Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

8 avril 2025


Ce lundi matin à la Gare Ferroviaire de Saint-Raphaël des parents accompagnent leurs moutards en partance pour je ne sais où. Ce sont les vacances scolaires de printemps ici. Vacances ou non, je ne peux quitter la Gare Routière qu’à huit heures quarante avec le Vingt-Trois car très peu de bus sont directs pour Saint-Aygulf (commune de Fréjus).
Je descends à l’arrêt La Poste au centre du bourg sur une place rectangulaire sans intérêt. Une impasse mène au bord de la mer. Le ciel est couvert. Il y a des entrées maritimes (disait-on dans le bus). La Méditerranée est énervée. Les calanques sont parsemées de vieux bois avec lesquels certains font des œuvres d’art. Tout cela est joli à voir avec le Dramont au loin.
Je marche prudemment sur le Sentier du Littoral. Il n’est pas entretenu. Hier dimanche, l’hélicoptère Dragon Quatre-Vingt-Trois est venu chercher une randonneuse y ayant fait une chute (il est ensuite revenu dans le coin pour une bicycliste de soixante-neuf ans tombée sur une petite route du Massif de l’Esterel). J’avance au raz des vagues moussues. Une fois je dois même calculer leur vitesse pour ne pas prendre un bain de pieds. Hélas, un trou m’arrête. Autrefois, j’aurais sauté par-dessus. Aujourd’hui, je ne m’y risque point, pas envie de me louper et de déranger Dragon Quatre-Vingt-Trois.
Revenu à mon point de départ, j’essaie ce Sentier du Littoral dans l’autre direction mais je me trouve vite face au même problème. C’est donc par l’intérieur, sur une piste cyclable et piétonnière (première fois que j’en trouve une), que je rejoins le Port de Saint-Aygulf où sont abrités quelques dizaines de bateaux de plaisance.
Remonté au bourg, je m’assois dans la véranda du Central, une grosse brasserie à plat du jour aussi cher qu’avec la vue sur mer mais avec la vue sur la place. Cependant, le café n’y est qu’à un euro quatre-vingts. Il est dix heures trente. Le prochain bus Vingt-Trois pour Saint-Raphaël est à onze heures cinquante-cinq. Cela me donne du temps pour lire Lettres à Madame Hanska en observant la vie locale. Un des rares commerces ouverts le lundi à Saint-Aygulf : la Pharmacie de la Poste. Elle ne désemplit pas.
Au retour, je descends à l’arrêt Les Sablettes et rejoins le Kashmir et son menu à volonté. Une famille (un grand-père, deux pères, une mère et trois enfants) y donne à voir le spectacle de son intimité. Une autre la côtoie (un jeune père tatoué rasé par un tondeur, deux jeunes mères, deux moutardes et un petit chien). L’une des mères demande une chaise de bébé pour y placer l’animal. Elle se voit opposer un refus.
Je retrouve la paix à la terrasse du Café Kro où très peu de tables sont occupées. C’est lundi et il fait gris.
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Des femmes à chien sur le Sentier du Littoral et ailleurs à Saint-Aygulf, signe d’ennui manifeste.

