Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

20 juillet 2019


Au moment où je le découvre, cet ancien abonné de première catégorie à l’Opéra de Rouen, où il bénéficiait d’un fauteuil à lui réservé situé en bout de rangée, ce qui lui permettait de se lever précipitamment à l’entracte pour être le premier au bar, a les yeux sur moi et doit se poser la même question que moi : « Qu’est-ce qu’il fait là ? » Pourvu qu’il ne vienne pas me voir, me dis-je. Heureusement non, il traverse le boulevard, regarde les horaires du bus Quatre-Vingt-Sept direction Invalides et s’assoit sur un banc pour attendre le prochain.
Il y a une dizaine d’années, j’avais fait sa connaissance sans l’avoir cherché. Après un concert, il m’avait rejoint alors que je rentrais chez moi, me demandant ce que j’en avais pensé. Cela s’était reproduit une deuxième fois, puis une troisième.
Quand, au vide grenier du quartier Augustins Molière, il m’avait abordé pour me dire d’une voix mielleuse « L’opéra, la brocante, on a les mêmes goûts tous les deux, c’est merveilleux», je n’avais plus eu de doute. « Nous ne sommes pas les seuls », lui avais-je répondu du ton le plus décourageant qui soit.
Peu de temps après, je croisais à nouveau, au Théâtre des Deux Rives, ce membre non enseignant de l’Education Nationale (que je n’ai vu dans une manifestation, porteur d’une jolie banderole rose, que le jour où il fut question de supprimer son service). Debout avant le début du spectacle, il discutait boulot avec celui assis devant moi, ce qui m’exaspéra au point que je le lui reprochais vertement. Cela eut pour avantage qu’il ne me dit plus jamais bonjour.
Le temps que je me remémore tout ça le bus arrive et plus personne sur le banc. Je reprends la lecture de Oui de Thomas Bernhard jusqu’au moment où je juge qu’il est l’heure d’aller voir ce qui m’attend au second Book-Off. Avant d’y entrer, je prends un autre café au Bistrot d’Edmond. On s’y plaint du manque de clientèle « Ils sont partis plus tôt cette année, l’an dernier il y avait la Coupe du Monde ». Un employé renverse les cendriers dans lesquels était triée la monnaie. C’est la première fois que je vois quelqu’un ramasser de l’argent avec un balai.
Je trouve peu à mettre dans mon panier, quand même Ma vie douce (Journal) d’Alina Reyes (Zulma). « Vous n’avez pas du Houellebecq ? » demande un homme. (Vous m’en mettrez deux tranches, pas trop épaisses, s’il vous plaît).
Le train de dix-sept heures vingt-trois étant supprimé l’été, j’ai choisi le dix-sept heures quarante-neuf pour rentrer. Mauvaise pioche, c’est la bétaillère. Dans la voiture où j’ai place, les vitres destinées à être baissées sont bloquées. Je ne peux même pas lire dans ce sauna ambulant.
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La nouvelle canicule n’est pas encore arrivée à Paris que déjà sortent par portes et fenêtres les trompes d’éléphant des climatiseurs.
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Conversation de commerciaux :
-C’est un vendeur. Oui c’est un vendeur de balais. T’achète ton balai sur le marché, tu rentres chez toi, ton balai il est cassé. Tu vas pas aller gueuler.
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Fille en bicyclette qui tient sa jupe de crainte que l’on voie.
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Chez Book-Off, conversation entre un moutard et son père divorcé :
-C’est facile à faire la crème chantilly.
-Faut un batteur?
-Oui.
-On n’en a pas (ton soulagé du géniteur).
 

