programme m’a été remis avec le sourire et un bisou par mon ancienne élève. Je suis en loge sept pour le retour du chœur accentus. Un homme et une femme m’y tiennent compagnie. Trois autres sièges restent libres. Pour une fois, ce n’est pas complet pour Laurence Equilbey.
Anton Bruckner est à l’honneur avec d’abord, préludé par trois trombones, divers Motets. Est ensuite donnée une œuvre contemporaine, Fragmenta passionis de Wolfgang Rihm. Elle déclenche un sonore « Bravo ! » chez la dame assise devant moi.
Par bonheur ce soir les toux sont rares mais comme on a eu la mauvaise idée de distribuer avec le livret programme les textes et leur traduction sur un papier annexe, il y a quand même des bruits parasites.
Ils se font encore entendre après l’entracte pendant la Messe numéro deux en mi mineur pour chœur et instruments à vent de Bruckner. Les trombonistes (trois), trompettistes (deux), cornistes (quatre), bassonistes (deux), clarinettistes (deux) et hautboïstes (deux) sont celles et ceux de la maison. Les choristes sont dans leur meilleure forme. Laurence Equilbey dirige tout ça avec le talent qu’on lui connaît.
C’est donc une bonne soirée mais je n’en profite pas autant que je l’aurais pu, ayant l’esprit occupé par une image vue à la télévision juste avant de quitter la maison.
 

21 mai 2016


L’association La Bibliothèque à l’Hôpital organise une vente de livres ce jeudi matin à neuf heures dans l’anneau central du Céhachu de Rouen, ai-je appris un peu par hasard. Ce pourquoi, un peu avant l’heure et sous la pluie, j’entre par la porte de la rue de Germont, emprunte le long couloir et, perdu, apprends d’une blouse blanche que je ne suis pas au bon étage.
Ce n’est jamais sans appréhension que je me trouve dans cet hôpital Charles-Nicolle, comme si je courrais un plus grand risque qu’ailleurs d’avoir un accident de santé dans cet endroit regorgeant de médecins.
Je suis le premier arrivé. D’aimables dames m’expliquent qu’elles ne sont pas prêtes, faute de tables. Celles-ci arrivent en même temps que d’autres acheteurs acharnés. Les livres y sont déposés, provenant de donateurs et tous en très bon état. Leur prix n’est pas discutable : un euro pour les grands formats, cinquante centimes pour les poches (trois pour un euro). Avec l’argent récolté seront achetés des livres neufs. Tout en profitant de l’aubaine, je trouve la démarche un peu étrange, pas très rentable.
Il n’y a pas que les habitués des ventes de livres parmi les acheteurs. Quelques infirmières sont là aussi et un médecin en tenue avec son masque chirurgical autour du cou pour qui je trouve un second Modiano. De mon côté, je suis surtout content d’avoir mis la main sur Alias Caracalla de Daniel Cordier, le secrétaire de Jean Moulin, mais rentré à la maison, je déchante en découvrant que ces mémoires se présentent sous la forme d’un journal écrit au présent bien après les évènements racontés. Quelle que soit la qualité des souvenirs de l’auteur, cela ne me semble pas plausible. Je ne pourrai donc pas le lire.
                                                            *
Rue de la Champmeslé, ce même matin, une femme (d’origine) africaine au téléphone :
-Je ne sais pas pourquoi, hier, en passant devant Charles-Nicolle, je me dis il faut que je téléphone à Maria. Or, elle y était hospitalisée depuis l’autre mercredi. »
Un petit bonheur que d’entendre utiliser à l’oral la conjonction « or » que plus un blanc n’emploie.
                                                            *
L’après-midi, allant déposer un courrier à la Poste Principale de la rue de la Jeanne, je découvre l’état dans lequel certains des manifestants contre la Loi Travail passés par là encore une fois ont laissé cette banque des pauvres.
Les murs sont couverts de slogans peints en rouge et noir : « La fête est à peine commencée » « Le retour du gang des postiches » « Lacrymocratie » « La France, tu la bloques ou tu la niques » « Reprendre ce qu’on nous a volé » et un obscur « Gildas plutôt que Dieudonné ». Les deux distributeurs de billets sont défoncés et brûlés.
Les pauvres n’ont plus qu’à se rendre aux agences de la Gare et de la Champmeslé pour retirer quelque argent. Un peu de marche à pied ne leur fera pas de mal.
 

