Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

31 juillet 2019


Sachant que tout peut arriver sur la ligne Rouen Paris, c’est avec le sept heures vingt-huit que je me rends dans la capitale avec la bétaillère où je côtoie un couple de quinquas qui partent également en vacances (après une chamaillerie à propos de nourriture oubliée dans le frigo, elle lit Le Monde et lui L’Equipe) et un quadra qui lit un livre de la Bibliothèque Verte Cinq jeunes filles sur l’Aréthuse (c’est louche).
A Montparnasse, c’est à la Pizza Roma, en buvant un café verre d’eau à deux euros soixante et en commençant une relecture du Journal de Kafka, que j’attends qu’il soit l’heure de pique-niquer puis d’attendre l’affichage du Tégévé Inouï de treize heures pour Quimper d’où je descendrai à Vannes.
« Laissez-vous rêver », est-il écrit sur ses vitres. « Ces nouveaux Tégévés c’est l’enfer », disent celles et ceux qui essaient d’y caser leur bagage plus volumineux que le mien. J’ai près de moi une vieille dame qui a posé sur la tablette sa petite plante verte et en face deux jeunes femmes qui ne dépareraient pas en première classe (salades « Nos grands-mères ont du talent », eau d’Evian, Cosmopolitan et Jalouse). Plus loin, une grand-mère qui fait face à ses deux petites filles finit par perdre son calme : « Attention, quand on va arriver, ça va plus être la même chose. » Un militaire retraité de soixante ans entretient sa voisine des travaux dans sa maison du bord du Scorff « Ce que j’avais peur, c’est à la mérule ».
A l’arrivée à Vannes, je demande à un jeune homme comment me rapprocher de l’étang au Duc. Quand j’y suis, je découvre à sa base le restaurant Le Homard Frites qui m’a été recommandé. Le studio que je loue est à cinquante mètres, rue Saint-Gildas. C’est un ami des propriétaires, par ailleurs agent immobilier, qui m’y introduit.
Mon bagage posé, je vais découvrir une ville où autrefois je n’ai fait que passer. Elle n’est pas d’une lecture facile et envahie par une foule d’estivants. Je tente de boire un café à dix-huit heures au Bar de la Préfecture. Le patron m’envoie bouler d’un « La machine à café est arrêtée ». Je décide alors de regagner mon logis provisoire afin de manger du homard dès ce soir.
Bien que je n’aie pas réservé, le jeune patron me trouve une table dans la partie principale de son établissement. Je commande six huîtres du Golfe à un euro pièce, puis la moitié du crustacé qui fait la renommée de l’endroit (vingt euros), ainsi qu’un demi-pichet de chardonnay (douze euros).
Quand, muni d’un bavoir, je m’attaque à la bête, je constate une deuxième fois (la première était en bonne compagnie) que je n’en suis pas fou. Sans sa sauce corail, il n’aurait guère du goût. En revanche, j’ai beaucoup aimé les huîtres et j’aime les frites ficelle et le vin.
Une jeune apprentie seconde le patron qui lui donne moult conseils de façon rigoureuse et gentille, n’hésitant pas à lui confier la tâche de prendre les réservations par téléphone. Je termine par un tiramisu caramel beurre salé à six euros qu’elle m’apporte avec application et sourire. Il est excellent. « Avez-vous passé une bonne soirée ? » me demande le jeune patron. Je peux répondre par l’affirmative.
                                                                 *
Dans l’ascenseur qui me permet de retrouver mon logement du quatrième étage, cette citation de Charlotte Brontë choisie par l’entreprise chargée de la maintenance : J’évite de regarder en avant et en arrière mais m’efforce à regarder vers le haut.
                                                                 *
Toujours en moi cette idée que je risque davantage de mourir en voyage qu’à Rouen.
 