19 juillet 2019


« Y a pas une salle d’attente ? » demande à son mari ce mercredi matin en gare de Rouen une dame qui part en vacances et n’a pas pris le train depuis longtemps. Ma salle d’attente personnelle est le banc du quai Deux d’où je sais que partira le train pour Paris quand sera parti celui pour Elbeuf Saint-Aubin. Face à moi une affiche publicitaire incite à visiter le jardin de Claude Monet à Giverny. Il y a un problème d’échelle entre le peintre en pied et les deux bancs verts dans l’allée derrière lui.
Dans le train de sept heures cinquante-neuf, l’un de mes voisins lit Le Canard Enchaîné dont le titre de une me fait marrer « Exclusif : François de Rugy justifie sa démission « Ça suffit, j’en ai crustacé ! » tandis qu’un autre tape comme un forcené sur le clavier de son ordinateur et qu’une s’esclaffe régulièrement devant l’écran de son smartphone. Nous allons à bonne vitesse jusqu’à ce que se produise un arrêt non prévu en gare de Vernon Giverny. Il est dû à un « problème de porte sur un train nous précédant ». Cela génère vingt minutes de retard. A l’approche de Paris, les inquiets pour la suite se lèvent et marchent vers l’avant en espérant que les quelques minutes gagnées suffiront.
Au comptoir du Café du Faubourg, je lis l’article consacré par le Parisien à la mort de Johnny Clegg d’un cancer du pancréas à soixante-six ans en me souvenant de son concert rouennais lors de l’Armada de deux mille trois, où j’étais avec celle qui me tenait alors la main.
Décidé à acheter peu de livres chez Book-Off, je vois ma résolution fondre face au rayon des livres de poche à un euro. Mon panier en contient bientôt plus qu’il n’est raisonnable, dont plusieurs Poésie/Gallimard : Choix de poèmes réunis par l’auteur de Paul Celan, Le condamné à mort de Jean Genet, Le ciel brûle de Marina Tsvétaîéva et Air de la solitude de Gustave Roud, ainsi que Cartes postales de Henry Jean-Marie Levet (La Petite Vermillon), Le Voyage à Nuremberg d’Hermann Hesse (Poche Biblio) et La longue route de sable de Pier Paolo Pasolini (Arléa-Poche).
Le poids de mon sac à dos, les douleurs dans mon pied gauche et mon genou droit et la chaleur qui monte me dissuadent d’aller jusqu’au Centre Pompidou comme j’en avais l’intention. Je m’arrête à la Bastille et renoue avec le restaurant Le Rempart que je ne fréquentais plus depuis son changement de direction. Face au spectacle de la rue Saint-Antoine, je déjeune d’un travers de porc à la texane, pommes sarladaises, suivi d’un creume-beule aux fruits rouges, cela accompagné d’un verre de vin du mois. La clientèle est rare. « Merde, ils sont tous partis en vacances », se lamente le restaurateur qui, lorsque je paie mes dix-sept euros, veut savoir si c’était bien. Je réponds oui sans préciser que c’était mieux avant.
Pour le café je choisis parmi les terrasses du Week-End celle donnant sur le boulevard Henri le Quatrième. J’y relis Oui, acheté tout à l’heure à l’intention des amis de Stockholm qui n’ont jamais lu Thomas Bernhard, tout en écoutant la conversation des deux étudiantes assises devant moi «  Mais enfin je pensais, tu es marié, ta femme est assise en face de nous, t’as une fille qu’a mon âge, c’est chelou quand même. ». A un moment, levant les yeux, je vois arriver un que je connais, abonné à l’Opéra de Rouen.
 