7 avril 2025


« On ouvre tous les jours à sept heures », m’a dit la serveuse du Café Kro. Je le trouve fermé à sept heures vingt ce dimanche. Heureusement, deux cases plus loin, le Caraïbe est ouvert. Y sont attablés des commerçants du marché. J’accompagne mon pain au chocolat de la Boulangerie du Soleil (qui, elle, ouvre bien tous les jours à sept heures) d’un allongé verre d’eau à deux euros. Le gars de la propreté des rues se charge aussi de la poubelle du bar puis il y boit un café peut-être gratuit.
C’est le jour où je reste en ville.
Dans  la fraîcheur du matin et sous un ciel un peu voilé, ma déambulation me fait passer devant la Mairie aux murs bleu-blanc-rouge puis j’entre dans le Quartier des Arts composé de quelques rues piétonnières bordées d’immeubles typiques du sud de la France. Se trouve là, jouxtée d’une tour de guet carrée, l’église romane du douzième siècle San Rafeu dans laquelle je ne peux entrer.
Je vais ensuite voir de près la Basilique Notre-Dame de la Victoire de style néo byzantin. On y donne la messe de huit heures. Le prêtre raconte l’histoire de la femme « surprise en situation d’adultère », qu’il est question de lapider, que celui qui, etc. On entre ici à la messe quand on veut et on la quitte quand on veut. Ce libre-service divin est agrémenté par la présence de deux clochards, un dedans et un dehors.
Je fais une photo de l’énorme bâtiment, une autre de la Grande Roue et direction le Café Kro. « Votre collègue m’a dit que ça ouvrait à sept heures le matin », dis-je au serveur qui m’apporte un café vert d’eau. « Heu, sept heures on est là, sept heures trente on commence le service. » Je ne lui dis pas qu’à sept heures vingt, il n’y avait personne.
A ma droite, un couple main dans la main, pas neufs tous les deux, mais venant de se rencontrer sûrement. « T’es amoureux ? » lui demande-t-elle. « Oui et toi ? » Elle se tait. « Réponds-moi quand je te pose une question », s’énerve-t-il. Ce flamboyant bonheur est entravé de ronces, d’épines et de cailloux. commente Balzac. A ma gauche, un autre couple, non débutant. « Bon, dit-il, je vais aller acheter un gratte-gratte, après je fais mon loto sportif, après on avisera. »
Je vais continuer ma lecture sur un banc au soleil, face à la mer, dos au marché. C’est un marché pour pauvres avec des vêtements à dix, quinze, vingt euros. Une vendeuse promeut quelque chose qui sécurise les cartes bancaires sans les démagnétiser. « Protégez-vous, messieurs dames, il y a des vols, c’est encore passé aux infos. » Une femme distribue des tracts « pour soutenir Marine et sauver la démocratie ». Elle ne vient pas m’en proposer un. Un type qui lit, ce n’est pas pour nous, doit-elle se dire.
A midi, je déjeune entre le Caraïbe et le Café Kro, à la pizzeria La Bocca : salade de chèvre chaud, pizza Delizia et glace vanille rhum raisin pour vingt-trois euros quatre-vingt-dix, avec vue sur le marché qui se termine. Comme voisinage immédiat, j’ai un vieux couple. Elle avec une visière de casquette sans casquette. Lui avec, fixés sur sa monture pour la vue, des verres contre le soleil qui se lèvent. Comme vue, il a son épouse plongée dans son smartphone. Durant ce repas dont je ne suis pas mécontent, règne une effervescence de tous les instants, côté personnel. Quand je sors à treize heures, stagne une file d’attente, côté clientèle.
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Au Vieux-Port de Saint-Raphael, une stèle à la gloire de Bonaparte « ayant conquis l’Égypte à la France » (sic, comme on dit).
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Sur la promenade, c’est le retour des femmes en pantalon ou en robe qui promènent leur homme en pantacourt (c’est leur petit garçon).
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Nombre de célébrités ont villégiaturé à Saint-Raphaël. Charles Gounod y aurait composé Roméo et Juliette. Francis Scott Fitzgerald y a écrit Tendre est la nuit.