30 juillet 2019


Ce lundi matin, suivant la consigne de la Senecefe (« Vous disposez d'un délai de 60 jours, au plus tard le  21 / 09 / 2019  à  19h26  pour vous rendre en gare ou boutique SNCF muni de vos billets afin de vous faire rembourser »), je me présente en gare de Rouen avec en main mon aller et retour Rouen Paris de mercredi dernier que j’ai annulé via Internet en raison de la canicule sur le conseil de cette même Senecefe.
La guichetière tape ma référence de dossier et m’annonce qu’il va y avoir dix euros de frais. Son écran lui enjoint de ne me rembourser que cinq euros. Alors que le mail de confirmation m’indiquait un remboursement de quinze euros. N’ayant pas de smartphone, je ne peux le lui prouver.
Elle va voir sa responsable, revient en me disant que seul le texte imprimé de ce mail, qui servira de justificatif, pourra permettre de me rembourser intégralement. Plus qu’à aller ennuyer quelqu’un de ma connaissance possédant une imprimante.
Ce sera après mon retour d’escapade. Pour l’heure, je rentre à la maison afin de faire ma valise. Départ mardi matin.
                                                           *
Samedi après-midi, au Son du Cor, un trentenaire barbu s’adresse à moi avant de s’asseoir :
-Je peux me mettre à cette table ?
-Bien sûr.
-Je vous demande parce que parfois il y a des gens qui n’aiment pas qu’on s’installe près d’eux.
Tiens donc !
                                                           *
Cela part du bon sentiment de quelque association : donner aux sans abris des vêtements les aidant à supporter la canicule, chortes et pantacourts, mais quand je les vois habillés comme ça dans la rue, ils me font penser à des touristes à la dérive.
 