18 juillet 2019


Pendant ma lecture de Lettres intimes d’Eugène Delacroix (L’Imaginaire/Gallimard), missives écrites dans sa jeunesse, adressées à des amis connus au lycée et à son frère Charles, j’ai prélevé ceci :
On trouve en province de certaines beautés qui ne manquent ni de tournure ni d’agréments de toute espèce. Il n’est pas rare d’y trouver au milieu de ces troupeaux de niaises prétentieuses qui y fourmillent, quelques caractères singuliers et saillants dans de jolis petits corps. A Félix Guillemardet, Paris, le premier décembre mil huit cent vingt-trois
Il y avait quinze ans à peu près que j’y étais venu. Juge de mon étonnement d’y trouver tout si peu changé qu’il pouvait me sembler que je ne l’avais pas quitté un instant. C’est une chose incroyable ou qui l’était pour moi jusqu’à ce jour ; c’est combien les choses changent peu et combien nous autres nous changeons. Si j’ai tout trouvé à la même place et avec la même figure, en revanche n’ai-je pas été reconnu par un seul des individus qui m’y avaient vu autrefois. Quelques-uns de ceux qui y étaient alors sont furieusement changés, car ils sont morts… A Félix Guillemardet, Valmont (où il passa ses vacances à quinze ans chez son cousin propriétaire de l’abbaye), le deux novembre mil huit cent vingt-neuf
Au reste, bien que tout aille de travers, nous n’avons pas le droit de crier plus haut que tous les humains qui nous ont précédés. De tout temps, on a dit que cela allait mal, que le monde touchait à sa fin et que tout était épuisé. Nos neveux sont encore destinés à nous trouver plus heureux qu’eux. A Félix Guillemardet, Paris, le quinze février mil huit cent trente et un
Encore ce matin en me levant, je me disais : où est le bon temps, celui où j’étais malheureux. A Charles Soulier, Paris, mil huit cent vingt-neuf
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De tout temps, on a dit que cela allait mal, que le monde touchait à sa fin et que tout était épuisé. Delacroix a trente-deux ans lorsqu’il écrit cela au début du dix-neuvième siècle. Les temps et le temps ont changé depuis.
 

16 juillet 2019


En lisant Le Monde d’hier (Souvenirs d’un européen) de Stefan Zweig, édité chez Belfond en mil neuf cent quatre-vingt-treize dans une nouvelle traduction de Serge Niémetz,  un ouvrage initialement paru en mil neuf cent quarante-quatre chez Bermann-Fisher Verlag AB à Stockholm, dans lequel l’écrivain fit le bilan de sa vie avant de se suicider en entraînant sa femme avec lui le vingt-deux février mil neuf cent quarante-deux, je découvre qu’il passa par Rouen peu avant le déclenchement de ce que l’on appellera la Grande Guerre :
Durant ces derniers jours, j’accompagnai Verhaeren à Rouen, où il devait donner une conférence. Dans la nuit, nous nous tînmes devant la cathédrale, dont les flèches brillaient d’une lueur magique à la clarté de la lune. De telles merveilles de douceur appartiennent-elles encore à une « patrie », ne nous appartiennent-elles pas à nous tous ? A la gare de Rouen, à l’endroit même où, deux ans plus tard, une de ces machines qu’il avait chantées allait le déchirer, nous prîmes congé. Il m’embrassa : « Au 1er août, chez moi, au Caillou qui bique. » Je le lui promis : chaque année, je lui rendais visite dans sa maison de campagne pour traduire avec lui, la main dans la main, ses derniers vers. Pourquoi pas cette année aussi ? Sans éprouver aucune appréhension, je pris congé de mes autres amis, je pris congé de Paris, un congé insouciant, nullement sentimental, comme lorsqu’on quitte sa propre maison pour quelques semaines. Mes plans pour les mois suivants étaient bien tracés. (…) Tout se présentait uni et clair à mes yeux en cette trente-deuxième année de ma vie ; le monde s’offrait à moi beau et chargé de sens comme un fruit délicieux dans cet été rayonnant. Et je l’aimais pour son présent et pour son avenir encore plus beau.
Alors, le 28 juin 1914, retentit à Sarajevo ce coup de feu qui, en une seconde, fit voler en mille éclats, comme un vase de terre creux, ce monde de la sécurité et de la raison créatrice dans lequel nous avions été élevés, dans lequel nous avions grandi, et où nous nous sentions chez nous.
 