6 avril 2025


Du monde ce samedi matin à la Gare Ferroviaire d’où l’on peut rejoindre Strasbourg en Tégévé. Dans le coin où je petit-déjeune, curieusement nommé Chez Jean, un couple d’affranchis à sacs à dos se fait remarquer, ils vont rejoindre un hôtel pas donné de la rue où je gîte et je suis content de ne pas les avoir pour voisins immédiats. Un autre couple, des retraités, est ici chaque jour pour faire les mots croisés de Var Matin (elle sait qu’il ne faut pas confondre Hermann Hesse et Heinrich Heine).
A huit heures dix, je prends la navette électrique, mais non gratuite, qui mène à la Mairie annexe de Boulouris, commune de Saint-Raphaël. Descendu à ce terminus, je passe sous la voie ferrée, traverse la route de la Corniche et, par le chemin de la Palmeraie, j’atteins la plage de la Tortue. Il y a là un sentier douanier dans les rochers en contrebas des propriétés privées mais la Méditerranée est agitée et le recouvre. Je suis obligé de remonter sur la route de la Corniche pour revenir à pied au centre-ville.
Sans l’avoir voulu, je me retrouve à suivre le « Parcours des Villas de la Belle Époque » : Villa Marjolaine « de style éclectique » « architecte inconnu », Villa Coraline « de style classique », Villa Gaïla connue sous le nom de Villa Mauresque (c’est désormais un hôtel cinq étoiles « wifi gratuit »), Villa Les Cigales « anciennement Villa Maurice » « style anglo-normand », Villa May, Villa Le Castelet, Villa Beau Rivage « Marcel Aymé en fut un des hôtes » « aujourd’hui divisée en appartements », enfin Villa Les Bruyères. De toutes ces demeures, on ne voit pas grand chose de la route, cachées qu’elles sont, hormis celle devenue hôtel, derrière de hauts murs, et sous surveillance électronique. Je n’en peux plus, quand, enfin, par le pentu chemin de la Batterie, je peux rejoindre le Port Santa-Lucia, vaste et récent garage à bateaux de plaisance.
Fort fatigué, je trouve refuge au Lion Rouge pour un café verre d’eau bien mérité. C’est le seul lieu fréquentable et fréquenté de ce gros port. Tables rouges, chaises rouges, murs rouges, tout est rouge. En face, deux ilots : le Lion de Terre et le Lion de Mer. D’où le nom, je suppose, de ce troquet tenu par un couple très sympathique. Le café n’y coûte qu’un euro quatre-vingts. Après l’avoir bu, je sors Balzac. Il est en érection : Je me mets à tes genoux chéris, je les baise, je les caresse, oh je fais en pensée toutes les folies de la terre, je te baise avec ivresse, je te tiens, je te serre…
Il reste encore beaucoup à marcher pour atteindre la Plage du Veillat, puis la Grande Roue et le Vieux Port. Ouf, j’y suis ! Je passe à l’Office de Tourisme car il me manque un horaire de car Zou ! Maria, qui est en formation, a un peu de mal à me satisfaire, mais avec l’aide de sa collègue au téléphone, elle y parvient.
Pas loin est La Brocherie, pizzeria grill, où on peut aussi manger du poisson. Bien qu’il ne soit qu’onze heures et demie, l’aimable gérant me permet de m’installer à une table de la terrasse avec vue sur le Vieux-Port par-dessus la route. Je déjeune de moules farcies au beurre d’escargot, d’une choucroute de la mer et d’une part de tarte aux pommes pour vingt euros quatre-vingts.
Il n’est que midi et demi quand j’ai terminé. Au Café Kro, je retrouve Balzac encore une fois dans un bel état : Malgré moi, mon imagination me reporte près de toi, je te tiens, je te serre, je te baise, je te caresse, et mille caresses les plus amoureuses s’emparent de moi.
A la table voisine, deux couples de retraités parlent des politiciens qui ont connu les tribunaux. Tous ont été « éclaircis ». « Elle, comme par hasard, on la condamne. » Il y a cet adage qui dit « Mieux vaut entendre ça qu’être sourd ». Je n’en suis pas sûr.
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Rouen Strasbourg en Tégévé, c’était possible autrefois, et j’en ai profité.