29 juillet 2019


C’est avec un bus Teor, pour économiser mon pied, que je rejoins ce vendredi après-midi la Faculté de Droit, Sciences Economiques et Gestion d’où doit partir à quinze heures une marche blanche en hommage à Mamoudou Barry victime d’une mortelle agression raciste à Canteleu le samedi vingt juillet juste avant le match de foute Algérie Sénégal.
Cet enseignant chercheur guinéen, qui avait soutenu avec brio sa thèse sur les politiques fiscales et douanières en matière d’investissements étrangers en Afrique francophone le vingt-sept juin dernier, a été victime d’un individu vêtu d’un maillot de foute qui l’a insulté en raison de la couleur de sa peau, lui lançant entre autres « Vous les sales Noirs, on va vous niquer ce soir ».
Mamoudou Barry, père d’une petite fille de deux ans, se trouvait en voiture avec sa femme. Homme pacifique, il a commis l’erreur d’en sortir pour demander à l’excité pourquoi il l’insultait ainsi. Pour toute réponse, celui-ci lui a envoyé plusieurs coups de poing dont le dernier l’a fait chuter lourdement. Sa tête a heurté le trottoir. Il est mort peu après son arrivée au Céhachu.
L’agresseur a été arrêté quelques jours plus tard. Il n’est pas d’origine algérienne comme les médias locaux l’avaient indiqué dans un premier temps mais d’origine turque. Souffrant de troubles psychiatriques, sa garde à vue a été suspendue et il a été interné.
Il y a déjà pas mal de monde quand je descends du bus à trois heures moins le quart. Cette foule, moitié noire moitié blanche, est scrutée par de nombreuses caméras. Vers quinze heures, celles-ci se précipitent vers un homme qui prend la parole au micro d’une sono dont la puissance est insuffisante pour qu’on l’entende là où je suis. N’ayant pas envie d’être filmé, je ne me rapproche pas. A ma proximité est une étudiante noire de la Faculté de Droit qui a eu Mamoudou Barry comme professeur. Elle porte un ticheurte blanc à son effigie. Son père et des amis à lui se désolent : « On va le garder à l’hôpital psychiatrique pendant deux ans et puis on le remettra dehors ».
L’homme au micro incite les présents à scander « Halte au racisme » et « Justice pour Docteur Mamoudou Barry » ou même « Justice pour Docteur ». D’autres lui succèdent à la sono pas assez puissante. Ils s’expriment en direction des caméras, oubliant la foule qui dépasse le millier de personnes et ne les entend pas, ne servant que de décor à leurs interventions.
Pour les avoir vus à la télévision, je reconnais parmi les parleurs le frère de la victime, son avocat et le Président de l’Université. Ce dernier est gêné par des perturbateurs s’impatientant sur les côtés. Il semble que certains trouvent cet hommage trop gentillet. Ils ne veulent pas entendre parler de racisme mais de négrophobie. Ce sont des membres de la Ligue de Défense Noire Africaine venus de Paris en car. Une jeune femme passe de groupe en groupe portant une affichette où est écrit un sibyllin « La paix est un comportement ».
Quand enfin nous partons en cortège, direction le Palais de Justice, je me trouve coincé entre les partisans de « Halte au racisme » et les partisans de « Halte à la négrophobie ». Ces derniers tentent de prendre le contrôle des slogans. En leur sein sont des femmes très énervées qui laissent entendre qu’elles agiront bientôt à Paris de façon radicale. Je quitte le cortège au moment où il tourne dans la rue de Lecat
A dix-neuf heures, je regarde ce qu’en dit la télévision régionale. Dans le court reportage qu’elle diffuse, pas un mot sur les dissensions.
                                                                         *
Que l’agresseur soit d’origine turque, porteur d’un maillot de foute d’une équipe turque, n’empêche pas qu’il ait pu être aussi supporteur de l’équipe d’Algérie, d’où le « Vous les sales Noirs, on va vous niquer ce soir ». Mamoudou Barry, tout Guinéen qu’il était, l’était de l’équipe du Sénégal, le virus du foute atteignant même les têtes les mieux faites. Cet agresseur s’est choisi un avocat d’origine turque que je connais pour l’avoir vu à l’œuvre au Tribunal Administratif, lequel a commencé par déclarer que son client n’était pas raciste.
                                                                        *
Sûr qu’il existe un racisme spécifique visant les Noirs, une négrophobie qui est le fait non seulement d’une partie des Blancs mais également d’une partie des Maghrébins, d’une partie des Turcs, etc. Un fait que ne veulent pas reconnaître certains soutiens de immigrés. J’en côtoyais au Tribunal Administratif qui ont fini par me lasser avec leur angélisme sur ce sujet et sur d’autres, au point que je n’y vais plus.
                                                                        *
Présents pour cette marche blanche des élus de presque tous les bords. Un que j’ai eu du mal à reconnaître : le Député Européen David Cormand, Ecologiste. Il a désormais le crâne rasé. Je me demande quel méfait il a pu commettre pour mériter ça.
 