15 juillet 2019


La Fêt. Nat. qui tombe un dimanche, l’assurance d’une longue journée ennuyeuse dans cette petite ville de province qu’est Rouen. Je la commence en traversant la Seine par le pont Boieldieu sur lequel je découvre un nouveau mobilier urbain aussi laid qu’inutile. Place des Emmurées a lieu le petit vide grenier qui m’amène là. J’ai vite fait le tour de ce déballage déprimant.
Il manque des vendeurs au marché du Clos Saint-Marc, mais tant que la marchande de fromages à qui j’achète un neufchâtel est là, ça va.
A partir de midi je suis au Son du Cor, occupé à lire, quand s’installe près de moi une habituée encombrante qui fait fuir ses deux voisines de droite sur la table desquelles elle empiète. C’est le genre de personne qui cherche à discuter avec tout le monde, un modèle que je ne peux supporter. Elle farfouille dans son sac bordélique, en sort un Sudoku, puis le repose sur la chaise où est déjà le mien. Excédé par cette promiscuité, je l’enlève en pestant, sans qu’elle juge bon de s’excuser. Je me promets de déménager illico la prochaine fois que cette femme s’installera à côté de moi.
Vers quatorze heures, sachant qu’au Sacre on doit avoir fini d’installer la terrasse, je change de bar. C’est bien plus calme ici, où je ne suis pas le seul à espérer que ce soir l’Algérie perdra son match de foute.
Je dors si bien qu’au réveil je pense qu’il en est ainsi, mais non, il y a encore eu hystérie collective dans les rues de la ville, apprends-je au matin de ce lundi heureusement ordinaire.
 

13 juillet 2019


Preuve que les vacances ont vraiment commencé, Aboyus est de retour au jardin ce jeudi matin, semblable à lui-même, aucun progrès n’étant possible. Ayant prévu une escapade à la fin du mois, je ne le subirai pas pendant toute la durée de son séjour.
C’est de cette échappée future dont je parle vers dix-neuf heures près du Son du Cor avec un musicien de ma connaissance. Il me recommande un restaurant nommé Le Homard Frites, ce que est en parfait écho à l’actualité.
C’est la deuxième semaine des Terrasses du Jeudi rouennaises et j’ai choisi de voir et ouïr Gene Clarksville, « ancien des Roadrunners et des Dogs », comme il est écrit sur le programme. Pour moi, ancien parendélève l’année où je faisais l’instituteur dans une école maternelle des hauteurs bourgeoises dominant la ville. Sa fille n’était pas dans ma classe, mais parfois il venait également chercher deux de mes élèves, les jumeaux de son collègue de Mister Moonlight. Que sont devenus Emma, Erwan et Maël ?
Comme la semaine précédente, je me suis casé près des vélos. Derrière moi sont trois poubelles béantes et l’inscription murale « La vie est belle ». François Godefroy alias Gene Clarksville s’assoit au clavier, à sa gauche sur un tabouret de bar un bassiste, en arrière un batteur, face à eux un public de convaincus ne demandant qu’à applaudir.
Une partie de la terrasse de la crêperie La Cornaëlle qui fait face à la scène vient d’être condamnée. Des pierres sont tombées de la façade. La musique de Gene Clarcksvlle et de ses deux acolytes n’est pas assez violente pour aggraver les choses. C’est de la bonne variété anglo-saxonne, des morceaux bien rodés qui suscitent l’adhésion. Côté paroles, je ne comprends que « It’s a sunny day » et « Talk to me ». Je ne dois pas perdre grand-chose.
A l’issue je regagne mon domicile puis en ressors à vingt et une heures pour Requin Chagrin et sa « pop crémeuse aux accents rêveurs portés par la voix de Marion Brunetto ». Celle-ci et ses musiciens se produisent place Saint-Marc. Sûr qu’elle a un petit côté France Gall du début. Je crois qu’elle chante en français mais je ne comprends vraiment rien. Au milieu de sa première chanson, elle lance un « Ça va Rouen ? ». Cela a pour effet de me faire partir.
A l’approche de l’église Saint-Maclou je suis assailli par le bruit de claquesons et de moteurs qui ronflent. L’Algérie a encore gagné un match de foute. Chez les Patriotes, c’est l’hystérie collective. Le cortège automobile dévale la rue de la République, zigzagant des deux côtés de la chaussée. Certains de ces fanatiques sont assis sur les portières un drapeau à la main. Dans certaines voitures, sur le siège passager, une femme se laisse transporter comme un colis qu’on ne peut laisser seul à la maison. Je dois attendre un moment avant qu’un espace suffisant entre deux voitures me permette de traverser sur le passage protégé sans risquer d’être pulvérisé.
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Habituellement, c’est « Machin nous a quittés », « Truc s’est éteint », « Chose a disparu », mais « Vincent Lambert est mort » titre la télé d’info continue. Ce qui en dit long.
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Donc une femme, qui fut amie puis s’est fâchée avec Séverine Servat de Rugy, épouse de François Goullet de Rugy, envoie à Mediapart des photos (homards et grands crus) prises lors de bombances faites autrefois avec de l’argent public à l’Hôtel de Lassay quand l’actuel Ministre de la Transition Ecologique et Solidaire était Président de l’Assemblée Nationale. Pour montrer sa pureté morale, celui-ci vire Nicole Klein, sa Directrice de Cabinet, bien connue à Rouen et à Notre-Dame-des-Landes, parce qu’elle occupe indûment depuis deux lustres un logement social. C’est en cet état brièvement résumé que se présente le nouveau feuilleton d’été de l’ère Macron.
 