20 mai 2106


Avant de quitter la maison, ce mercredi, j’apprends que le train de sept heures vingt-huit est retenu en gare par des manifestants descendus sur les voies. Qu’en sera-t-il du huit heures douze ?
C’est jour de grève pour les cheminots. La Senecefe m’a informé par mail que mon train de retour sera supprimé, me conseillant de reporter mon voyage mais si je m’entête elle m’autorise à rentrer par n’importe lequel avec mon billet à dix euros. Cela m’arrange.
A la gare, une employée à gilet rouge me dit qu’il n’y a plus personne sur les voies. Le huit heures douze ne part qu’avec cinq minutes de retard. Juste après Oissel, les billets sont contrôlés, ce qui met à bas ma croyance que les jours de grève les contrôleurs ne passent pas.
Je rejoins Ledru-Rollin par les métros Trois et Huit. Le conducteur de ce dernier annonce que l’arrêt République ne sera pas effectué « sur ordre de la Préfecture de Police ». C’est qu’aujourd’hui, sur la place du même nom, ce sont les Policiers de Droite qui vont manifester « contre la haine anti flics ». « Mais si, les Français vous aiment ! » titre Le Parisien, sondage à l’appui, que je parcours au comptoir du Café du Faubourg.
Je bookoffie à mon habitude, passe au marché d’Aligre où le ciel menaçant a dissuadé certains de s’installer puis rejoins la rue de Charonne afin de déjeuneur Chez Céleste, petite créole (accras et boudins) suivi d’un bitoque (stèque surmonté d’un œuf au plat). Avec le quart de vin rouge du pays, cela fait toujours dix-huit euros cinquante.
Un bus Quatre-Vingt-Six m’emmène ensuite au Quartier Latin où je furète dans les bouquineries. A la Librairie de Cluny me fait signe l’ouvrage illustré que consacra Marie Dormoy à Paul Léautaud dans la Bibliothèque Idéale de Gallimard en mil neuf cent cinquante-huit. J’achète pour cinq euros ce livre tout jauni.
C’est la foule des grands soirs de bazar à la gare Saint-Lazare. Dès qu’un des rares trains en circulation est affiché, il est pris d’assaut. Certains anticipent pour être sûrs de voyager assis en montant dans le train qu’ils estiment aller là où ils veulent avant que celui-ci ne soit affiché. Je suis de ces intrépides et me fais avoir car ce n’est pas dans le dix-sept heures cinquante pour Rouen que je me suis installé.
En conséquence, ayant rejoint le bon train, je dois m’y asseoir en haut des marches avec pour dossier du métal dur. J’ai une petite vitre à ma gauche et vois ainsi défiler le paysage, constatant qu’à l’arrivée j’aurai besoin du parapluie. Beaucoup sont encore moins bien lotis. Épuisés par une journée de travail, ils doivent voyager debout pendant une heure et quart. Personne ne se plaint. Léautaud est là pour me tenir compagnie.
                                                                *
A la Clef des Champs, où je bois un café, un sexagénaire demande à un autre s’il repart bientôt en voyage. « Hélas non, là on va entrer dans une mauvaise période d’engagements sociaux et familiaux, inviter des gens, recevoir les enfants. »
 

19 mai 2016


Sue le conseil d’une guichetière, j’ai place ce mardi soir au premier balcon de l’Opéra de Rouen. Alonzo King LINES Ballet, venu de San Francisco, y donne Shostakovich et Biophony. La première chorégraphie est augmentée de la musique jouée en direct par un quatuor de musicien(ne)s de la maison. D’où je suis perché, je les vois dans la fosse, ou plutôt les devine car elle et eux sont dans la pénombre. Sue scène, la douzaine de danseuses et de danseurs, longilignes, bougent idéalement. Les duos surtout sont remarquables.
La seconde chorégraphie a pour bande soin un montage réalisé à partir de cris d’animaux et de sons de la nature. La facilité d’une danse animalière est évitée, mais parfois frôlée. Là aussi, c’est techniquement parfait.
Cette perfection est pour moi le point faible de cette troupe américaine, beaucoup applaudie à l’issue.
                                                                      *
En début d’après-midi, alors que j’attends le feu vert pour traverser la rue Grand-Pont, une voiture sort à très grande vitesse du tunnel Saint-Herblain. Le franchissement de la voie des bus Téor la fait décoller. Elle retombe brutalement sur ses roues. Le bas de caisse touche le bitume en une gerbe d’étincelles. Le conducteur parvient à maîtriser son véhicule. Il s’arrête au feu suivant près d’une voiture dont les occupants l’ont échappé belle (comme on dit). Il déclenche ses feux de détresse. Je traverse et ignore la suite.
                                                                     *
La dernière fois que j’avais vu une voiture décoller, j’étais au lycée à Louviers. Mon meilleur copain m’avait entraîné à un spectacle de cascade automobile de Jean Sunny, avenue des Peupliers. Ce genre d’attraction semble être passée de mode.
 