26 juillet 2019


Ce jeudi est la pire et dernière journée de la canicule. L’attraction d’été, Rouen sur Mer, est fermée pour cause d’excès d’été. Le Son du Cor lui est ouvert mais quand à midi j’y arrive, je me fais accueillir fraîchement (si je puis dire).
-On est à la bourre, on n’est pas prêt
-Ce n’est pas grave, je ne suis jamais pressé, je vais m’asseoir.
-Si vous vous asseyez, y en a d’autres qui vont s’asseoir.
-Eh bien, ils attendront, dis-je en m’installant à la terrasse côté rue.
Dans la famille Son du Cor, la mère et le fils m’ont à la bonne, la belle-fille non (je ne sais pas pourquoi). C’est à elle que j’ai affaire. Peut-être n’est elle que stressée. Ce soir, c’est la quatrième semaine des Terrasses du Jeudi. Il y aura concert sur le terrain de pétanque. Toute la famille transpire en installant moult fûts de bière.
Le seul autre qui arrive à cette heure est celui qui a sa Carte Officielle de Con. Il n’a pas besoin de la sortir, car à lui, elle ne dit rien.
A midi cinq, je suis aimablement servi par la belle-mère de celle qui m’a morigéné. Je poursuis la lecture de La Jeune Moabite dans une chaleur épaisse qui décourage la clientèle des restaurants. Personne n’est en terrasse au Cornaëlle où l’on affiche pour la circonstance un menu « estival » (aucune cuisine à faire) : une grande salade au choix, un verre de cidre, une boule de glace au choix, cela pour douze euros.
On ne se bouscule pas au Son du Cor. Une jeune femme en chorte de djine bleu troué et tatouée sur le bras d’un triangle pointé vers le bas lit un livre de Kerouac dont je ne peux voir le titre. La famille Son du Cor occupe une autre table, un peu inquiète, deux soudains coups de vent lui faisant craindre l’orage à l’heure du concert.
Rentré chez moi, où au rez-de-chaussée il ne fait que vingt-cinq degrés, je me demande si oui on non je retournerai là-bas à dix-neuf heures pour voir et ouïr Y O U « jazz, embruns, rock psychédélique, envolées lyriques et incantations de rois-pêcheurs », cela chanté « en suédois ou en créole au gré du vent ».
Du vent, il commence à en avoir juste avant l’heure du concert et soudain choient de grosses gouttes et gronde le tonnerre. Soulagé, je reste donc chez moi.
                                                             *
Le gros concert final des Terrasses du Jeudi sur la place de Emmurées n’a pas eu lieu, apprends-je ce vendredi matin. Une partie du matériel pour le son et la lumière a été victime du vent et de la grêle sans qu’il y ait de blessés parmi le public déjà présent. Pour une fois, la Préfecture n’avait pas annulé la soirée au nom du principe de précaution.
                                                             *
Observation de voisinage : dès qu’il y a  quelque part un enfant en bas âge, la plupart des femmes alentour se transforment en mères putatives.
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Loïc Boyer dans Le philosophe et les enfants publié sur son blog suite au texte de Michel Onfray sur Greta Thunberg :
«son enveloppe est neutre» «ce corps sans chair» «ce corps qui est un anticorps, cette chair qui n’a pas de matière» «c’est une jeune fille au corps neutre» «neutre et pâle comme la mort»
Bon, les filles, si voulez être prises au sérieux par les adultes, des vrais, des gras comme Michel Onfray, laissez-vous pousser les seins…

 