12 juillet 2019


Toute la queue du sept heures cinquante-neuf pour Paris est pleine de moutard(e)s partant en colonie de vacances. La voiture Six où je me trouve en est heureusement exempte. Elle serait même on ne peut plus silencieuse si ne s’y trouvaient deux copines quinquagénaires allant en excursion culturelle dans la capitale. Musée des Arts Forains, Musée de la Contrefaçon ou Musée de la Shoah, elles hésitent. Je ne suis pas surpris d’apprendre au moment où nous entrons à Saint-Lazare que ce sont des profs. L’une se désole d’avoir au programme de ses élèves en Première Techno des textes aussi peu adaptés que Phèdre et les Mémoires d’Hadrien. Je suis à mon tour désolé quand elle suggère pour eux des auteurs comme Amélie Nothomb et Daniel Pennac.
Des difficultés sur la ligne Huit du métro ne me permettent pas d’être devant le Book Off de la rue du Faubourg Saint-Antoine avant le lever de rideau. J’y arrive cinq minutes après, ce qui est de peu d’importance car au bout de deux semaines de soldes, les rayonnages ont été ratissés. Il se trouve quand même un scanneur pour remplir plusieurs paniers. C’est un nouveau. Les anciens ont disparu. Je les imagine entourés des milliers de livres sans intérêt qu’ils n’ont jamais pu vendre. J’y trouve néanmoins quelques érotiques de La Bourdonnaye à un euro : Le Secret de Miss Sticker de Tap-Tap (Alphonse Momas), Névrose de Maurice de Vindas et La Pucelle d’Orléans (Poème en vingt et un chants) de Voltaire.
Sorti de là, je vais au marché d’Aligre où cela fait trop longtemps que les vendeurs de livres ne renouvellent pas leur stock. J’y évite des distributrices de tracts pour un bal populaire à Nation, «  à la fois politique et festif », puis passe chez Emmaüs où rien non plus.
Mon pied gauche me le permettant, je marche jusqu’au carrefour Parmentier Chemin Vert et déjeune au Palais de Pékin pour douze euros (quart de vin blanc compris) puis je remonte vers le Père Lachaise et m’arrête à La Petite Rockette.
Depuis mon dernier passage, une affichette a été ajoutée dans le coin bouquinerie : « Scan de livres interdit, cette librairie est destinée à rendre le livre accessible, pas à alimenter Amazon ». Cet avertissement est inopérant, un jeune homme explore le rayon Livres d’Art avec son téléphone. Je trouve là le Journal d’Aimée de Coigny sous-titré La jeune captive (Librairie Académique Perrin), un exemplaire ayant appartenu à Bibliothèque du Comité d’Etablissemnt du Crédit Foncier de France et que je paie un euro.
Pour reprendre le métro, je vais à Père Lachaise. Sur le mur du cimetière ont été installés des panneaux où sont énumérés, année par année, les noms des morts parisiens de la Grande Guerre. Cela fait une belle longueur. Je regarde à l’année mil neuf cent quatorze si mon patronyme y figure. Non. Je n’ai pas le courage de marcher plus loin pour faire de même avec les autres années.
La ligne Huit me mène à Quatre Septembre où chez Book-Off je trouve à un euro La Mémoire d’un port, Le Havre d’Armand Frémont (Arléa). Une loterie est organisée par la boutique. On pioche une bille. Selon sa couleur, on gagne un sac à tout, un badge, un aimant, etc. Si elle est blanche, on a perdu. C’est mon cas.
« Regarder, c’est souvent plus pratique de le faire avec les yeux », me fait remarquer le contrôleur du train de seize heures quarante-huit par lequel je rentre à Rouen. Il fait allusion au titre du livre que je lis, une étude des œuvres de Jules Verne par Jean-Yves Tadié publiée chez Gallimard dont le titre est Regarde de tous tes yeux, regarde ! Ce n’est qu’à ce moment que je prends conscience de ce qu’il signifie pour moi.
 