5 avril 2025


Un début de journée identique à celui de la veille, ce vendredi, moins les grincements de sommier des voisins ; après le petit déjeuner, je retrouve le même chauffeur dans le bus Huit de huit heures. Cette fois, je vais jusqu’au terminus : La Bastide d’Agay.
La rade d’Agay se déploie en un parfait arrondi entre la Pointe de la Baumette et le Cap Dramont. Je descends voir ça de la plage de la Baumette, phare à gauche, sémaphore à droite. Ensuite, ce sont des propriétés privées qui obligent à marcher sur le trottoir du bord de route qui suit le bord de mer. Je passe au-dessus de la Plage d’Agay, longue et déserte, je frôle la ligne de chemin de fer qui mène à Menton et j’arrive au mignon petit Port d’Agay à cabanons colorés. L’un contient la Capitainerie. Deux bateaux traditionnels, eux aussi colorés, complètent le décor. Une flèche invite à passer sous la voie ferrée pour aller voir une chapelle. Celle-ci s’avère être contemporaine et décevante, néanmoins ouverte.
Remonté sur la route et ne souhaitant pas continuer à marcher jusqu’au Cap Dramont, je prends place à la terrasse ensoleillée du Grand Café d’Agay. C’est le nom de ce petit établissement où l’on écoute la radio Chérie. Chacun sa route, chacun son chemin. Le café y coûte un euro quatre-vingts et le vendredi c’est aïoli (quinze euros quatre-vingt-dix avec un café offert). J’en réserve un et plutôt que lire Balzac entre les voitures et les publicités radiophoniques, je vais faire ça au Port.
J’arrive au moment où s’amarre le bateau avec roues à l’avant d’un pêcheur. « Oh, ça va pescadou ? » l’interpelle l’homme de la Capitainerie, une sorte d’Haddock à barbe blanche. Ce pêcheur ne rapporte pas de poisson. Il s’occupe à bricoler ses filets. Ce lieu serait idyllique s’il n’y avait le bruit d’un engin qui pilonne les rochers du massif au-dessus de la route. Sans doute qu’un riche va y construire sa maison. De temps à autre s’arrête un train régional Zou ! (car il y a une gare à Agay). Le vent souffle de plus en plus fort mais je résiste en lui tournant le dos sur un banc au soleil jusqu’à ce qu’il soit l’heure de déjeuner au Grand Café d’Agay, c’est-à-dire midi.
La terrasse est à l’abri du vent. Mon aïoli est vite arrivé. Il est semblable à tous les aïolis. Des locaux en mangent aussi. « C’est drôle parce que j’aime pas la mayonnaise et j’aime ça l’aïoli », dit une à ma droite aux deux hommes qui l’accompagnent et qui s’en fichent. D’autres sont à l’apéro, dont une femme un peu décatie, une cheffe de bande qui me rappelle une ancienne voisine de la copropriété qu’in petto j’appelais la Bohémienne. « J’suis garée où ? » s’inquiète-t-elle quand elle se lève. « A gauche, là-bas », s’énerve l’un de ses servants.
A droite du Grand Café d’Agay est l’arrêt de bus Agay Village. J’y attends le Huit de treize heures trente-sept avec pour spectacle la circulation routière. Tiens, un camion frigorifique de la maison Kiss My Ice (ah ah ah).
J’arrive à la Gare Routière à quatorze heures. Dix minutes plus tard, je suis en terrasse au Café Kro : café, verre d’eau, Balzac.
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C’est à Agay qu’Antoine de Saint-Exupéry s’est marié avec Consuelo Suncin de Sandoval. Albert Cohen y a situé une bonne partie de l'intrigue de Belle du Seigneur. Woody Allen y a tourné les scènes d'extérieur de Magic in the Moonlight.
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Agay est un paradis où même la poussière est parfumée... (Saint-Ex). Je n’ai rien senti mais l’odorat n’est pas mon sens le plus développé.