25 juillet 2019


« Votre train pourrait être impacté par les conditions météorologiques. Pour votre bien-être à bord et en raison des fortes chaleurs, nous vous invitons à vous munir d’une bouteille d’eau. Si vous souhaitez reprogrammer votre voyage ou obtenir son remboursement, sans frais, nous vous invitons à vous rendre en ligne. », m’écrit mardi soir la Senecefe.
Bien qu’il m’en coûte de renoncer à passer un moment avec celle que je devais retrouver ce mercredi à treize heures sous Beaumarchais, je donne suite à cette proposition, la perspective d’une journée à suer dans la capitale, où il fait deux degrés de plus qu’à Rouen, et d’un retour dans la bétaillère dont on ne peut plus baisser les vitres ne m’enchantant pas.
Cette fois, inutile d’aller à Dieppe. Il y fait si chaud que le pont métallique tournant Colbert est dilaté et reste par prudence en position ouverte afin de permettre le passage des navires. Pour rejoindre le Mieux Ici Qu’En Face, il me faudrait faire un détour au-dessus de mes forces.
Plus qu’à rester à Rouen où je ne sors que le matin pour assurer ma subsistance puis à midi pour lire au Son du Cor. Hier, assis à l’une des trois seules tables disponibles le long de la façade donnant sur le terrain de pétanque depuis qu’y ont été installés les perchoirs publicitaires pour les oies, j’ai dû subir la proximité d’un autre lecteur dont même le bruit de la respiration m’exaspère. Un porteur de djine bleu et de chaussures de sport en plastique qui une fois m’a interpellé bruyamment pour me parler de Sylvain Tesson. Il m’avait vu lors de la venue de celui à L’Armitière et/ou avait lu mon texte à ce propos. Je déteste le manque de discrétion. Ce jour-là je l’ai envoyé bouler, mais je ne peux l’empêcher de s’asseoir à côté de moi.
Ce mercredi midi, pour y échapper, je m’installe côté rue et je fais bien car il arrive peu après et s’assoit à la même table qu’hier où il lit Dostoïevski de manière ostentatoire. Une jeune femme lit également à une table rapidement rattrapée par le soleil. Elle déménage et vient s’installer à la table voisine de la mienne, du côté opposé. Désormais, en lisant, j’ai trois plans sous les yeux : la page du Journal de Matzneff, mon bras nu et sa cuisse nue.
Cette lectrice ne se soucie pas davantage de moi que si j’étais une chaise ou une table. Aussi avant qu’elle ne parte n’ai-je pas l’occasion de lui demander si elle a choisi le livre qu’elle lit dans l’espoir d’avoir moins chaud, un policier signé Fred Vargas, Temps glaciaire.
                                                       *
Symptomatique et consternant, ce déchaînement de haine, ce torrent d’insultes, contre Greta Thunberg, âgée de seize ans mais en paraissant bien moins et fragilisée par un syndrome d’Asperger. Il est surtout le fait d’hommes d’un certain âge qui font une fixette sur elle, la plupart de Droite. L’un de ma connaissance n’hésitant pas à user d’arguments du genre « Ça rappelle les enfants endoctrinés de l’Union Soviétique » ou bien « Et dire que pendant ce temps-là dans certains pays des filles aimeraient bien pouvoir aller à l’école »,  puis à appeler en renfort un texte odieux signé Michel Onfray. Or, que dit cette jeune personne à ceux qui ont le pouvoir ? « Notre maison brûle et vous regardez ailleurs. » Rien d’autre que ce qu’a dit Chirac, cet ancien Président de Droite, en deux mille deux à Johannesburg, en s’incluant parmi les responsables indifférents.
                                                      *
Une autre fille en avance sur son âge, dont le sort fut tragique, Anne Frank, de laquelle je viens de relire au lit le Journal, écrit entre treize et quinze ans, dans la version non expurgée par son père qui en avait caviardé les propos sur sa sexualité et ses critiques sur sa famille. Extrait :
Ainsi la radio est déjà allumée à huit heures du matin (sinon neuf) et on l’écoute toutes les heures jusqu’à neuf heures, dix heures ou parfois même onze heures du soir. Voilà la plus belle preuve que les adultes ont de la patience et un cerveau difficile à atteindre… (lundi vingt-sept mars mil neuf cent quarante-quatre)
 

24 juillet 2019


Dimanche midi, en terrasse au Son du Cor, je lis La Jeune Moabite (Journal 2013-2016) de Gabriel Matzneff qu’a publié Gallimard. A plusieurs reprises, l’auteur évoque les jeûnes qu’il s’impose pour rester ultramince (une de ses obsessions), pensant par ailleurs qu’ils ont aussi pour vertu de contenir son cancer de la prostate. A force de lire le mot jeûne me revient en mémoire un livre orange sur le sujet que j’ai eu en ma possession il y a fort longtemps. Je retrouve le nom de l’auteur : Shelton. Surgissent alors successivement dans mon esprit Nature et Vie, Kervénanec et Désiré Mérien.
Au début des années soixante-dix, j’étais abonné à toutes les revues écologistes de France. Parmi celles-ci : Nature et Vie rédigée par un certain Désiré Mérien résidant à Kervénanec près de Lorient. Etant de passage dans cette ville pour le Festival Interceltique qui avait alors lieu pendant les vacances de Pâques (j’y vis les sœurs Goadec), il me vint l’idée de rendre visite à Désiré Mérien au lieu-dit Kervénanec dans ce que j’imaginais être un beau bâtiment de pierre brune niché dans la campagne bretonne.
Point du tout, je découvris que Kervénanec était une banlieue de Lorient composée d’une succession d’immeubles de style cages à lapins jouxtés de banals pavillons. Désiré Mérien habitait l’un de ces derniers. C’est sa femme qui répondit à mon coup de sonnette. Elle me dit que son mari faisait la sieste et qu’il n’était pas question de le déranger. Que je repasse à telle heure.
Ce que je fis. Un presque quadragénaire barbu m’ouvrit la porte. Il me semble qu’il me raconta que grâce au jeûne il avait guéri d’un cancer et me vanta si bien les écrits de Shelton que je lui achetais les deux livres orange de cet hygiéniste américain. Que je n’ai jamais lus et dont j’ai fini par me débarrasser.
Vers quatorze heures, je quitte le Son du Cor et décide d’aller voir si oui ou non le Sacre est ouvert ce dimanche (on ne peut jamais savoir avec la bande de fêtards qui tiennent ce bar). En chemin, je fais un crochet par la boîte à livres du square Saint-Pierre-du-Châtel et y trouve les deux livres orange d’Herbert M. Shelton Le jeûne et Les combinaisons alimentaires et votre santé (tous deux édités par Le Courrier du Livre) ainsi qu’un livre vert publié en mil neuf cent quatre-vingt-deux aux Editions Dangles Les clefs de la nutrition de Désiré Mérien.
                                                                     *
Une recherche sur Internet m’apprend que Désiré Mérien a ensuite déménagé à Ploemeur. Toujours barbu, il y poursuit son prosélytisme.
                                                                     *
Gabriel Matzneff étant désormais ami avec Emmanuel Pierrat, rien ne dépasse dans son Journal des années deux mille treize deux mille seize.
 