11 juillet 2019


Ce mardi matin, je monte la côte qu'est l'avenue de la Porte des Champs afin d’en savoir plus sur l’état de mes pieds. Premier sur la liste de rendez-vous de mon médecin traitant, j’attends qu’il arrive en regardant le mouvement de la vie sur la place du Boulingrin.
Quand il m’invite à entrer dans son cabinet, je lui dis que je viens pour mes pieds et lui énumère mes symptômes : gonflements, douleurs, aspect hideux
-Ils sont affreux, lui dis-je.
Il l’admet quand il les a sous les yeux. Ces deux extrémités sont à la fois victimes d’insuffisance veineuse (boire de l’eau de Volvic), d’arthrose (dont la douleur peut se traiter avec le paracétamol mais pris trop souvent ce médicament peut détruire le foie) et de déformation nécessitant une semelle orthopédique (peu remboursée par la Sécu, je vous fais une ordonnance).
Il prend ma tension artérielle (normale), écoute mon cœur (normal), puis me prescrit une prise de sang pour savoir où on en est dans tout ce qu’il est possible de mesurer.
Je lui parle aussi de mes yeux pour lesquels le résultat de champ visuel est encore moins bon qu’il y a six mois. Il fait exactement la même grimace que mon ophtalmo quand je le lui ai présenté vendredi dernier.
« Je vais montrer ça à un confrère de la clinique Mathilde spécialisé dans le glaucome jeudi prochain, m’a-t-elle dit. S’il le juge nécessaire, il vous contactera. » Lui ne se mouille pas davantage, il me dit que le spécialiste sera mieux à même de m’expliquer ce qu’il en est et quoi faire.
                                                                    *
L’après-midi de ce mardi, au Son du Cor, je vois apparaître la plus rhomérienne des Rouennaises, que je n’ai pas croisée depuis un an. Comme elle est accompagnée, nous n’échangeons que quelques mots. Peut-être réussirons-nous à boire un verre ensemble avant son départ en vacances car cette fois je lui ai demandé son téléphone. Cette fille me fait du bien.
 

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