4 avril 2025


Le jeune couple d’à côté, je ne l’entends pas, sauf ce jeudi matin à sept heures quand elle et lui font grincer le sommier. Une demi-heure plus tard, j’achète mon pain au chocolat à la Boulangerie du Soleil puis monte à la Gare Ferroviaire où pour un euro quatre-vingt-dix j’obtiens un café allongé. Je consomme tout ça à l’une des tables prévues à cet effet puis rejoins la Gare Routière.
A huit heures en part un bus Huit pour Cap Dramont (le suivant dans une heure trente). Un bus en forme de car qui n’annonce pas ses arrêts. Je demande à l’aimable chauffeur de me faire descendre à Camp Long. Mon objectif est de faire pédestrement le tour de ce Cap Dramont.
Un autochtone m’aide à trouver le sentier côtier. Il est fort caillouteux. Je suis dans les belles roches rouges de porphyre du Massif de l’Estérel, longeant des côtes aussi découpées que celles de Bretagne. Ça grimpe. Ça descend. « Balade facile au panorama envoûtant », est-il écrit sur mon plan. C’est néanmoins un peu risqué pour un vieux comme moi. J’y vais prudemment en me faisant parfois aider par les arbres. Personne d’autre sur ce chemin. Arrivé sous le Sémaphore, un semblant de goudron me réjouit. C’est là qu’apparaît l’Ile d’Or et sa tour, laquelle aurait, selon la légende, inspiré Hergé pour son Ile Noire.
Elle fait face au Port du Poussaï où je suis content d’arriver. Dans ce joli petit havre se côtoient une vingtaine de bateaux de plaisance et deux bateaux de pêche. La gargote nommée C le mieux m’offre une place au soleil à sa terrasse sonorisée chansons françaises pour un café verre d’eau à deux euros. Trois gars du coin sont en boucle sur les gens « d’origine maghrébienne ». On aurait dû partager l’Algérie en deux, comme en Israël, le bord de la mer pour les Français et le désert pour les Arabes. Quand ils en sortent, ce n’est pas mieux : « Macron, il a dit en cas d’alerte nucléaire, tu fermes la porte et tu ressors trois jours après. » « Brigitte, quand elle l’a connu, elle aurait dû aller en prison. » Higelin chante Douce France.
De ce Port du Poussaï je remonte une petite route qui me ramène à celle des bus à l’arrêt Le Dramont. Il est onze heures dix. En attendant le Vingt et Un d’onze heures quarante et une, je lis Lettres à Madame Hanska de Balzac sous l’abribus. De tous côtés, l’on me crie que je ne sais pas écrire, et que cela est cruel quand je me le suis déjà dit ; et que je consacre le jour à mes nouveaux travaux, et la nuit à perfectionner les anciens. écrit-il en janvier mil huit cent trente-trois.
Ce Vingt et Un est un bus en forme de bus. J’en descends au Vieux Port et déjeune au Kashmir où le menu à dix-huit euros quatre-vingt-dix est à volonté, sans dessert, mais avec un cheese naan inclus. C’est tranquille et un peu chic. Près de moi, deux jeunes commerciaux, dont l’un a vécu à Rouen. Ils parlent plan de carrière puis technique d’approche. « Il ne faut pas entrer tout de suite dans la négo. » C’est bon comme toujours, cette cuisine exotique.
Je marche ensuite jusqu’à Fréjus pour mon café verre d’eau lecture au Café Kro. J’opte pour une table surélevée en bordure d’intérieur ouvert d’où l’on voit mieux la mer et où on sent moins le vent. Je me nomme Honoré je veux être fidèle à mon nom. Pour une fois, je ne suis pas le seul à lire. Trois femmes de mon âge, chacune à sa table, font de même. L’une est plongée dans La Meurtrière de P.D. James, une autre dans Ma Bible des huiles essentielles et la troisième dans Le musée de l’Innocence d’Orhan Pamuk, un livre emprunté à la bibliothèque municipale.
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Cap Dramont, une stèle rappelle qu’ici débarqua la trente-sixième division du Texas, le quinze août mil neuf cent quarante-quatre. De violents combats eurent lieu et le lendemain Saint Raphaël était libérée.
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A la Belle Époque, l’Ile d’Or appartenait à un certain docteur Luthaud qui y recevait le gratin local.
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Une Anglaise au Café Kro : « C’est vraiment le plus beau, Fréjus. On est allé à Toulon, Nice, Saint-Tropez, Antibes, partout. Et  le plus beau, c’est Fréjus ! » Ça n’engage qu’elle.
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Partout, certains ont le cerveau fondu, mais dans cette région spécialement. Quelles boues que tout cela ! et comme vous me l’écriviez, que l’homme est une perverse bête.