23 juillet 2019


Il est un peu plus de dix heures lorsque ce dimanche matin, muni d’un plan parsemé de points d’exclamation rouges signalant les endroits où sont installés les dix chefs-d’œuvre que dans sa grande générosité François Pinault prête pour un an au Musée des Beaux-Arts de Rouen, je pars à leur découverte au sein de la collection permanente, ce qui me permet au passage de revoir mes œuvres favorites et Le Christ à la colonne du Caravage tout juste rentré de Naples.
C’est d’abord Cry de Gilbert et George dont la référence explicite à Munch dit tout (j’apprends au passage les patronymes du duo : Prousch pour Gilbert et Passmore pour George) puis dans le désordre : Dark Soul de Damien Hirst dont le papillon « évoque la libération de l’âme humaine après l’existence terrestre », Three Charred Crosses de David Nash qui dialogue avec Le Christ en croix du dix-septième siècle d’Adrien Sacquespée, Phylogenetic fantasy de Toby Ziegler composé d’images glanées sur Internet et transformées à l’aide d’un logiciel, Uncle of the Garden de Lynette Yiadom-Boakye triple portrait d’homme fictif à la peau noire, Re-Enactment Society, Group series n°5 de Jonathan Wateridge relecture ironique de la peinture militaire, The Bigger Picture Emerges (Geno-Pheno Painting) de Keith Tyson inventeur de l’Art Machine, un outil programmé pour générer de façon aléatoire des idées qui alimentent sa création, 1989 de Nigel Cooke auteur d’une thèse sur la mort de la peinture, Battle II de Thomas Houssago sculpture hybride dans laquelle un crâne apparaît au milieu d’une bouteille, enfin Pietà (The Empire Never Ended) de Paul Fryer installation on ne peut plus réaliste qui met en scène le Christ mort sur une chaise électrique, la seule des dix œuvres dont je me souviendrai peut-être.
Parallèlement à cette itinérance d’œuvre anglo-saxonne en œuvre anglo-saxonne, je vais de surveillant(e) en surveillant(e), lesquel(le)s n’ont que moi à surveiller. Un bonjour pour chaque et une attention particulière pour une charmante ancienne beauzarteuse que je croisais autrefois rue Saint-Romain quand l’Ecole était dans l’aître Saint-Maclou ainsi que pour une très jolie jeune fille à la peau noire. D’ailleurs, me dis-je, on pourrait ne venir dans ce Musée que pour visiter ceux, et surtout celles, qui gardent les lieux, sans se soucier le moins du monde de ce qui est exposé.
Quand même, je m’attarde près de la Bacchante de Jean-Jacques Pradier, dit James Pradier, sculpture à la nudité si tentante. Celle que j’espère voir mercredi à Paris ne pouvait s’empêcher de la caresser clandestinement à chaque fois que nous venions ici.
Avant de quitter les lieux, je rends au jeune homme de l’accueil le plan m’ayant permis de ne rater aucune des dix œuvres So British ! que je ne qualifierais pas toutes de chefs-d’œuvre et lui demande pourquoi, dans la salle des Vélasquez, les œuvres offertes au Musée par Bernard Ollier ne sont pas accompagnées d’un cartel explicatif à son nom. Il ne sait pas. « On nous demande souvent ce que c’est, en plus », me dit-il. Il me suggère de signaler ce manque par écrit, ce que je fais en me demandant ce que devient cet artiste qui, par l’intermédiaire de sa femme, m’avait invité, il y a maintenant un certain temps, au vernissage de son exposition parisienne au Musée des Arts Décoratifs.
                                                                   *
Le Musée des Beaux-Arts de Rouen présente également l’exposition localiste temporaire Braque Miró Calder Nelson « Varengeville, un atelier sur les falaises ». Braque ayant eu sa carte d’habitant du département, lui et ses invités peuvent être montrés à Rouen. Je n’ai pu bénéficier de la visite gratuite lors du vernissage car j’étais à Arcachon, et n’ai pas envie d’y mettre un kopeck.
                                                                   *
« La libération de l’âme humaine après l’existence terrestre », comment peut-on croire à une chose pareille ?
 