18 mai 2016


Passant par le Crédit Agricole de la rue de la Jeanne ce mardi après-midi afin d’y tirer quelque argent, je constate que sa façade a été décorée par des manifestants contre la Loi dite Travail. Plein de « 49.3 » et un « Enculé » témoignent de leur réflexion politique. Je sais aussi, mais ne l’ai pas vu, que la vitrine du local du Péhesse, rue de la Rép, a été pulvérisée.
Finies les manifs saucisses ballons (pour reprendre la formule d’un article de Lundi Matin), c’est le temps des manifs cassage marquage. Les premières étaient l’illustration d’une contestation nombreuse et de peu de résultat. Les secondes sont le témoignage d’une contestation groupusculaire et sans plus de résultat. Je n’arrive pas à m’y intéresser.
Je ne m’intéresse pas davantage à la Nuit Debout rouennaise, aux réunions interminables dans l’église désaffectée Saint Nicaise où quelques dizaines de personnes refont le monde à leur image. Comment feront-ils pour que les électeurs du Front National et les zélateurs du salafisme s’y rallient ?
                                                         *
Une classe de pré-branlotins à l’entrée de la rue Eau-de Robec.
L’un d’eux à un autre :
-Le feu est rouge mais si une voiture veut passer la bitte se baisse. Ben oui, ça s’appelle une bitte, comme pour les bateaux. Tu me crois pas ? T’as qu’à demander à la prof.
L’autre :
-Madame, y a Matthieu qui dit que la borne ça s’appelle une bitte.
 

17 mai 2016


Cinq policiers de la brigade ferroviaire parcourent, l’œil en alerte, le train peu fréquenté de sept heures douze pour Paris ce dimanche. J’en descends à Oissel dix minutes plus tard et marche sur deux kilomètres en traversant la Seine jusqu’à la Mairie de Tourville-la-Rivière, place de la Commune-de-Paris.
Là, et dans les rues principales du village, se tient un vide grenier de belle importance. Je l'explore sous le ciel bleu. Il ne fait frais qu’à l’ombre. Les exposants mal placés s’en plaignent. Pour ma part, c’est surtout l’absence de livres intéressants qui me désole. Je n’en trouve pas un.
Parmi les acheteuses beaucoup sont musulmanes. Presque toutes celles qui ont moins de trente ans sont désormais voilées comme les plus vieilles, souvent à la mode salafiste. Elles vont par deux et achètent des vêtements pour les enfants. Les maris vont aussi par deux et achètent des ustensiles de cuisine pour les femmes.
De retour à la gare de Oissel, je m’installe sur un banc au soleil et y lis Flâneries parisiennes de Franz Hessel, ami de Pierre-Henri Roché, mari d’Helen, père de Stéphane, dans l’édition de poche de chez Rivages, en attendant le Paris Rouen de neuf heures trente-sept.
A l’heure dite j’y grimpe et arrive à Rouen dix minutes plus tard.
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Le charme incomparable de la promenade est qu’elle vous délivre d’une vie privée plus ou moins malheureuse. Franz Hessel (Flâneries parisiennes)
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La meilleure définition du rock’n’roll, je l’ai entendue donnée par Tristan Garcia, auteur de La Vie intense : une obsession moderne, dans Les Nouveaux Chemins de la Connaissance, l’émission de Géraldine Mosna-Savoye sur France Culture, ce vendredi treize mai: « Le rock, c’est l’électrification de la puberté ».
 

16 mai 2016


Un policier armé d’un chien muselé marchant entre ses jambes a l’œil sur les quelques voyageurs présents dans la gare de Rouen ce samedi matin dont moi-même, qui ai en poche un billet pour Oissel. Grimpé dans le train de sept heures douze, j’en descends dix minutes plus tard et marche sur six cent cinquante-trois mètres jusqu’au lieu-dit Les Landaus et sa place Francisco-Ferrer (pédagogue anarchiste fusillé par l’Etat espagnol en mil neuf cent neuf).
Là se tient un vide grenier de relative importance sur les terrains herbeux qui jouxtent le Super U. Je le parcours sous le ciel gris. Il fait frais, presque froid. Les exposants s’en plaignent. L’une se laisse aller au désespoir : « Il n’y a jamais d’été ici ». Pour ma part, c’est surtout l’absence de livres intéressants qui me désole. J’en trouve néanmoins un, la volumineuse Histoire mondiale de la bande dessinée publiée chez Pierre Horay, qu’après avoir parcourue, je revendrai.
Parmi les vendeurs, l’un me hèle, vieux camarade d’école. Il ne comprend pas comment je peux me passer de voiture. Je lui explique que ce n’est pas la première fois que je le fais. La conversation allant de fil et aiguille (comme on dit), il me rappelle qu’au lycée j’avais acheté un livre qui proposait une méthode américaine, utilisée par Kennedy, pour lire plus vite ; chose que j’avais oubliée. Je n’ai jamais lu ce livre et ignore comment je m’en suis débarrassé.
Un mignon petit train qui va d’Elbeuf à Yvetot s’arrête à Oissel à neuf heures précises. J’y grimpe et arrive à Rouen dix-sept minutes plus tard après avoir fait halte à Saint-Etienne-du-Rouvray et Sotteville-lès-Rouen.
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-Quand on était étudiant, on allait dans les supermarchés et avec les trucs bizarres qu’on trouvait on faisait des repas découverte.
-Ah oui, c’est marrant.
(Deux femmes trentenaires qui s’ennuient)
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-T’as changé de chapeau. Il est plus petit.
-Mais non, c’est juste que j’ai fait couper mes cheveux.
                                                           *
-Et deux cafés en plus, trois au nombre. (jargon de garçons de café)
 