3 avril 2025


Un grondement, mon lit qui tremble très légèrement, ce n’est pas une nouvelle secousse tellurique mais le dernier train du soir qui passe derrière le mur de mon logis Air Bibi. Au matin, après une nuit calme, ce sont les gars de l’agglo qui me réveillent à cinq heures avec leur laveuse et leur balayeuse.
Ici le jour se lève à sept heures douze. J’achète un pain au chocolat (un euro trente) à la Boulangerie du Soleil. L’aimable commerçante m’indique un café ouvert si tôt, en bord de mer dans la commune voisine et accolée de Fréjus (dont la Mairie est entre les mains du Rassemblement National).
Le Café Kro a vue sur la mer au-delà du rond-point. La serveuse a des origines mais ça ne dit rien sur son vote (elle a fait un ramadan pas trop sévère). L’allongé est à un euro quatre-vingts seulement. Le soleil cherche à poindre. Il n’y réussit qu’à moitié. Hormis moi, deux clientes, dont l’une qui dit à l’autre : « Faut pas se couper les ongles le vendredi, ça c’est une connerie. J’ai regardé sur Gougueule. C’est le samedi qu’il faut pas se couper les ongles. »
De retour à Saint-Raphaël (Saint-Raph pour les intimes), je me charge de documents auprès de la sympathique hôtesse de l’Office du Tourisme puis monte à la Gare Routière qui se cache derrière la Gare Ferroviaire. Je m’y fais établir une carte de bus mensuelle illimitée dans l’agglomération Estérel Côte d’Azur (vingt-huit euros) et une carte de dix voyages en cars Zou ! (quatorze euros soixante-dix).
Ainsi paré, je retourne à Fréjus et m’assois sur un banc au-dessus de la plage des Sablettes, vue sur le large. C’est là que je commence ma relecture des Lettres à Madame Hanska de Balzac par la préface et la biographie de l’écrivain. Jusqu’à ce qu’un petit vent se lève et qu’il soit l’heure de trouver un endroit où déjeuner.
C’est par défaut (car tout est cher ici) que je m’installe à la terrasse du Vach’et Moi « spécialités de viande » pour sa formule à dix-sept euros quatre-vingt-dix : beignets de calamars et tartare de bœuf frites salade. Ce dernier est bon et me rappelle celui mangé avec un de ma connaissance au Bouillon d’Or peu avant mon départ. A la fin de mon repas, je suis toujours le seul client de ce resto qui ne paie pas de mine.
Je n’ai qu’une rue à traverser pour retrouver le Café Kro où je m’installe en terrasse sous un chaud soleil pour un café verre d’eau. Je lis là jusqu’à ce que le vent fasse décoller les cendriers.
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A Saint-Raph, les courses, c’est à Monoprix. Je passe par la place Coullet désormais embellie par une œuvre artistique suspendue composée de deux cents sphères lumineuses. « Cette structure unique en son genre apporte une touche féerique au cœur de la ville. »
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A Fréjus, les mêmes toilettes publiques gratuites qu’à Paris. « Le cycle de lavage va commencer. Sortez s’il vous plaît ! »