22 juillet 2019


Peut-être qu’un jour je raconterai dans quelle circonstance j’ai fait la connaissance de Lady Arlette il y a environ un an et demi. Ce n’était pas lors d’un de ses concerts. Je n’ai assisté à aucun jusqu’à ce jour, mais comme elle est au programme de cette troisième semaine des Terrasses du Jeudi rouennaises, et à cent mètres de chez moi, devant l’église Saint Maclou, à dix-neuf heures quinze, j’y vais voir, trouvant place derrière l’abri sous lequel est installée la technique.
Son rock à la française ne me déplaît pas, bien que côté textes je reste sur ma faim. J’ai un faible pour sa jolie bassiste et pour le jeune trompettiste dont je ne sais à le voir rougissant si c’est par timidité ou d’avoir soufflé. Le clarinettiste est également appréciable. Vers la fin, la Lady fait monter sur scène un complice à longs cheveux frisés que je croise souvent en ville et dont la performance vocale m’étonne. Elle est complétée par celle d’une autre complice, allant et venant parmi le public. Celui-ci est en partie constitué d’habitué(e)s des concerts de la Diva qui termine seule à la guitare en reprenant une chanson de Juliette, si je ne me trompe pas, laquelle évoque le triste sort des migrants.
                                                                  *
Auparavant ce jeudi de pluie persistante n’est point triste pour la raison qu’en matinée j’ose faire sonner le téléphone de la plus rohmérienne des Rouennaises afin de lui demander si elle a envie qu’on se voie avant son départ au Mexique avec frère et mari.
Rendez-vous pris au Sacre pour l’après-midi, je l’attends en lisant Oui sous le parasol transformé en parapluie.
Quand elle arrive, vers trois heures moins le quart, nous nous installons sous l’auvent, plus au calme et bien à l’abri, où nous devisons en buvant du chardonnay. Elle me parle notamment des deux écrivaines et de l’écrivain avec qui elle a rendez-vous à Mexico et avec qui elle s’entretiendra afin d’enrichir le contenu de son mémoire.
J’ai plaisir à passer du temps avec cette jeune personne qui, je le découvre, a certains goûts communs avec moi. Quand, après un deuxième verre, nous faisons chemin ensemble vers l’hypercentre, dix-sept heures sonnent au Palais de Justice. Nous nous quittons rue des Carmes, elle allant chez son frère et moi rentrant à la maison.
 

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