14 mai 2016


Et plus j’avançais dans ma lecture, plus je sentais nettement que je m’attachais à cet homme et que j’étais incapable de le définir sans ambiguïté. Certains passages me causaient du dégoût, d’autres suscitaient le respect et même l’admiration. Que de fiel, que de compassion, quelle indépendance et quelle petitesse. Il était heureux lorsqu’il parvenait à arracher un chien errant à la fourrière, fier de la tempête de protestations qu’il déchaînait en traitant Jeanne d’Arc de fille à soldats, et pleinement satisfait lorsque, dans une critique de théâtre, il blessait douloureusement l’auteur.
Ainsi parle Kazimierz Brandys de Paul Léautaud et de son Journal dans Hôtel d’Alsace et autres adresses (publié en France par Gallimard dans la collection Le Messager), ouvrage dans lequel l’écrivain présente à ses lecteurs polonais trois collègues décédés plus ou moins scandaleux peu ou pas connus dans ce pays : Oscar Wilde, André Gide, Paul Léautaud. C’est pour ce dernier que j’ai acheté l’exemplaire proposé un euro chez Book-Off, il y a un certain temps.
Voici comment Kazimierz Brandys évoque le père et la naissance de Paul Léautaud :
Firmin Léautaud, acteur de second ordre, vivait depuis deux ans avec une jeune personne du nom de Fanny Forestier. Un jour, la jeune sœur de Fanny, Jeanne, leur rendit visite. Il se faisait tard et le maître de maison jugea plus raisonnable de lui accorder l’hospitalité jusqu’au lendemain. Ils passèrent la nuit à trois dans un grand lit, Firmin Léautaud entre les deux sœurs. Par habitude, il entreprit d’abord l’aînée, et Jeanne, âgée de seize ans, étendue près d’eux, fit connaissance avec l’intégralité des rapports unissant un homme et une femme. Après quoi elle en fit elle-même l’expérience. La chose eut lieu malgré les protestations de Fanny qui, le lendemain, s’en retourna chez ses parents. Firmin se mit en ménage avec Jeanne. Paul Léautaud naquit le 18 janvier 1872. Au bout de trois jours, Jeanne Forestier abandonnait l’enfant au père.
(…)
Après le départ de Jeanne, Léautaud –le père–, ancien acteur, plus tard souffleur à la Comédie-Française, continue de faire venir chez lui, pour la nuit, des adeptes des mœurs légères, le plus souvent des mineures, et il finit par épouser une mauvaise fille prénommée Louise. Il avait quarante-huit ans ; elle, quinze.
(…)
La toile de fond de ces évènements était le quartier Montmartre, le père habitait rue du Martyrs.
Concernant le Journal de Léautaud (Pour lui, l’existence doit être prise en note, alors seulement elle est la vie. Et inversement : l’écriture doit être enracinée dans la vie pour devenir littérature.), Brandys s’avoue gêné pour employer certains mots qui y figurent et choqueraient les Polonais.
« Je ne suis pas méchant pour deux sous, expliquait-il dans une lettre à Rouveyre. Je suis vif, spontané, je dis carrément ce que je pense, voilà tout. » Et ailleurs : « J’ai toujours rencontré si peu d’esprit autour de moi qu’il a bien fallu que j’utilise le mien. » « On me trouve immoral, subversif, sans respect ; je n’exprime pas le quart, sur toutes choses, de ce que je pense. »
Dans les dernières années du journal, note Brandys, apparaît Irène, seize ans, Léautaud n’en attend pas d’expériences amoureuses au sens naturel, mais il y a des satisfactions de substitution. Il a noté la remarque de cette admiratrice sagace pour son âge : « C’est curieux comme tu es phallique. » Il approchait alors de ses quatre-vingts ans.
                                                            *
Dans ce même livre, Brandys à propos d’Oscar Wilde : Sachant qu’en Pologne le seul fait de parler aujourd’hui d’Oscar Wilde paraîtra hors de saison, je me demande pourquoi j’écris à son sujet, pour qui.
Et de citer l’écrivain en question :
Ce que je crains le plus, c’est de n’être pas incompris.
 

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