2 avril 2025


Le train de six heures douze pour Paris est le mien ce mardi premier avril. Je me tiens les pouces, comme on dit en Suisse, pour qu’il ne lui arrive rien. Mon objectif n’est pas Genève mais Saint-Raphaël.
Tout se passe bien. Peu de monde dans le métro Quatorze. J’ai une heure d’attente Gare de Lyon avant le neuf heures neuf pour Nice. C’est un vieux Tégévé dans lequel montent des tas de grosses valises. Je ne suis pas de ceux qui voyagent chargés et qui finissent par s’engueuler devant le coffre à bagages. Il y a aussi celle qui voyage avec son chien, mais point d’enfançon. Harry, notre chef de bord, y va de sa blague de premier avril : « Tempête de neige annoncée à l’arrivée à Nice ».
Traversée de la France sous un ciel bleu. Pour voisin, un étranger qui don’t speak french. Sandouiches triangles à midi. A Marseille, où l’on stagne dix minutes, quelques nuages bourgeonnent à l’horizon. On repart dans l’autre sens. Une femme crie qu’on lui a volé un sac. Il n’était qu’écrasé sous une valise. Après Toulon, on roule au pas, la faute à un problème de passage à niveau. « Arrivée à Saint-Raphaël Valescure avec un quart d’heure de retard », annonce Harry. Ce dont j’avise celle qui doit m’attendre, l’amie de mon logeur, à cinq minutes à pied de la Gare et du Vieux Port, en lui envoyant un texto bourré de fautes de frappe.
Elle n’est point là quand j’arrive devant l’entrée du petit bâtiment où se trouve mon nouveau logis Air Bibi. « J’arrive dans cinq minutes », m’écrit-elle, mesure du Sud car je l’attends le double. C’est au premier étage, avec vue sur une agence immobilière, un petit appartement un peu vieillot, peu cher à la location.
Mon bagage posé, je rejoins le Vieux Port au bout de ma nouvelle rue. Grande roue et grosse basilique. Sous cette basilique, le triptyque Police Municipale et Nationale, Office de Tourisme, McDonald’s. Je m’assois en terrasse au Yachting, face aux bateaux, mais avec une route à voitures entre eux et moi. Des travaux pré Municipale sont en cours pas bien loin. La serveuse est peu aimable et le café à deux euros dix. Nous sommes sur la Côte. Le ciel est maintenant totalement gris. « Au Japon il pleut », se console un couple de retraités à ma gauche qui a de la famille visitant les cerisiers en fleurs.
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Devant moi, dans le Tégévé, une sexagénaire accompagnant une quinquagénaire aveugle un peu dérangée qui l’accaparait pendant tout le voyage. J’aurais préféré la fille au chien, ce dernier ne disant pas un mot. Comment fait-elle pour supporter ça ? A l’arrivée, je n’en pouvais plus.
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Le véritable voyage ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages mais à avoir de nouveaux yeux. C’est signé Marcel Proust et figure sur un marque-page trouvé dans un livre acheté chez Book-Off. Au verso : « Prenez l’air, le temps d’une escapade de printemps ! »  C’est ce que je fais. Et les nouveaux yeux, je les ai au sens propre.

30 mars 2025


Ma dernière lecture de mars deux mille vingt-cinq au café aura été le lourd livre à couverture rigide publié chez Robert Laffont groupant sous le titre A cinq heures, mon ange les lettres écrites de mil neuf cent quarante-huit à mil neuf cent quatre-vingt-deux par Tennessee Williams à Maria St Just son amie pour la vie et quelques lettres d’icelle à lui (les autres perdues).
J’en garde ces extraits :
Trois août mil neuf cent cinquante et un : J’ai déglingué ma voiture en me rendant à Saint-Tropez, je suis entré dans un arbre à plus de 110 km/h et tout le côté est enfoncé. Depuis, je ne suis plus qu’une épave, bien que je n’aie pas été grièvement blessé dans l’accident. Le choc a été terrible. Ma machine à écrire s’est envolée du siège arrière de la voiture et m’a heurté la tête. Je voudrais que tu voies le coup qu’a pris la boîte de la machine à écrire ! Je n’ai eu, miracle, qu’une légère éraflure au-dessus de la naissance des cheveux.
Cinq février mil neuf cent cinquante-deux : Carson a pris le bateau pour l’Italie avec son mari. Nous nous sommes, au moins pour la forme, réconciliés. Pauvre chérie, j’espère qu’elle sera plus heureuse qu’en Angleterre, bien que je craigne que la « grappa » ne remplace le gin. (Carson McCullers)
Vingt-neuf mars mil neuf cent cinquante-deux : Je crois que je n’entends rien aux gens, à moins que ce que ce ne soit des gens que j’ai moi-même inventés. J’ai cessé de me plaindre du comportement du Cheval. Il a parfaitement le droit de se comporter comme il l’entend et je ne peux pas dire qu’il ait jamais fait délibérément quoi que ce soit pour me faire du mal … (le Cheval, Frank Merlo, son amant et le seul amour de sa vie, qu’il appelle ainsi en raison de sa dentition et qui mourra d’un cancer à quarante et un an)
Dix-neuf décembre mil neuf cent cinquante-deux : Moi, je trouve que tout cela est la barbe et que la plupart des gens possèdent bien plus de choses que ce qu’ils devraient avoir, en tout cas le genre de choses qu’on offre. Noël n’est vraiment pas mon truc ; c’est sans doute parce que mon père passait à la maison et laissait planer une ombre immense que l’arbre de Noël le plus scintillant n’aurait pu dissiper.
Vingt-cinq octobre mil neuf cent cinquante-trois : Je n’arrive pas à comprendre comment Bowles l’a supporté toutes ces années. Cette ville n’a aucune beauté, aucun charme, on dirait Miami Beach jeté au milieu de taudis épouvantables. (Tanger)
Mai mil neuf cent soixante et un : Seul Lewis Carroll, pourrait décrire la vie qu’on mène ici, mais je nage deux fois par jour afin de rester « relax ». Nous avons six chiens dont deux seulement sont propres, ou font sur les journaux. Le perroquet rit comme un fou quand il ne gueule pas comme une vieille fille sudiste qui se fait violer par un nègre. Le Cheval s’endort allongé par terre dans le salon et quand je me lève, à l’aube, la télé est encore allumée et au maximum.
Sept février mil neuf cent soixante et onze : Il m’est arrivé un accident plutôt désagréable il y a une quinzaine de jours. Suis tombé dans un aquarium de plus d’un mètre cinquante de profondeur situé juste au pied dans l’escalier extérieur donnant sur un patio non éclairé. Une côte fêlée. Appelé quatre médecins, aucun n’a répondu. Quelques jours après, des douleurs terribles. Finalement, trouvé un médecin cubain qui m’a radiographié le dos et trouvé la côte fracturée. Je porte pour l’instant un bandage élastique serré et j’ai un peu de fièvre.
Mil neuf cent soixante-douze : Papotons, papotons… Il y a deux jours, un Portoricain assassin a défoncé la porte d’entrée de ma maison de Key West et m’a frappé à plusieurs reprises avec une planche de clous rouillés. Il m’a lacéré la poitrine et les bras et allait porter le coup de grâce au visage quand, par miracle, la police est arrivée – je suis toujours vivant.
Dix novembre mil neuf cent soixante-douze : Ce soir, nous avons accompagné Françoise Sagan qui repartait pour Paris. Elle est plus ravissante que jamais, et entourée de très beaux et jeunes – quel est le mot poli pour le dire ? – déviants, je suppose. L’un d’eux est un jeune Français à vous faire perdre la tête, avec une superbe chevelure, et il y a aussi un jeune « Noir » qui est probablement le plus bel homme que j’aie jamais vu : il a pris mon adresse et mon numéro de téléphone.
Sept juin mil neuf cent soixante-treize : La mort de Jane Bowles a-t-elle jamais été annoncée dans les journaux de Londres ? Quel salaud, ce Paul, d’être resté si longtemps sans l’annoncer ! Je crains que tout ce kif ne l’ait un petit peu déshumanisé.
Sept octobre mil neuf cent soixante-treize : Pour l’instant, je n’ai pas de projets sinon d’aller à la cuisine et de manger une cuisse de poulet froide – la vie est pleine de ces petits plaisirs qui font que nous nous accrochons.
Cinq mars mil neuf cent soixante-seize : On m’a invité à présider le festival du film à Cannes, et il se peut que je revienne sur mon refus de ce curieux honneur qui m’est fait si je ne vois pas venir de meilleur prétexte pour partir en voyage.
Vingt-quatre juillet mil neuf cent soixante-seize : Je suis venu sur la côte avec un des gosses d’Andy Warhol, personne d’autre n’étant disponible dans l’immédiat. C’est un ancien micheton reconverti dans la photographie. J’ai commencé à m’énerver quand il a déclaré que la photographie était le seul art de demain, qu’elle remplacerait toute peinture et toute littérature.
Vingt-huit juillet mil neuf cent soixante-dix-sept : Si je vois que je peux me permettre un nouvel aller retour en Concorde, il se peut que je fasse un petit saut en Angleterre.
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J’avais lu je ne sais où que Tennessee était mort étouffé par le bouchon d’une bouteille d’alcool débouchée avec ses dents. J’apprends dans ce livre qu’il s’agissait d’un bouchon de collyre. Ouiquipédia opte pour un « bouchon d'un vaporisateur nasal ».

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